Le Président Jacques Chirac a prononcé une allocution lors de la conférence de lancement du Projet Aladin, hier vendredi 27 mars 2009 à la maison de l’UNESCO.
Le Président Jacques Chirac parraine ce projet lancé par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah qui vise à lutter contre le négationnisme et établir un dialogue fondé sur la connaissance et le respect de l’autre.
Voici le texte de son intervention.
« Monsieur le Directeur Général de l’Unesco,
Monsieur le Président de la République du Sénégal,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Chère Simone Veil, Cher David de Rothschild,
Chers amis,
Votre présence ici, à Paris, dans cette grande maison de l’UNESCO, est un témoignage rare. Et un acte de foi. La foi, que nous partageons, des bienfaits de la connaissance.
Aladin, en français, « Aladine » en arabe, « Aladine » en hébreu, c’est la lumière, le symbole de cette connaissance à laquelle nous croyons ensemble.
Je félicite les initiateurs du projet Aladin. Je félicite ceux qui, du monde entier, ont accepté de le parrainer. Je suis honoré de me trouver parmi eux. Je les félicite pour leur ténacité, leur audace et leur vision.
Je veux vous dire que je me reconnais dans votre combat pour rétablir la mémoire de la SHOAH là où elle est niée, là où elle est effacée, là où elle est déformée.
Votre choix est légitime :
Faire connaître la SHOAH en présentant les faits, tels qu’ils ont été, dans leur brutalité. Sans culpabiliser les vivants. Sans vouloir faire porter aux pays musulmans une culpabilité qui n’est pas la leur.
Faire connaître la SHOAH, pour la sortir du silence que l’on a fabriqué autour d’elle, dans beaucoup de pays.
Evoquer la SHOAH risquait de susciter dans ces pays un sentiment de sympathie pour les Juifs et l’existence d’Israël. Alors on l’a cachée.
Faire connaître la SHOAH à chacun, dans sa langue, pour que chacun lise et comprenne dans sa langue maternelle ce qui s’est réellement passé, et forme sa conviction intime. Aujourd’hui l’arabe, le persan, demain l’ourdou, le bengali, le malais… La mémoire de la SHOAH c’est faire vivre les livres et non les brûler. Elle ne doit pas seulement parler à l’intellect. Elle doit toucher le cœur.
C’est, vous le savez, dans le même esprit que je me bats, avec la Fondation que je préside, pour le dialogue et le respect de toutes les cultures.
Le drame de la SHOAH interdit l’oubli. Il impose la pudeur. Il fait exploser la colère au cœur de chaque homme de bonne volonté, lorsque la SHOAH est contestée.
Nous n’en avons pas fini avec la barbarie qui a conduit à la SHOAH. Voilà la vraie raison d’en garder la mémoire à jour. Une mémoire constamment en alerte. Transmettre aux pays qui ne l’ont pas connue la mémoire de la SHOAH c’est allumer chez eux l’esprit de résistance qui nous a fait défaut face au Mal. Car nul pays, nulle culture, ne sont immunisés contre la tentation du génocide. Le négationnisme est un crime contre la mémoire. Mais plus grave encore, il émousse la vigilance.
Je suis très inquiet aujourd’hui, que certains puissent dire, chez nous, en Europe, que cette histoire, la SHOAH, n’était pas la leur, que c’était l’histoire des Juifs, le problème des Juifs. Nous devons combattre cet apartheid insupportable de la mémoire. Nos Etats, et notamment l’Etat français, ont été mêlés à ce crime. Nous avons composé par peur avec la barbarie nazie. Nous avons laissé nos concitoyens juifs, enfants ou non de notre terre, être arrachés de nous comme s’ils étaient un corps étranger. Nous avons assisté, pétrifiés, à leur humiliation et à leur anéantissement.
Après la SHOAH, rien, pour nous, ne peut être comme avant. Rien ne peut faire que nous ne nous sentions pas responsables. Rien ne peut faire que nous ne nous sentions pas orphelins. Rien ne peut faire éluder la question : et moi, qu’aurais-je fait ?
