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27 avril 1969: Il y a 40 ans, la dernière bataille du Général de Gaulle

Il y a 40 ans, le dimanche 27 avril 1969, De Gaulle perd le référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat, son cinquième référendum depuis 1958, et il démissionne.

« Je cesse d’exercer mes fonctions de Président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi », écrit-il dans un communiqué diffusé par l’Agence France Presse le lundi 28 avril 1969 à 0h10.

La DS noire s’éloigna lentement pour rejoindre, par la grille du parc, l’avenue Marigny. Un instant, le véhicule s’arrêta devant le colonel Laurent, commandant militaire du palais, figé au garde-à-vous. Sans un mot, et contrairement à son habitude, le général de Gaulle lui serra la main. Ce vendredi 25 avril 1969, à 13 h 45, il quittait l’Élysée pour sa résidence de Colombey-les-Deux-Églises. Le lundi suivant, un bref communiqué annonçait sa démission. Le Général avait 68 ans.

Il venait de livrer sa dernière bataille, celle du référendum du 27 avril – son cinquième depuis 1958 – portant à la fois sur la régionalisation et la réforme du Sénat.Une consultation curieuse à la fois sur le fond et dans la forme (une seule réponse pour deux questions), peu compréhensible pour la majorité des électeurs. Sa bizarrerie allait conduire des proches du Général, dont André Malraux et Maurice Couve de Murville, alors premier ministre, à penser qu’il l’avait provoquée en sachant qu’il courait à l’échec. En somme, un suicide politique.

En réalité, le Général, une fois encore, voulait s’assurer de la confiance des Français. Sa lucidité lui ôtait toute illusion quant aux dégâts causés par l’usure du pouvoir et par le poids des ans – « la vieillesse est un naufrage », avait-il écrit du maréchal Pétain. D’où un double pari : ou bien, une fois encore, il forcerait son destin ; ou bien, la chance se détournant de lui, il saurait « réussir sa sortie ». Ainsi éviterait-il une fin de carrière médiocre, indigne de lui.

L’idée de ce référendum avait germé dès le printemps 1968, lorsqu’il s’agissait d’éteindre les incendies du mois de mai. Poussé par plusieurs « barons » du gaullisme, le premier ministre, Georges Pompidou, avait su convaincre de Gaulle que des élections législatives anticipées étaient le meilleur moyen de reprendre la main. Effectivement, ces élections amenèrent au Palais-Bourbon une majorité conservatrice exceptionnellement forte. Mais le Général en avait l’intime conviction : les « élections de la trouille » marquaient le refus de la « chienlit », non une confiance renouvelée à sa personne.

Les événements allaient donc le conduire à rechercher, une fois encore, l’approbation populaire. D’abord, Pompidou fut remplacé par Couve de Murville au poste de premier ministre. De Gaulle lui reprochait d’avoir manqué de fermeté dans la gestion de la crise de mai (alors que c’est lui-même qui, un moment, avait flanché, quittant subitement Paris pour aller chercher l’appui du général Massu à Baden-Baden). Réplique de Pompidou, le 17 janvier 1969, à Rome : une déclaration de candidature à la présidence de la République en cas de vacance de cette dernière. Pour de Gaulle, un crime de lèse-majesté !

D’où cette déclaration, à l’issue du Conseil des ministres du 22 janvier : « Dans l’accomplissement de la tâche nationale qui m’incombe, j’ai été, le 19 décembre 1965, réélu président de la République. J’ai le devoir et l’intention de remplir ce mandat jusqu’à son terme. » Mais, pour ceux des Français que l’avenir pouvait inquiéter, la situation devenait claire : après de Gaulle, ce ne serait pas le chaos, puisqu’un homme ayant fait ses preuves pendant six ans à la tête du gouvernement se disait prêt à prendre la relève.

Alors, le chef de l’État sortit son joker – autrement dit, son projet de référendum. C’était à Quimper, le 2 février 1969. Michèle Cotta, alors journaliste à l’Express, suivait ce déplacement en Bretagne. Il lui causa une sorte de stupeur, qu’elle note dans ses carnets : « Les trois jours que je viens de vivre au cours de ce voyage présidentiel ont été bizarres pour moi : comme c’était la première fois que je suivais de Gaulle, je ne m’attendais pas à trouver autour de lui un tel chahut, avec des gens aussi hostiles, ou du moins partagés. » Qu’était devenu le fringant héraut de la France libre ou l’homme providentiel dictant sa loi, en 1958, aux politiciens tétanisés par l’insurrection algéroise ? « Un vieillard presque aveugle » qu’un manifestant, à Brest, tenta même de frapper avec un énorme parapluie.

Loin de galvaniser les énergies, le discours de Quimper ne fit que nourrir les contestations. Évincé en janvier 1966 du ministère des Finances, Valéry Giscard d’Estaing, le chef des républicains indépendants, distillait régulièrement ses critiques. Pompidou tissait sa toile à partir de ses bureaux du boulevard de La Tour-Maubourg, fréquenté assidûment par le jeune Jacques Chirac. Puis un autre homme de poids entra en lice : le président du Sénat, Alain Poher.

