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A droite, l’après-Sarkozy pointe le bout du nez

Il faudra songer à remercier Nicolas Sarkozy. Sa pratique du pouvoir, sa gestion de la réforme, sa vision de la société, ajoutées à son goût pour l’ostentation et à son égocentrisme, ont libéré la droite républicaine du poids fantasmagorique du chef éclairé.

Elle ne se reconnaît finalement pas vraiment dans le champion qu’elle a choisi. Elle commence à comprendre que l’agitation présidentielle dissimule un dessein qui ne ressemble en rien au projet fondateur. Elle réalise, enfin, que le sarkozysme n’est pas un humanisme.

A-t-elle été bernée ? A-t-elle été aveuglée ? Elle ne le sait pas. Hyper déçue par l’omniprésident, la voici, désormais, qui tend l’oreille et accepte l’idée d’écouter la différence.

Elle le fait d’autant plus volontiers que ceux qui l’expriment ont été ou sont membres de la « famille ». A droite donc, ils sont cinq à pouvoir prétendre incarner une forme d’alternative et à rêver d’un renversement de situation sans être en mesure, aujourd’hui, de l’organiser. Il y a les mutins – François Bayrou, Dominique de Villepin. Il y a les patients – François Fillon, Jean-François Copé. Il y a l’homme providentiel – Alain Juppé. Tout ça manque un peu de jeunes premiers (le plus âgé, Alain Juppé, a 63 ans ; le plus jeune, Jean-François Copé, a 45 ans ; les autres se débattent avec la cinquantaine), certes, mais pas d’expérience, de caractère ou d’ambition.

Les mutins dénoncent publiquement les abus de pouvoir, la vanité de l’action et l’inanité de la pensée, affirment que le pire est à venir et appellent à la révolte des élus et des électeurs. Les patients parient sur une exaspération des Français, qu’ils encouragent à mots feutrés mais n’entendent pas provoquer puisqu’ils sont au pouvoir et l’assument (l’un est premier ministre, l’autre président du groupe UMP à l’Assemblée nationale), comptent sur une lassitude des milieux d’affaires avec lesquels ils entretiennent eux-mêmes des liens ou sur une implosion présidentielle en cours de mandat.

L’homme providentiel assure la synthèse : de sa pampa bordelaise, il critique rudement mais avec courtoisie, propose discrètement mais, fort de son brevet chiraquien de « meilleur d’entre nous », ne cherche pas encore à fédérer. Il attend la faillite d’un homme qui n’aura fait que le décevoir.

Même s’ils ont choisi de faire front, les anti-sarkozystes n’en constituent pas un. En tout cas, pas encore. A la différence des trois mousquetaires, qui étaient quatre, leur devise sonne comme le coup d’envoi d’une aventure solitaire : « Chacun pour soi. Tous pour moi. » Ils se voient (Fillon-Copé ; Villepin-Juppé), vont se voir (Bayrou-Villepin ; Fillon-Juppé) ou pourraient se voir (Bayrou-Juppé ; Copé-Bayrou). Pour parler de quoi ? De leur antisarkozysme commun ? Des preuves quotidiennes du népotisme de l’Elysée ? De la dernière humiliation infligée par le chef de l’Etat ou ses sbires ? Cela ne suffira pas à souder une coalition.

La convergence n’est pas l’union et l’union ne peut tenir lieu de programme.

La question sociale sans réponse

Quelles garanties institutionnelles aux dérives du pouvoir ? Quelles réponses à la crise ? Quelle attitude face aux puissances de l’argent ? Quelles avancées sociales ? Que faire face au chômage ? Quel dialogue avec les syndicats ? Quelle vision de l’aménagement du territoire ? Quelles mesures pour l’école, l’université, la santé, les retraites, les banlieues ? Quelle place et quel rôle pour la France en Europe et sur la scène internationale ? Tant qu’ils n’auront pas répondu clairement à toutes ces questions -qu’ils le fassent de concert ou non et même si certains ont déjà commencé leur exposé -, les cinq prétendants à l’alternative seront peu crédibles. Il n’est pas certain qu’ils le soient plus une fois la lumière faite.

Et pourtant, aujourd’hui, leurs voix portent. C’est que le PS reste inaudible, embarqué qu’il est dans une course au calendrier dont Nicolas Sarkozy dicte le rythme, celui qui lui convient. Voilà pourquoi, l’Elysée prend ces dissonances très au sérieux. Les élections intermédiaires – régionales et sénatoriales en 2010, cantonales en 2011 – ne changeront rien, seule comptera la présidentielle de 2012.

Et la campagne a commencé, Nicolas Sarkozy ayant décidé que les européennes du 7 juin seront dédiées à la consolidation de son bilan à mi-parcours. Ce scrutin où l’abstention est traditionnellement élevée (39,29% au plus bas en 1979 ; 57,24% au plus haut en 2004) permettra à chacun d’étalonner son noyau dur.

Au soir du 7 juin, on saura sans doute que Nicolas Sarkozy peut rassembler près d’un quart de cet électorat, le PS quelque 20% et le MoDem autour de 10%. Aucun des candidats investis en 2012 ne pourra prétendre s’imposer seul. Nicolas Sarkozy devra composer avec une partie de cette droite modérée, voire classique ou conservatrice, révulsée par ses excès sous peine de devoir croiser le fer au sein même de sa famille avec des rivaux en légitimité (Fillon, premier ministre en voie d’affranchissement, Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale en mal d’autonomie, Juppé, qui a évoqué sa candidature dimanche 10 mai au micro de RTL). Pour lui faire barrage, les mutins Bayrou-Villepin (qu’ils se rejoignent ou pas) devront aller à la pêche aux voix de gauche les moins radicales.

Le président du MoDem a fait le premier pas, qui, en tournée promotionnelle pour son livre Abus de pouvoir , ne cesse de rappeler les origines sociales du Parti démocrate populaire (PDP, 1924-1940), le mouvement fossile de la démocratie chrétienne à la française. Quant à Dominique de Villepin, il assure, en privé, que la conquête de voix de gauche ne lui paraît pas insurmontable. Et tous deux restent confiants dans leur capacité à rassembler les élus chiraquiens dont le poids est encore bien réel au sein de l’UMP, comme Xavier Bertrand, secrétaire général du mouvement, est en train de le mesurer. On souhaite bon courage aux socialistes, déjà cannibalisés par le NPA, en vue de la lutte pour le second tour de cette présidentielle.

Nouveau paradoxe du monde politique français : alors que l’appareil PS, pivot de la gauche française, incarne aujourd’hui un ordre partisan aussi rigoureux que suranné, rendu stérile par les traîtrises passées (Bernard Kouchner, Eric Besson, Jean-Pierre Jouyet), les désertions à venir (Claude Allègre) et les fugues calculées (Ségolène Royal), c’est la droite, qu’on croyait figée pour toujours dans ses certitudes omniprésidentes et ultra-libérales, qui pratique le désordre jubilatoire, l’insoumission au système et l’appel à la révolte.

On croit rêver. Et, à tout bien réfléchir, on se demande s’il est bien raisonnable de songer à remercier Nicolas Sarkozy.

Source: Michel Dalloni (Mediapart)

Article reproduit avec l’autorisation de l’auteur

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