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Europe, l'avenir du monde, par Dominique de Villepin (1/2)

La campagne européenne n’est pas à la hauteur des enjeux. Or le besoin d’Europe n’a jamais été aussi évident. Notre modèle social, si critiqué par le passé, permet d’amortir le choc de la récession mondiale et stabilise tant bien que mal les économies. Notre tradition de dialogue est légitimée par la multipolarité. Pourtant, jamais l’Europe n’a été autant en proie au doute.

L’Union européenne traverse sa crise la plus grave. L’illusion d’optique d’une stabilisation apparente, avec la possible ratification du traité de Lisbonne et le volontarisme de la présidence française, n’y change rien. Les Européens doutent de son efficacité parce qu’elle est divisée et corsetée de procédures complexes et opaques. Ils doutent de sa légitimité quand des approches techniciennes et souvent dogmatiques dominent au sein de ses institutions. Ils doutent même de son identité lorsqu’ils se tournent vers le passé pour y chercher des racines univoques ou des remparts naturels.

Les causes du blocage sont multiples. La première est une erreur d’appréciation historique. Avec la chute du mur de Berlin, les moteurs de la construction européenne se sont éteints mais on a feint de ne pas s’en apercevoir. L’adhésion des pays d’Europe de l’Est s’est nourrie de malentendus, devenus avec le temps des facteurs de division; la réunification allemande a déséquilibré l’ancienne Europe, fondée sur les prémisses d’une Allemagne rhénane et faible, sans en inventer une nouvelle; la fin de la menace soviétique n’a pas été exploitée pour refonder la relation transatlantique, ni repenser le lien avec la Russie.

L’Europe souffre également d’un déséquilibre structurel car ce déni de l’histoire a mené à des élargissements successifs et précipités au détriment de son approfondissement. La volonté d’affichage a livré les institutions à la loi du nombre. Or cette loi reflète la loi du marché car elle implique une gouvernance automatique et a minima. Elle consacre aussi la loi du plus fort dans la mesure où cette Europe tend d’autant plus à s’aligner sur la puissance américaine que ses divisions l’obligent à vivre au rythme chaotique des coalitions et des tractations entre Etats. Enfin, il y a un basculement mondial. Les défis auxquels la construction européenne se trouve confrontée ont changé de nature. Essentiellement intérieurs du temps de la réconciliation, de la reconstruction et du marché unique, ils sont désormais surtout extérieurs. Or il faut prendre l’initiative pour peser sur une mondialisation qui recompose les puissances… mais ne les efface pas.

Nous vivons la fin d’un âge. Orpheline de son idéal, l’Europe doit être refondée, car elle reste une idée neuve. Quoi de plus nécessaire aujourd’hui que l’appui sur les piliers des pères fondateurs : l’apprentissage du partage du pouvoir, le principe de la solidarité entre riches et pauvres et le dépassement des intérêts nationaux dans l’élaboration d’un intérêt général continental? L’audace de la vision gaullienne lui a légué un autre héritage tout aussi actuel dans l’exigence de l’indépendance. L’Europe est l’avenir du monde. Un sursaut est urgent car le monde ne nous attendra pas. Il faut renouer avec la fidélité à l’aventure européenne originale pour être pionniers dans la nouvelle mondialisation. Notre message et notre légitimité sont ces valeurs humanistes qui demeurent le ciment de l’Union et le socle de cette Europe-modèle.

La construction politique européenne est faite de volontarisme. Avant d’entériner tout nouvel élargissement, il faut consolider les fondations et retrouver l’effet d’entraînement d’un moteur. La France pourrait donner l’exemple avec l’Allemagne en mettant en œuvre, comme je l’ai proposé en 2003, une Union d’Etats assurant un rapprochement fiscal et social ainsi que la convergence concrète et durable de politiques nationales dans les domaines d’avenir : l’énergie, où la sécurité d’approvisionnement exige la mise en commun de nos besoins, l’environnement, l’éducation ou l’innovation. Les divergences croissantes font aujourd’hui du renouveau du couple franco-allemand une ardente nécessité.

En matière industrielle, Paris et Berlin devraient relancer de grands programmes industriels. Galileo, le futur GPS européen, doit être suivi d’autres programmes dans le domaine des infrastructures, des énergies renouvelables ou de l’aéronautique, pour faire face à la compétition économique mondiale.

Une telle initiative n’a de sens que si elle se veut souple et ouverte aux autres Etats désireux de s’y joindre pour avancer plus vite, tandis qu’un effort accru de solidarité envers l’Europe de l’Est doit en parallèle assurer la solidarité du centre et des périphéries. L’Europe, et plus particulièrement la France, incarne aussi un modèle social, un « capitalisme à visage humain » au point d’équilibre entre la liberté d’entreprendre et la justice sociale. Il exige aujourd’hui d’être renforcé, modernisé, diffusé à l’échelle du continent. Renouvelons en profondeur la logique des fonds structurels pour faire de l’Europe un acteur stratégique de la redistribution entre riches et pauvres, en faveur à la fois de secteurs industriels en difficulté et de populations fragiles, via un plan européen pour l’emploi des jeunes par exemple.

L’Europe-modèle, c’est enfin le dialogue et le rapprochement des cultures fondé sur la mobilité de la jeunesse et le respect de la diversité. Il serait souhaitable d’élargir les programmes Erasmus à l’enseignement professionnel et à la formation continue. Nous pouvons reprendre l’initiative en lançant de grands projets fédérateurs, précurseurs d’un gouvernement économique européen. Une Europe de la régulation permettrait de réfréner les dérives du marché avec la création d’une Autorité de contrôle des établissements financiers.

Une Europe de l’innovation donnerait naissance à un espace intégré de la recherche et de l’enseignement supérieur avec des universités européennes et une Agence de l’innovation articulée autour de grandes filières prioritaires.

Source: Première partie du Point de vue publié dans l’édition du Monde datée du 31 mai 2009

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