Et si, en franchissant « un petit pas technique » qui est « un grand pas politique », la France s’apprêtait en réalité à « lâcher la proie pour l’ombre »?
La France s’apprête donc à réintégrer tous les organismes militaires de l’OTAN dont le général de Gaulle avait claqué la porte sans ménagement en mars 1966. Nicolas Sarkozy l’avait annoncé dès septembre 2007. Il devrait l’officialiser début avril, lors du 60e anniversaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord.
« La belle affaire ! », répètent depuis des mois les pragmatiques ou les blasés : après des années de fugue, cela faisait longtemps déjà que la fille prodigue de l’Alliance atlantique avait discrètement regagné le bercail. Dès 1995-1996, peu après l’élection de Jacques Chirac, le ministre de la défense et le chef d’état-major français avaient repris leur place dans les réunions de l’OTAN. Le président français aurait même totalement soldé l’intermède gaulliste si les Américains lui avaient accordé un commandement digne de ce nom. Mieux, la France a activement participé, depuis, aux opérations militaires de l’OTAN dans les Balkans, en Afrique et en Afghanistan. Au point d’en être devenue l’un des principaux contributeurs.
Nicolas Sarkozy ne ferait donc qu’accorder les formes avec la réalité et il n’y aurait pas de quoi fouetter un chat. D’ailleurs, d’où viennent les critiques ? Alain Juppé, qui s’interroge sur « l’utilité » de cette initiative, n’était-il pas premier ministre en 1995 ? Dominique de Villepin, qui dénonce une « faute », n’était-il pas alors secrétaire général de l’Elysée ? Quant aux autres – de Lionel Jospin à Ségolène Royal, de Laurent Fabius à François Bayrou, de l’extrême gauche aux souverainistes de droite, qui tous dénoncent presque dans les mêmes termes la « liquidation de l’héritage » gaulliste, « l’abandon de souveraineté » et la « dérive atlantiste » -, on fait mine à l’Elysée de considérer qu’ils se livrent à une opposition mécanique et surjouée.
Il est pourtant évident que le petit pas technique que va faire la France dans trois semaines est un grand pas politique. Et un grand pas hasardeux. On peut, bien sûr, considérer que « l’indépendance nationale », la « souveraineté » et la « grandeur » au nom desquelles de Gaulle avait pris ses distances avec l’OTAN et son chef de file américain relèvent d’une rhétorique anachronique. Il n’empêche, le monde a beau avoir changé de fond en comble depuis un demi-siècle, ces symboles avaient forgé le socle, largement consensuel en France et reconnu dans le monde, d’une diplomatie et d’une défense originales. Elles vont se trouver, demain, ramenées dans le rang et banalisées. OTAN en emporte l’Histoire, si l’on ose dire !
Pour quel bénéfice ? Un surcroît d’influence dans une Alliance en quête d’identité ? Beaucoup en doutent. Un argument décisif pour lever les préventions à l’égard de la France et faire ainsi progresser l’Europe de la défense, comme le soutient mordicus Nicolas Sarkozy ? Rien, pour l’heure, ne l’atteste, et la présidence française de l’Union ne l’a pas démontré. Tout, au contraire, laisse à penser que la France, en l’affaire, a lâché la proie pour l’ombre.
Source: Gérard Courtois (Le Monde)