Sur le moment, l’événement est passé inaperçu, ou presque: le quotidien Le Monde y consacre quelques lignes, reprises de dépêches d’agence.
La réunification de l’Europe, coupée en deux par l’expansion soviétique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a pourtant débuté le 2 mai 1989. Ce jour-là en effet, un groupe de gardes-frontières hongrois, munis de pinces-monseigneur et de tenailles, coupent, sur la route entre Budapest et Vienne, les barbelés et les fils électriques posés en 1948, qui empêchaient les Hongrois de se rendre en Autriche.
Les garde-frontières hongrois n’imaginent pas que leurs coups de cisailles vont précipiter l’effondrement de l’URSS et de ses satellites. Car les barbelés qu’ils coupent font partie de la vaste barrière qui court de la mer Noire à la Baltique et enferme la moitié du continent: le 2 mai 1989, le démantèlement du Rideau de fer a commencé.
La mémoire collective a retenu la chute du mur de Berlin, dans la nuit du 9 novembre. Mais, si le bloc de l’Est s’effondre alors en quelques semaines, à la surprise de nombreux observateurs, c’est parce qu’une série d’événements, passés souvent inaperçus, ont préparé cette issue.
En Hongrie, surtout. « La Hongrie était le maillon faible du Rideau de fer et c’est inexorablement là qu’il a cédé », selon l’historien hongrois Géza Szebeni, en rappelant notamment l’épisode révélateur du soulèvement hongrois de 1956 contre le régime soviétique qui s’était soldé par une répression sanglante de la part des troupes de Moscou.
Ce qui explique pourquoi Helmut Kohl, alors chancelier, a déclaré, en célébrant la réunification de l’Allemagne: « Le sol sur lequel repose la porte de Brandebourg est hongrois »…
A Moscou, Mikhaïl Gorbatchev, arrivé au pouvoir en mars 1985, tente de sauver un système soviétique figé et menacé par l’asphyxie. Il encourage une certaine liberté d’expression (glasnost) et la restructuration d’une machine économique à l’agonie (perestroïka).
Un vent nouveau souffle sur l’Europe de l’Est. Les dirigeants hongrois l’ont très vite senti et on su en tirer profit. En 1987, des passeports sont distribués aux Hongrois, qui donnent à la plupart d’entre eux la liberté de voyager à l’étranger.
Imre Pozsgay, ministre d’Etat et chef de file des communistes réformateurs dans les années 80, a ainsi prôné dès octobre 1988 le démantèlement du grillage « de la honte », de 350 km de long, avec barbelés et système de surveillance électronique coûteux.
En février 1989, le Bureau politique du Parti communiste hongrois, le Parti socialiste ouvrier MSZMP, prit la décision de commencer le démantèlement du « Rideau de fer », notamment aussi parce que son entretien coûtait trop cher. Le 27 avril 1989, Budapest ordonne aux gardes-frontières de démanteler les grillages électrifiés.
Le 2 mai, l’opération commence. La décision des dirigeants de Budapest sème la fureur chez les hiérarques communistes des « pays frères », de la Roumanie à la Pologne. Mais Moscou laisse faire : l’heure est à la perestroïka impulsée par Mikhail Gorbatchev. A la tête de l’Allemagne de l’Est, le vieux Erich Honecker découvre les images à la télévision et tente de faire stopper le processus. Mais les Hongrois ignorent ses appels. Son sort, et celui de son régime, sont scellés.
De semaine en semaine, le nombre des passages clandestins augmente. A l’été 1989, des dizaines de milliers de réfugiés est-allemands attendent, le long de la frontière, dans des campements de fortune.
Le 19 août, enfin, à l’occasion d’un « pique-nique paneuropéen », organisé à proximité de Sopron et parrainé par le descendant du dernier empereur, Otto de Habsbourg, côté autrichien, et Imre Pozsgay, côté hongrois, plusieurs centaines d’Allemands de l’Est forcent une porte en bois qui marque le passage de la frontière. En l’absence de consignes de Budapest, le chef des garde-frontières interdit de tirer.
Les images font le tour du monde. Et déclenchent, dans les jours qui suivent, un nouvel afflux d’Allemands de l’Est en terre hongroise, candidats au départ vers l’Ouest. Le 10 septembre, le gouvernement hongrois décidait d’ouvrir les frontières définitivement. Plus de 100 000 Allemands de l’Est traversent la frontière.
Le 9 novembre, enfin, le mur de Berlin tombe. Comme un fruit trop mûr.
Sources: L’Express, Europe 1 et Ouest France