Riposte. A quatre mois du procès Clearstream, il redouble de virulence. Et croit en son destin, comme jamais.
Il a changé de stratégie. Dominique de Villepin s’en va-t’en guerre ! Jusqu’alors, l’ancien Premier ministre émettait des réserves sur la gestion des affaires publiques, proposait des inflexions de cap, mais il s’interdisait la critique systématique et, surtout, refusait d’évoquer, fût-ce à la dérobée, sa chevauchée présidentielle.
Il attendait, pour faire plus ample mouvement, son acquittement (il n’imagine pas une autre issue) au terme du procès Clearstream, en septembre. Aujourd’hui, il a admis que ledit procès serait éminemment politique. Une primaire avant l’heure. Il a compris que Nicolas Sarkozy ne changerait pas.
« Se métamorphoser, c’est sans doute trop lui demander, confie-t-il au Point . Certains hommes politiques sont capables de se changer. Là, c’est plus difficile. » Alors… Alors Villepin prend acte. Et date.
« Les circonstances font que je crois n’avoir jamais été aussi déterminé à m’engager dans la vie publique qu’aujourd’hui », nous déclare-t-il avec la solennité des grands jours. Pour être encore un brin imprécise, la proclamation est néanmoins sans équivoque. Villepin a accepté de dissiper l’ambiguïté. « Jamais autant qu’aujourd’hui je n’ai senti à quel point mon engagement en politique était devenu non seulement nécessaire, mais naturel. Il y a un espace laissé vide, un besoin. »
Le besoin d’une parole « explicative », « structurante » et… alternative. Car il reconnaît désormais « aller un coup plus loin que ne le ferait un « honnête homme » en insistant comme (il) le fai (t) sur ce qui (lui) paraît essentiel. » Trop puissamment habité par l’idée qu’il se fait de sa destinée, il ne saurait se contenter plus longtemps d’être un observateur avisé et courtois sachant dominer ses émotions.
En dépit des apparences, ce n’est pas de lui que Villepin a une haute idée, mais de son destin. Il s’efforce de séparer son combat de lui-même. Cela fait toute la différence entre lui et un être ordinairement égotique. Toute la différence entre lui et un homme de peu de foi.
Vous en doutez ? Interrompez sa logorrhée et demandez-lui doucement s’il croit en Dieu. Le feu de joie et de mots qui jaillit de sa volcanique personne s’arrête net. Silence embarrassé. Alors, croit-il en Dieu ? « Oui ! Mais je n’en parle jamais… » répond notre homme plusieurs tons au-dessous de son timbre habituel. La voix, méconnaissable, n’est plus qu’un souffle. « C’est si fortement ancré en moi que ça ne se formalise pas politiquement. Ça ne peut pas, ça ne doit pas être un argument politique. »
Et de lâcher soudain, avec une brève moue dédaigneuse : « Les cerises en hiver, non merci ! » Allusion au dernier ouvrage d’Alain Juppé (« Je ne mangerai plus de cerises en hiver… », Plon), dans lequel le maire de Bordeaux, faisant fi de sa pudeur naturelle, commente son rapport à la transcendance. Très peu pour Villepin, qui ne cherche pas à « fendre l’armure », lui ! Bien au contraire…
Abasourdi
Il préfère guerroyer, chevelure argentée au vent et armes (sémantiques) au poing. « Nicolas Sarkozy, qui voulait être le début de quelque chose, est le dernier des Mohicans. C’est l’inverse de l’histoire qu’il voulait écrire. La rupture aura lieu après lui. » Il se mord les lèvres. Il ne souhaitait pas être aussi dur.
« La politique menée aujourd’hui manque d’ambition, reprend-il. Le président de la République pense que, tout à coup, les 100 graines qu’il a jetées dans les sillons de France vont fleurir. Ce qu’il ignore, c’est qu’une addition de demi-réformes ne fait pas une réforme. Cela fait deux ans que l’analyse économique et sociale du gouvernement est erronée. »
Le dada villepinien du moment : la « bataille de l’innovation », à côté de laquelle l’équipe au pouvoir serait en train de passer.
Ô délice, son statut d’opposant officiel est désormais reconnu, non seulement par les médias, mais aussi par ceux-là mêmes qu’il fustige. François Fillon n’a pas résisté, tout récemment, à la tentation de citer publiquement, pour le contrer, le nom de son prédécesseur. Villepin est sensible à cet hommage.
