A l’Elysée, on affirme que Dominique de Villepin ne fait pas peur. On prétend même qu’il n’a qu’à se présenter à la présidentielle de 2012…, cela permettra d’éviter de retrouver François Bayrou au second tour. Mais c’est Matignon qui se charge de lui régler son compte. Mercredi 22 avril, sur France Inter, François Fillon répliquait à son prédécesseur, qui évoquait le 19 avril, un « risque révolutionnaire ». « Il n’a pas une grande expérience du dialogue social », a lancé le premier ministre, après avoir dénoncé une « attitude qui n’est pas responsable ».
Il faut dire qu’en ce printemps 2009, Dominique de Villepin est partout, squattant les plateaux télé pour réagir à la moindre actualité, et ne loupant pas une occasion de tirer contre Nicolas Sarkozy. Son véritable retour, il l’a fait le 1er avril, dans une salle comble de l’Assemblée nationale, à l’occasion d’un colloque sur « La France et l’Otan » – son premier au Palais-Bourbon depuis le printemps 2007.
Autant d’interventions qui sont minutieusement répertoriées sur un blog de villepinistes, qui se fait aussi l’écho des voix dissonantes à droite : les anciens ministres chiraquiens François Goulard et Brigitte Girardin, les sorties d’Alain Juppé, l’actualité des oubliés comme Azouz Begag et des retraités comme Jacques Chirac et bien sûr les déclarations des six députés villepinistes (Guy Geoffroy, François Goulard, Jean-Pierre Grand, Jacques Le Guen, Hervé Mariton et Georges Tron).
Chez les fidèles sarkozystes, on préfère moquer la faiblesse de ses troupes. « J’en connais qui ont commencé avec moins que ça », réplique souvent Dominique de Villepin. « On dit toujours qu’il y a moins de dix villepinistes mais combien y a-t-il de sarkozystes ? Pas davantage », ironise le député villepiniste, Hervé Mariton, interrogé par Mediapart. « C’est étonnant que ça ait surpris les médias qu’on remplisse des salles, poursuit le député de la Drôme. Il serait imprudent de considérer que les gens qui viennent sont des fans prêts à signer mais on sent une curiosité et un engouement qu’il faut formaliser. »
Mais comment passer d’un « engouement » – très lié à l’antisarkozysme ambiant – à un courant influent au point de constituer une alternative de droite crédible à Nicolas Sarkozy en 2012 ? Pour Jean-Pierre Grand, autre député villepiniste, « il faut que Villepin aille à la rencontre des Français ». Une rencontre « tranquille », « sans retenue », « une immersion dans la France profonde qui lui fera du bien et le rassurera », confie-t-il à Mediapart. « Franz Olivier Giesbert disait de Chirac : « Si vous voulez le détester, ne le rencontrez jamais ! » Je suis sûr que lorsque Villepin viendra à la rencontre des Français, ils l’aimeront. » Dans les mois qui viennent, l’ancien premier ministre débutera donc une tournée des départements.
Tout en se fixant une règle : ne pas donner l’impression qu’il est en campagne électorale. « Il ne faut pas que Villepin s’emballe, il faut rester calme. Il ne va pas solliciter mais répondre aux sollicitations, insiste Jean-Pierre Grand. Aujourd’hui des universitaires, des gens de la finance l’appellent pour travailler avec lui, des élus veulent le voir dans leur département, les jeunes viennent l’écouter dans les facs. »
Sauf que la patience n’est pas le fort de l’ancien premier ministre. « C’est quelqu’un qui a du souffle, mais son souffle l’amène parfois à être une tornade », explique à Mediapart Gérard Larcher, président (UMP) du Sénat, et ancien ministre de Dominique de Villepin. Il a parfois une forme d’impatience. »
Le « villepinisme »?, ça existe ?
« Multiplier les initiatives à l’Assemblée et sur le terrain », oui, dit Hervé Mariton, mais « cela doit être au service d’un message. La critique doit être accompagnée par des idées et des propositions, d’autant que la critique intelligente et construite est desservie par la croisade systématique (contre Sarkozy) ».
