Le voilà remonté sur ses grands chevaux. Déterminé à sabrer du Sarkozy à propos de tout, ou presque : le retour au sein de l’Otan, la gestion de la crise, des réformes trop « brouillonnes », la caporalisation de l’UMP…
Ces derniers temps, Dominique de Villepin est à l’affût pour faire entendre sa différence et dire en creux aux Français que le sarkozysme n’est pas une fatalité pour dix ans. Oui, comme dit le député Hervé Mariton, il existe une « alternative crédible » à droite, que le dernier Premier ministre de Jacques Chirac ambitionne d’incarner.
Verve intacte, formules ciselées et puissance de conviction, Villepin se pose « en homme libre sur la scène nationale » et confie qu’il va « continuer à dire les choses ». Un opposant ? « Non, dit-il sans chercher à convaincre, mais je ne veux pas m’autocensurer. Ce que je dis se veut constructif ».
De colloques en émissions radiotélévisées, c’est pourtant à une critique sans concession du sarkozysme qu’il se livre. Tout y passe pour prendre date et « marquer un certain nombre de repères », comme il l’explique. En dehors d’un G20 « réussi », peu de choses dans l’action du chef de l’Etat trouvent grâce à ses yeux. Et encore, il n’a pu s’empêcher de moquer les coups de menton du Président, menaçant de quitter la table du sommet.
C’est sur le créneau du style que Villepin affirme le plus naturellement sa rupture avec le locataire de l’Elysée : « A la dispersion, je préfère la concentration. » A ses yeux, la « méthodologie pose un problème ».
Détestation. En période de crise (dimanche, il a même évoqué « un risque révolutionnaire » en France), il importe, selon lui, « d’adapter la politique aux circonstances en accompagnant, par exemple, davantage les plus fragiles ». Il n’hésite pas du coup à commettre le sacrilège de s’en prendre au « paquet fiscal » en déplorant l’ »occasion perdue de ne pas l’avoir assoupli comme le demandaient certains parlementaires ». « Dans un pays fragile, il faut créer du consensus », assure-t-il.
En Sarkozie, la consigne est de feindre l’indifférence. « Villepin, combien de divisions ? » interroge ce ministre qui fut également du dernier gouvernement Chirac. C’est un fait, elles sont maigres : cinq députés, une poignée de sénateurs, quelques gaullistes et chiraquiens en déshérence. Pas de relais au sein de l’UMP, ni de base électorale. Mais beaucoup d’ennemis au sommet de l’Etat et des ex-amis, comme Alain Juppé, qui le battent froid…
Avec Nicolas Sarkozy, les ponts sont définitivement coupés. Plus de rendez-vous pour se toiser, plus aucun coup de fil. Rien. Juste une détestation réciproque étalée sur la place publique. A l’Elysée, on le juge « brouillon » avec sa façon de « donner cinq interviews d’un coup et puis plus rien pendant des semaines ». Un conseiller du chef de l’Etat veut croire que « la voix de Villepin n’est pas entendue au-delà d’un tout petit cercle d’affidés ». Et de pointer, comme les sarkozystes ne s’en lassent jamais, son talon d’Achille supposé : « De toute façon pour faire de la politique, il faut être élu. »
Cet agaçant monsieur Villepin a tout de même eu droit, lui aussi, aux foudres de Frédéric Lefebvre, député et porte-parole du parti majoritaire, qui a mis sur le compte de « l’aigreur » sa critique « indigne » de la position française à la veille du sommet de l’Otan. Quant à Jean-Pierre Raffarin, il a reproché à son successeur à Matignon (qui lui a toujours manifesté un souverain mépris) de « jouer des jeux personnels ».
Trompe-l’œil. Mais l’argument massue des anti-Villepin reste bien sûr l’affaire Clearstream, dans laquelle l’ex-Premier ministre doit comparaître en septembre, soupçonné d’avoir participé à une machination visant à déstabiliser Nicolas Sarkozy. « Villepin c’est je bouge, je m’agite, je cogne pour faire oublier mon rendez-vous judiciaire. Tout cela est grotesque », tranche un influent ministre sarkozyste.
En attendant, Villepin se régale de jouer l’ennemi de l’intérieur, comme le fut Sarkozy durant cinq ans pour les chiraquiens au pouvoir. Mais pour quel débouché politique ? Celui d’être candidat à la présidentielle de 2012 ? L’intéressé qui ne croit en politique qu’aux circonstances, esquive : « Où en serons-nous dans trois ans ? Quelle réalité se sera imposée ? La seule certitude, c’est qu’une nouvelle page s’ouvrira. »
Au-delà de l’issue judiciaire du procès Clearstream, se pose la question de sa capacité à fédérer autour de lui les oppositions au Président. « Il réfléchit à différentes formes d’organisation, mais nous ne voulons pas nous constituer en écurie », assure son ami Mariton. Un timide pas de danse s’est amorcé avec François Bayrou. En trompe-l’œil. Mais Villepin et lui se sont beaucoup affrontés par le passé, ont des tempéraments qui ne s’additionnent pas et sont à leur compte exclusif.
Une ouverture vers la gauche ? L’ex-Premier ministre a certes pris ces derniers jours la défense de Ségolène Royal, son ex-condisciple à l’ENA. Mais tout les oppose au-delà du partage de quelques grands principes. Dans la geste villepiniste, la solitude est une figure imposée. Elle est aujourd’hui subie.
Source: Antoine Guiral (Libération)