Après la SHOAH, nous savons que le courage politique, le vrai, c’est d’abord de résister, quoiqu’il en coûte, à la xénophobie qui déshumanise. Nous ne devons jamais accepter comme démocratiques, les partis qui propagent la haine.
L’accord trouvé entre libéraux, démocrates chrétiens, socialistes et communistes dans l’après guerre pour rejeter les partis de la haine doit être considéré comme un acquis définitif de la démocratie européenne. Nous avons fait l’Europe pour la paix, mais pas n’importe laquelle. Rien ne doit remettre en question cette vision.
J’ai un autre sujet d’inquiétude. Je vous le confie avec la franchise d’un homme qui s’est battu pour le respect du droit au Proche-Orient, pour un Etat palestinien viable, pour l’indépendance de chaque Etat dans la région, dans la sécurité et le respect de ses frontières… J’ai dit aux Israéliens que la colonisation était une faute. On ne construit pas la paix avec son voisin en expropriant ses terres, en arrachant ses arbres, en bouclant ses routes…
Il n’en est pas moins vrai que les conflits incessants du Proche-Orient servent aujourd’hui de prétexte à une nouvelle haine d’Israël ; elle est en train de devenir une nouvelle haine des Juifs ; cette haine se répand. Elle est le contraire d’une solution. Elle peut être le début d’un nouveau cauchemar. Au débat exigeant avec les dirigeants d’Israël, cette haine substitue un soupçon à l’encontre de tous les Juifs. Au respect du droit, respect qu’il faut exiger d’Israël comme de tous les autres Etats, cette haine prétend substituer la vengeance et le terrorisme.
La paix, les partisans de la haine prétendent l’établir par le harcèlement, l’humiliation, l’éviction, la destruction des Juifs… Il n’y aura pas de paix au Proche-Orient tant qu’il n’y aura pas reconnaissance et acceptation de l’Etat d’Israël. C’est le sens de toutes les résolutions des Nations unies. C’est le sens de la déclaration d’Oslo. C’est le sens de tous les efforts que nous encourageons.
Mais il n’y aura pas reconnaissance mutuelle réelle sans un assentiment des peuples eux mêmes. Cet assentiment ne se fera pas sans une compréhension plus intime, de part et d’autre, sans que soit retrouvé le sentiment d’appartenir à la même fraternité humaine.
Voici pourquoi votre projet est si urgent. Si important.
Seul le rappel de la mémoire de la SHOAH permet de comprendre comment l’on passe de la frustration à la haine, de la haine à la négation de l’autre, et de cette négation au génocide.
Il n’est pas trop tard. Il n’y a aucune fatalité à la haine.
Dans les deux traditions, juive et musulmane, la tolérance et le respect de l’autre sont des préceptes fondateurs. « La loi du pays, c’est la loi », dit le Talmud. La communauté juive respecte les lois du pays où elle vit. Elle respecte les autres communautés. « Si Dieu avait voulu créer une seule communauté, il l’aurait fait. » dit quant à lui le Coran. Vous avez raison de vouloir rappeler la ressemblance qui existe entre deux traditions qui ont coexisté pendant plus de mille ans.
Oui, j’adhère avec enthousiasme au projet Aladin parce qu’il fait le pari de la connaissance et de la capacité des deux communautés à se retrouver, à se comprendre et à s’accepter. Aladin c’est un appel au dialogue, à la compréhension mutuelle. L’incompréhension entre les juifs et les musulmans n’est pas inscrite dans leur histoire, ni dans leur religion, ni dans leur culture.
Quand on demandera demain à un enfant musulman ce qu’est un Juif il ne pourra plus répondre par des caricatures et des stéréotypes. Quand on demandera demain à un enfant juif ce qu’est un Musulman, il ne pourra plus répondre par des caricatures et des stéréotypes.
Je crois au dialogue des civilisations.
Avec mes amis, le Prince Hassan bin Talal, avec Gerhard Schröder, avec Ely Ould Mohamed Vall, avec Abdurrahman Wahid, je crois qu’il faut faire vite.
Je vous remercie. »
Discours de Monsieur Jacques CHIRAC, prononcé lors de la Conférence de lancement du projet Aladin – Maison de l’Unesco – Vendredi 27 mars 2009
Source: Fondation Chirac