Les sénateurs acharnés contre le projet de loi référendaire

Peu de Français, alors, connaissaient ce centriste discret, successeur, à la présidence de la Haute Assemblée, de Gaston Monnerville – devenu l’ennemi juré du chef de l’État après avoir qualifié de « forfaiture » la méthode adoptée pour la réforme constitutionnelle de 1962 (l’élection du président de la République au suffrage universel direct). Le 3 février 1969, dans l’émission Face à la presse de Michel Droit (l’interviewer quasi officiel du Général), les téléspectateurs découvrirent un homme rond de corps et d’esprit, défendant habilement son Assemblée contre les « graves périls » nés du projet de réforme forgé par le général de Gaulle. Commentaire de Michel Droit : « Sous la IIIe République, et même sous la IVe, quel beau président il eût fait ! »

Au fil des semaines, de Gaulle put mesurer l’imprudence d’une décision coalisant les intérêts les plus divers, de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par les centristes, majoritaires au Sénat. Le 27 février, l’avant-projet référendaire confirmait que le Sénat, en cas de succès du référendum, perdrait ses attributions législatives et que son président n’exercerait plus, en cas de besoin, l’intérim du président de la République. C’était faire – dixit Michèle Cotta – « d’Alain Poher, comme prévu, l’adversaire acharné du projet de loi référendaire. Et des sénateurs, les relais en province d’une lutte à mort contre le texte voulu par le général de Gaulle ».

Celui-ci parut hésiter. Ainsi confiat-il au général Lalande, chef de son état-major particulier : « Vous savez, je ne suis pas pressé de faire le référendum. Tout le monde s’en fiche. » Mais les dés étaient jetés. Le Général irait jusqu’au bout, acceptant délibérément les conséquences de sa décision.

Le 2 avril, la campagne électorale engagée, Poher dénonçait dans le projet « une erreur, une faute, une imprudence », le récusant « en son âme et conscience » et réunissant, note encore Michèle Cotta, « autour des sénateurs de chaque région des auditoires impressionnants pour s’opposer à la dissolution du Sénat ». Le 9 avril, reçu par de Gaulle pour préparer son entretien du lendemain, Michel Droit trouva le Général « plus las et résigné que lors de (leur) dernière entrevue ».

Confidence du chef de l’État : « Vous savez, si je suis battu le 27, croyez bien que je ne regretterai rien. Je m’en irai. Comme en 1946. Comme j’ai été tenté de le faire en décembre 1965 (après sa mise en ballottage à l’élection présidentielle) et en mai dernier. Il faut savoir partir. » Et encore : « C’est probablement ce qui est nécessaire afin que, dans trente ans, les Français mesurent leur erreur. Et je serai alors davantage pour la France – autrement dit mon souvenir comptera davantage pour elle – que si j’étais parti à l’issue banale d’un mandat arrivé à son terme… »

Au fidèle Debré, de Gaulle confie : “Les dés sont jetés. Je n’y peux plus rien”

Le 10 avril, de Gaulle mettait les éle
cteurs devant leurs responsabilités : « Si donc, par aventure – c’est bien le mot qui convient –, le peuple français s’opposait à la réforme, quel homme serais-je si je ne tirais pas, sans délai, la conséquence d’une aussi profonde rupture, et si je prétendais me maintenir dérisoirement dans mes actuelles fonctions ? »

Puis, le 24 avril, pressentant le pire, le chef de l’État confiait à Michel Debré, son ancien premier ministre (ce fut leur dernière entrevue) : « Les dés sont jetés. Je n’y peux plus rien. Le peuple français ne veut plus de moi. Je n’ai donc plus qu’à m’en aller. »

Le 27 avril, la coalition des « non » (rejointe notamment par Giscard) l’emportait avec plus de 52 % des suffrages exprimés. Deux jours plus tôt, une servante avait accueilli de Gaulle et son épouse dans l’antichambre de La Boisserie. « Nous rentrons définitivement, cette fois-ci, Charlotte, c’est pour de bon », lui avait dit le Général.

Plus tard, séjournant à Cork, en Irlande, à l’hôtel Heron Core – le « refuge du héron » ! –, il déclarait à l’ambassadeur de France, Emmanuel d’Harcourt, à propos de l’échec du référendum : « Je n’en sors pas diminué. Il fallait, à mon âge, trouver un moyen de partir. » Mais on l’entendra s’interroger, à plusieurs reprises, sur les raisons de cet échec – de la même manière que Napoléon, à Sainte-Hélène, refaisait constamment la bataille de Waterloo.

En décembre 1969, André Malraux lui posa cette question : « Pourquoi êtes-vous parti sur une question aussi secondaire que celle des régions ? À cause de l’absurdité ? » Réponse du Général : « À cause de l’absurdité. »

Par la suite, Michèle Cotta interrogea plusieurs acteurs et témoins de cette période cruciale. Un des plus proches collaborateurs du général de Gaulle, Olivier Guichard, ne croyait pas que celui-ci eût voulu se suicider politiquement : « Le Général pensait simplement qu’il avait raison. »

Opinion d’Yves Guéna, ancien directeur de cabinet de Michel Debré à Matignon : « Le Général était sorti diminué de Mai 1968. Il n’avait pas été légitimé par les élections législatives qui avaient suivi. Il avait besoin de se retremper lui-même aux sources de la légitimité. »

Roger Frey, qui fut longtemps ministre de l’Intérieur, se souvenait d’avoir dit à de Gaulle, au moment où celui-ci, face à la montée des oppositions, s’interrogeait sur l’opportunité du référendum : « Je crois que vous ne pouvez plus reculer. » Alors, de Gaulle : « C’est la réponse que j’attendais de vous, mon vieux Frey ! »

Source: Claude Jacquemart (Valeurs Actuelles)

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