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Le bouclier fiscal, un vrai boomerang pour Nicolas Sarkozy (1/2)

Nicolas Sarkozy voulait que les Français deviennent plus riches. Avec la crise, sa politique fiscale profite d’abord à ceux qui le sont déjà… Analyse.

Aux Etats-Unis, quand un clochard voit passer une Rolls, il se rêve à la place de son propriétaire. En France, il voudrait que le riche soit à sa place… Cette petite blague condense l’exception culturelle française et la politique de Nicolas Sarkozy : acclimater de ce côté-ci de l’Atlantique des valeurs – le marché, le travail, l’individu, l’enrichissement – qui ont fait la force de l’Amérique.

C’était avant la crise. « Aujourd’hui, ce système est totalement à rebours des aspirations des Français, qui veulent plus de justice et de solidarité », constate l’économiste Daniel Cohen. La politique pour faire émerger des riches est perçue comme une politique pour les riches que les banderoles, dans les manifestations, résument à leur manière : « Les actionnaires au caviar, les salariés au placard ».

Quatre lettres expliquent les intentions de départ de Nicolas Sarkozy et ses ennuis aujourd’hui : Tepa, pour travail, emploi, pouvoir d’achat. C’est le titre du projet de loi du 21 août 2007, qui exprime les ambitions économiques du nouvel élu et sa vision de la société.

A priori, il y en a pour tout le monde : les ouvriers et les employés prêts à travailler plus pour gagner plus (défiscalisation des heures supplémentaires) ; les classes moyennes et modestes qui veulent devenir propriétaires plus facilement (crédit d’impôt sur les intérêts des emprunts immobiliers), les ménages cossus dont les héritiers ne paieront plus l’impôt sur les successions, les riches dont on allège substantiellement l’impôt sur la fortune (deux mesures, dont le fameux bouclier fiscal, qui limite le poids des impôts directs à 50 % du revenu).

Très vite, la gauche pointe le Tepa comme l’instrument d’une politique de riches. La droite s’efforce, en vain, de valoriser la mesure en faveur des heures supplémentaires, celle qui profite au plus grand nombre et coûte le plus cher. Mais le bilan de la défiscalisation est difficile à établir : suscite-t-elle vraiment de nouvelles heures de travail ou se contente-t-elle de blanchir celles non déclarées ?

Avec la crise, les « heures sup » sont accusées, notamment par la gauche, de voler du travail aux chômeurs. Le thème du partage du travail revient en force. « A moyen terme, c’est une idée fausse car elle ne crée pas d’emplois mais, en période de mauvaise conjoncture, elle se justifie de manière temporaire », estime Daniel Cohen.

Avec la crise, les pauvres ont encore plus de mal à s’enrichir. Les riches, eux, engrangent les dividendes du Tepa.

Curieusement, personne, pas même les socialistes, ne conteste explicitement l’exonération quasi totale de droits de succession, 2 milliards d’euros en 2008. C’est pourtant la mesure la plus injuste et la moins utile du Tepa. « Mieux vaudrait taxer le patrimoine au moment de sa transmission plutôt qu’au cours de sa détention », plaide Alain Lambert, sénateur UMP et ancien ministre du Budget. Il estime que « la bonne réforme serait de supprimer l’ISF et, par conséquent, le bouclier fiscal, de créer une tranche d’impôt supplémentaire en haut du barème et de rétablir l’impôt sur les successions en maintenant des abattements correspondant au patrimoine d’une famille moyenne ».

Rétablir les droits de succession ? Durant la campagne, le candidat Sarkozy notait que la simple évocation de leur suppression provoquait des larmes de gratitude chez les électeurs de droite… Une fois élu, il a fait un choix clientéliste plus que libéral et n’a pas eu l’audace de supprimer cet ISF qui empoisonne la droite depuis vingt ans.

Pour en atténuer les effets, il s’est retranché derrière le bouclier fiscal. Un mécanisme paradoxalement inventé par la gauche et dévoyé par la droite !

En créant l’impôt sur la fortune, en 1988, Michel Rocard, Premier ministre, l’assortissait d’une barrière : personne ne pourrait payer des impôts directs (dont l’ISF) pour un montant supérieur à 70 % de ses revenus, limite portée à 85 % en 1991. Mais Alain Juppé plafonne cet avantage en 1996. Et c’est Dominique de Villepin qui recrée un vrai bouclier en 2006, à 60 % des revenus.

En 2007, Nicolas Sarkozy rend la protection plus avantageuse en portant le chiffre à 50 % et en incluant CSG et CRDS dans les impôts concernés. Et il en fait un marqueur identitaire.

Source: Corinne Lhaïk (L’Express)

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