Brigitte Girardin, ancienne ministre des DOM-TOM entre 2002 et 2004, auteur de la loi sur l’Outre-mer qui porte son nom, analyse la crise qui secoue actuellement les Antilles.
« On savait parfaitement que la crise, qui touche de façon très grave la métropole, allait frapper l’Outre-mer, plus fragile, encore plus violemment », dénonce-t-elle à l’encontre du gouvernement.
L’Express: Quelles réflexions vous inspire la situation actuelle aux Antilles ?
Brigitte Girardin: Malheureusement, je ne suis pas très étonnée par ce qui s’y passe. On savait parfaitement que la crise, qui touche de façon très grave la métropole, allait frapper l’Outre-mer, plus fragile, encore plus violemment. A l’automne dernier, j’ai tiré la sonnette d’alarme en venant en Martinique : ce n’est sûrement pas le moment de jeter le doute sur des outils de développement qui fonctionnent bien. On compte déjà de nombreux dépôts de bilans…
Vous faites allusion aux exonérations de charges sociales…
On voit bien que c’est le point nodal de cette crise. Les exonérations de charges sociales sont un outil indispensable à ces économies fragiles. Dominique Perben, en 1994, a essayé le premier cette méthode. Elle a tellement bien fonctionné en termes de création d’emplois, surtout dans les petites entreprises qui sont le moteur de l’économie locale, que la gauche l’a amplifiée et que j’ai fait de même. Et pourtant, la loi de finances pour 2009 les remet en cause pour économiser 150 millions d’euros. C’est là-dessus qu’il faut travailler, le budget de l’Etat peut quand même se le permettre !
Faites-vous la même analyse de la réforme de la défiscalisation prévue dans la Loi pour le développement économique de l’Outre-mer ?
Tout à fait : la défiscalisation, on sait que ça marche, car c’est un instrument efficace de développement. Ce n’est pas parce qu’il y a eu quelques dérives, qui ont été corrigées, qu’il faut la réduire aussi drastiquement. Quand je suis arrivée rue Oudinot en 2002, la gauche l’avait brutalement plafonnée, elle ne fonctionnait plus. Je l’ai alors relancée en la contrôlant strictement, en la ciblant sur les secteurs économiques qui en avaient le plus besoin, et, dès la première année d’application de la loi, l’investissement a augmenté de 53%!
Qu’est-ce qui vous choque le plus dans les projets du gouvernement ?
Franchement, je ne comprends pas. Face à la crise, le Président de la République mène une politique de relance par l’investissement, mais il semble que l’on fasse le contraire dans les DOM-TOM ! On risque vraiment d’imposer la double peine à l’Outre-mer : une crise majeure, et, en plus, la remise en cause de leurs outils de développement.
Selon vous, la loi que vous avez fait voter en 2003 et qui porte votre nom suffit ?
La logique aurait été de poursuivre l’amélioration d’un dispositif qui fonctionne, qu’il me soit ou non attribué. D’ailleurs, la loi prévoyait cette possibilité. Mais non, ma propre famille politique met de côté une loi qui a fait ses preuves, prévue pour quinze ans. Au bout de cinq ans, on brise la confiance en changeant les règles du jeu pour des décideurs économiques qui ont besoin de visibilité.
L’UMP vous a vertement reproché votre critique, à l’automne dernier, de la politique ultra-marine du gouvernement. Pourquoi acceptez-vous de vous exprimer à nouveau sur le sujet ?
J’ai le sens de l’Etat et je ne joue pas contre ma famille politique. Mais au mois d’octobre, j’ai eu une forte remontée de tous les acteurs de terrain outre-mer, qui m’ont pressée de parler. Je l’ai fait, et de façon honnête, pour l’outre-mer. Mais j’ai aussi dit les choses pour aider Yves Jégo. Parce que je sais bien qu’à ce poste difficile on a la forteresse de Bercy en face de soi. Aujourd’hui, les options sont très claires : soit on met ces économies sous perfusion en les replongeant dans l’assistanat; soit on fait le choix de la dignité et du développement en essayant de favoriser l’investissement et la production locale.
Source: L’Express