Si Sarkozy ne lui fait pas ce plaisir, il réserve à ses proches l’expression d’un ressentiment intact : « Le fou qui a voulu me tuer », assène-t-il en privé, « ce play-boy médiatique qui n’est même pas élu », « ce prévenu qui pense encore pouvoir jouer les opposants et qui bientôt ne sera plus rien ».
« Bientôt » ? Le procès se tiendra du 14 septembre au 15 octobre. Alors que les sarkozystes se frottent les mains et que quelques-uns des amis de Villepin lui font valoir qu’il est rare, dans un procès politique, que l’opposant ne soit pas condamné, l’intéressé refuse de s’alarmer.
Evidemment, le jour du renvoi en correctionnelle, il fut abasourdi. « Pis que ça encore, avoue-t-il. Ce dossier ne pouvait pas déboucher sur autre chose qu’un non-lieu. Pendant la période où nous nous parlions, Nicolas Sarkozy et moi, je n’ai pas abordé avec lui le sujet Clearstream. Je ne suis pas un dealer ! Je ne voulais qu’une chose : qu’il n’y ait pas de pression politique. Or, au bout du chemin, le parquet s’est fait tordre le bras. »
Après son renvoi, il n’a pas appelé Sarkozy. « Ç’aurait été pour se soulager. » Le président ne s’est pas davantage manifesté. Depuis, « il n’y a plus de contacts et il n’y en aura plus ». Entre eux, le match sera d’abord judiciaire. Parce qu’il croit en sa belle étoile et fait mine d’ignorer les autres astres, Villepin s’est convaincu qu’ « il vaut mieux être mis hors de tout soupçon au terme d’un procès qu’avec un non-lieu ».
Et comme il ne fait ni ne dit rien sans flamme et sans point d’exclamation : « Je serai au rendez-vous de septembre ! s’emporte-t-il. Je vais avoir une tribune ! C’est une énergie formidable, un procès ! C’est l’occasion de montrer qu’on n’a pas peur ! Toute ma vie, je me suis battu contre la peur ! »
En attendant cette échéance, il occupe le terrain médiatique. Ce mercredi-là, il se réjouit de trouver trois caricatures de lui dans Le Canard enchaîné . « Quelque chose se passe ! Sinon je ne serais pas entendu, Bayrou ne serait pas entendu… »
Bayrou. Le Béarnais aurait pu être un allié, y compris électoral. Se présenter sous les couleurs du MoDem, n’aurait-ce pas été de la dernière drôlerie ? « Je ne suis pas un mec drôle », tranche Villepin, toutes fossettes dedans. Il ne désertera pas sa famille politique, foi de gaulliste ! Le député des Pyrénées-Atlantiques sera donc un frère d’opposition. Il l’a « croisé deux fois dans un restaurant », mais ils n’ont pas encore pris le temps de se rencontrer tranquillement. Un rendez-vous était prévu ces temps-ci, décalé par Bayrou en raison de l’accaparante tournée de promotion de son livre.
Celui de Villepin (il est en train d’en corriger les épreuves) devrait sortir le 11 juin chez Plon. « La cité des hommes ». Ce ne sera pas une proclamation de foi antisarkozyste, moins encore un manifeste pour clamer son innocence. Villepin y causera politique internationale, vision du monde, un point c’est tout. Un point c’est lui. Le même qui est venu, le 1er avril, disserter de « La France et l’Otan » à l’Assemblée. La salle Victor-Hugo était comble. C’est là qu’il réitérera cette expérience euphorisante le 27 mai. Au menu : « La France et l’Europe ». Et comme il y a pris goût, il reviendra encore au Palais-Bourbon fin juin, cette fois pour évoquer les enjeux économiques et sociaux.
« Il s’agit de lui donner la capacité de se rappeler aux bons souvenirs des uns et des autres », expose le député UMP Georges Tron, l’un des organisateurs de ces réunions et porte-voix du très informel club des amis de Villepin. Une mouvance qui devrait se structurer juridiquement dans les prochains mois.
Pour un homme qui se rêve providentiel, n’est-ce pas déjà faire une vraie concession au réalisme politique ? Le chevaucheur empanaché, tout entier occupé à galoper sur la pente de son destin, semble enfin désireux de s’assurer qu’il est suivi.
Source: Anna Bitton (Le Point)