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Dominique de Villepin chez Serge Moati (1/3): "Il y a une urgence"

Invité de l’émission Ripostes ce dimanche, Dominique de Villepin est revenu sur les grandes manifestations qui se sont déroulées dans toute la France ce jeudi 19 mars.

L’ancien Premier Ministre a déclaré avoir entendu « de l’inquiétude, de la peur, de la colère parfois, autant de messages qui sont le signe de cette crise très profonde, durable à laquelle nous sommes confrontés. »

« Je crois que nous sommes dans une situation, après l’urgence financière, où la crise économique, la crise sociale apparaît au grand jour. Et évidemment les plus fragiles dans notre société, mais aussi tous ceux qui craignent pour l’avenir, se sentent menacés. Et c’est d’une réponse générale, d’une réponse globale qu’il faut partir. C’est évidemment la responsabilité des pouvoirs publics, la responsabilité de l’Etat que d’apporter ces réponses et d’accompagner. (…)

Nous avons besoin d’une urgence économique, sociale, politique, partagée par tous. Il faut que chacun soit pénétré de même conviction: c’est la gravité de la crise, et malheureusement une crise longue. (…)

Tous les efforts doivent converger vers le même but. Il ne s’agit pas d’avoir des ministres qui vaquent à leurs occupations, aux réformes habituelles. Il ne s’agit pas d’avoir des patrons qui font comme avant, comme avant au temps de la spéculation: se voter des stocks-options, des bonus, des rémunérations complémentaires. Non, il y a une urgence.

Et dans l’urgence, il faut que chacun adopte le même comportement, la même exigence. Et je pense qu’il faut que cette règle l’emporte aujourd’hui pour l’ensemble du pays. (…)

Face à cela, comment s’organise-t-on? J’ai vécu cela: c’est difficile, c’est difficile de mobiliser. Et ça implique de donner le ton. Et c’est pour cela que j’ai défendu l’idée de la justice sociale. Quand vous êtes confrontés à la crise, il faut donner l’exemple, il faut répartir les efforts de façon juste. (…)

Je pense que les plus aisés doivent donner des signaux. Je pense qu’il nous faut cibler notre action. Le gouvernement a commencé à le faire. Quand il dit: « ciblons l’investissement, il a raison », parce qu’il faut cibler effectivement ce qui permettra de moderniser la France et nous placer en meilleure position dans la sortie de crise.

Mais entre-temps, il faut survivre à la crise. Il faut donc aider les plus défavorisés. Donc, cibler sur ceux qui sont le plus en difficulté: je pense aux jeunes, je pense aux seniors, je pense aux femmes, je pense à ceux qui n’ont pas d’indemnisation du chômage (soit pas suffisante, soit pas du tout). Il faut que nous fassions davantage pour eux. (…)

Je crains que la crise ne soit longue et je pense surtout que face à la crise, la responsabilité des autorités publiques, c’est de se préparer aux éventualités les plus graves.

Nous sommes aujourd’hui devant une crise dont nous ne maîtrisons pas tous les éléments. Je prends la crise financière: nous souhaitons que les mesures qui ont été adoptées soient suffisantes, mais il y a quand même un certain nombre de risques que cette urgence financière continue, qu’il y ait de nouveaux krachs bancaires. Nous ne savons pas exactement à quel niveau estimer les besoins financiers sur le plan international. Nous espérons et nous croyons que nos banques sont en meilleur état que les banques anglo-saxonnes, mais il y a une grande part d’incertitude. Il en va de même sur le plan économique.

Donc, la responsabilité publique, c’est de se préparer au pire. Il ne faut pas être pessimiste, mais il faut se préparer au pire, parce que toutes les mesures que nous aurons prises, tout ce que nous auront fait, eh bien si les choses s’aggravent, eh bien elles donneront des résultats. Si ce n’est pas le cas, eh bien tant mieux ! (…)

Je pars d’une analyse qui envisage une aggravation forte de la crise. Je prends un exemple et je le dis, les téléspectateurs pourront m’en porter grâce, depuis de très nombreux mois. En matière de situation économique et de situation financière, l’INSEE vient de nous dire que nous sommes sur une pente de -3% de croissance. Le gouvernement a évolué dans ses statistiques et adopte aujourd’hui une prévision de -2%. Il y a fort à parier malheureusement que la prévision sera plus forte encore que celle de l’INSEE.

En matière de déficits publics, nous allons dépasser les 100 milliards, nous serons peut-être au-delà même à 120 milliards. En matière de chômage, nous sommes sur une pente de 80.000 – 100.000 chômeurs de plus par mois. C’est vrai, les Américains sont à 600.000 chômeurs de plus, mais nous sommes devant une situation grave.

C’est bien pour cela que je dis: il y a urgence économique et sociale et face à cela, nous devons mobiliser tous nos efforts. (…)

Je pense que les mesures qui sont prises sont de bonnes mesures, mais je crois qu’il faut aller au-delà. Je crois qu’il faut prendre la mesure d’une crise qui sera longue et qui sera profonde.

Je crois qu’on ne peut pas donner le sentiment aux Français d’être en permanence dépassé par l’ampleur de la vague. Vous avez un tsunami: c’est pas pareil qu’une vague moyenne qui va détruire quelques habitations en bord de plage. Je crois qu’il faut prendre cette mesure-là. Ca suppose bien évidemment une mobilisation nationale.

Ca suppose aussi de faire davantage à l’échelon européen. Je suis perplexe devant l’insuffisance de la réponse européenne. Nous voyons bien qu’il y a un problème de coordination, il y a un problème de définition politique. Que nous ayons une monnaie commune, l’Euro, c’est très bien. Que nous ayons une concertation sur le plan monétaire, parfait. Mais notre concertation économique, industrielle est très insuffisante.

De la même façon, le G20 va se réunir. J’espère qu’au-delà de l’harmonisation des plans de relance, dans le domaine de la régulation (qui est certes un domaine de plus long terme), nous serons capables de prendre des mesures décisives. Je crois que dans ce domaine, il y a une prise de conscience, il y a une évolution. Mais une fois de plus, entre se mobiliser petit à petit et prendre conscience qu’il y a un véritable drame auquel nous sommes confrontés, qui suppose dans l’urgence de se mobiliser, de tout organiser autour de cette nécessité. »

Source: Dominique de Villepin, invité de Serge Moati (Ripostes – dimanche 22 mars 2009)

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