Des idées, des propositions, donc. Mais le « villepinisme », ça existe ? « C’est le gaullisme du XXIe siècle, une vision, une culture, un discours rassembleur, une droite populaire et sociale », s’emballe Jean-Pierre Grand. Sans l’ombre d’un projet – pour l’instant -, l’ancien locataire de Matignon a en tout cas une idée précise de ce qu’il ne veut pas. Ses salves anti-Sarkozy s’articulent autour de quatre thèmes :
– Une mauvaise gestion de la crise et un manque de justice sociale : « Nicolas Sarkozy est dans une logique idéologique, de rapport de force. Il est encore dans le combat de 2007, la rupture, alors qu’on est passé à une autre période, la crise, explique Dominique de Villepin à Mediapart. Le président de la rupture a été balayé par la crise, il a raté toutes les occasions de justice sociale. » « Dans une société à faible consensus, où l’on est susceptible de connaître une éruption, on a besoin d’être vigilant sur les clignotants qui s’allument partout. Nicolas Sarkozy ne cesse de vouloir les gérer comme Moïse ouvrant la mer Rouge. C’est un pari… Mais la machine de passions peut le déborder et la machine des résultats va le déborder », analyse l’ancien premier ministre, qui résume : « Le tsunami arrive et Sarkozy est sur la plage, avec ses Ray-ban, son transat et son punch. »
– Un déséquilibre institutionnel et des libertés publiques menacées : l’hyperprésidence, les droits du Parlement bafoués, la suppression du juge d’instruction, la nomination du président de France Télévisions par le chef de l’Etat, une politique de plus en plus répressive, etc. « Tout ce qui vient réduire (la) capacité d’expression est dangereux. Tout ce qui peut conduire à donner plus de pouvoir à quelques-uns doit être regardé avec beaucoup de suspicion », prévenait Villepin en décembre 2008, évoquant « une régression sur le plan des libertés publiques. »
– Une ambition européenne sacrifiée pour un projet atlantiste – symbolisé par un retour total de la France dans l’Otan, véritable angle d’attaque de Villepin.
– Le style présidentiel : président hyperactif, Sarkozy, son style bling-bling et ses phrases à l’emporte-pièce – comme lors du déjeuner avec un groupe de parlementaires le 15 avril – agacent, quand ils ne choquent pas.
Ne pas être l’assassin de Sarkozy
Mais la stratégie de Dominique de Villepin est claire : ne pas apparaître comme l’assassin de Nicolas Sarkozy, attendre, rencontrer, proposer et arriver en homme providentiel à la première lueur. « L’élection, ce sont les circonstances qui font qu’elle devient naturelle. Croyez bien, je serai à ce rendez-vous », expliquait-il le 1er avril. Et c’est sans doute là que le bât blesse : Dominique de Villepin – comme François Bayrou – ne se conçoit qu’en recours après l’effondrement de la majorité, qu’en sauveur d’un pays en prise avec la crise.
Les deux hommes devraient d’ailleurs se rencontrer dans les jours à venir. C’est Dominique de Villepin, qui, après s’être entretenu avec Ségolène Royal, a fait le premier pas. Le leader du MoDem – qui a rendu visite à Jacques Chirac récemment – s’est empressé de saisir la perche. « Ce qui est en cause aujourd’hui, avec la politique de Nicolas Sarkozy, dépasse de beaucoup les choix partisans et les étiquettes, expliquait-il au Figaro, le 6 avril. Les gens s’en rendent compte. Ce qui rend les responsables politiques dans l’obligation de mener un combat, non pas partisan, mais républicain. »
« Il y a des points de convergence, c’est une rencontre naturelle d’où naîtront des analyses intéressantes, reconnaît Hervé Mariton, tout en précisant : Villepin ne doit pas trop en faire là-dessus, l’UMP peut en profiter pour l’enfermer dans l’opposition. Je vois bien ce que Bayrou a à y gagner – sortir d’un certain isolement -, moins ce que Villepin a à y gagner. Or il n’y aura qu’un seul élu pour la présidentielle ! »
Source: Marine Turchi (Mediapart)
Article reproduit avec l’autorisation de l’auteur