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Un débat de fond est nécessaire sur un choix qui engage l'avenir du pays, par Alain Juppé

« La France a-t-elle intérêt à réintégrer, en 2009, le commandement militaire de l’OTAN qu’elle a quitté en 1966 ? La question n’est pas sacrilège. Nul ne sait comment le général de Gaulle y répondrait aujourd’hui. Sinon qu’il se déterminerait à la lumière du seul intérêt national.

C’est dans cet esprit que, en 1995, le président Chirac et le gouvernement que je dirigeais ont engagé un processus de rapprochement entre la France et l’OTAN. Nous y avions mis deux conditions clairement énoncées : d’abord parvenir à un partage équitable des responsabilités, c’est-à-dire des commandements, entre Américains et Européens ; ensuite obtenir de nos partenaires européens le lancement d’une politique européenne de sécurité et de défense (PESD) qui en soit une, ce qui supposait à la fois une volonté réelle de leur part et la levée de la réserve, voire du veto américain.

A l’époque, ces conditions ne furent pas remplies et la démarche fit long feu.

Depuis lors, les choses ont changé. En 1998, à Saint-Malo, Jacques Chirac et Tony Blair se sont mis d’accord sur une déclaration qui débloqua la situation. Ils y ont affirmé que l’Union européenne « doit avoir une capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales ». Ce fut un tournant historique.

Tout au long de la décennie qui a suivi, la Politique euroépenne de sécurité et de défense a connu de notables avancées. De 1999 à 2000, les conseils européens de Cologne, Helsinki et Feira ont pris des décisions qui ont abouti à la mise en place de structures communes.

A Bruxelles, en 2003, l’Union a adopté sa stratégie de défense. Et surtout, de 2003 à 2008, elle a monté 23 missions sur des théâtres extérieurs, dont six opérations militaires significatives, par exemple en Bosnie-Herzégovine ou en République démocratique du Congo.

On comprend dès lors que le président Sarkozy, dans la droite ligne des efforts accomplis depuis 1995, reprenne aujourd’hui l’initiative.

Est-ce à dire que les conditions posées au départ et qui demeurent valables sont désormais remplies ?

Il faut y regarder à deux fois.

La nouvelle administration américaine est-elle prête à partager réellement les responsabilités militaires au sein de l’Alliance ? En d’autres termes, les commandements qui échoiront aux Européens, et notamment aux Français, auront-ils la même importance stratégique que ceux qu’exercent les officiers généraux américains ? On n’y voit pas encore assez clair sur ce premier point.

Quant à la défense européenne, il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour devenir pleinement crédible. L’agence européenne de la défense créée, en juillet 2004, pour promouvoir la recherche-développement de défense et les acquisitions d’équipements militaires en coopération n’a pas donné les résultats attendus.

L’objectif capacitaire initial fixé à Helsinki en 1999, c’est-à-dire la constitution d’une force de réaction rapide européenne, capable de déployer de 50 000 à 60 000 hommes en soixante jours et pour une durée d’au moins un an, n’a pas été atteint. L’effort de défense moyen des Etats membres plafonne à 1,07 % du PIB européen. Et parmi les grands pays, seule la Grande-Bretagne atteint le seuil des 2 %.

Avons-nous dès lors les moyens de nos ambitions ? J’ajouterai, sans esprit de provocation : avons-nous seulement des ambitions ? Partageons-nous la même vision des intérêts européens au sein de l’Alliance ? Et que voulons-nous faire de cette Alliance ? Le monde actuel ne ressemble en rien à celui où elle est née. Conçue dans un contexte de confrontation entre les blocs, soviétique d’un côté, occidental de l’autre, elle doit aujourd’hui redéfinir sa raison d’être, ses missions, son territoire d’action. La vision qu’en a l’Amérique n’est pas forcément identique à celle des Européens, et notamment des Français.

On me répondra que notre pays a déjà fait les neuf dixièmes du chemin sur la voie de la réintégration. Que nous siégeons à nouveau dans toutes les instances de l’OTAN (sauf deux créées après notre départ). Que nous sommes devenus l’un des premiers contributeurs en troupes de l’Alliance. Que nous avons participé, sous commandement OTAN, aux opérations contre la Serbie en 1999. Que nous avons placé une centaine d’officiers dans la structure intégrée et que nous participons à la force de réaction rapide de l’Organisation.

L’argument est fort.

Mais on peut se demander s’il n’est pas réversible.

Si, malgré notre position spécifique dans l’OTAN, nous en sommes un membre si actif, quel avantage allons-nous retirer à perdre cette spécificité ?

Une influence accrue dans l’Alliance ? Nous y pesons déjà lourd et toutes les décisions s’y prennent à l’unanimité.

De la considération de la part de nos alliés américains ? Sera-t-elle durable dès lors que leurs propres intérêts seront en jeu ?

Une solidarité accrue de nos partenaires européens et une relance effective de la PESD avec, notamment, la création d’un commandement militaire opérationnel ? Nous voyons bien qu’ils ne partagent pas tous notre volonté d’autonomie ; je conviens que nous aurons peut-être plus de poids pour mettre en oeuvre une coopération renforcée ou structurée avec ceux qui en ont les moyens et l’ambition.

Qu’en conclure ? Qu’il y a, d’ici le sommet de l’OTAN prévu à Strasbourg début avril, place pour un débat de fond sur un choix qui engage l’avenir de la France. »

Alain Juppé, maire (UMP) de Bordeaux, ancien ministre des affaires étrangères (1993-1995), ancien premier ministre (1995-1997)

Source: Tribune publiée dans Le Monde daté du samedi 21 février 2009

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