L’ancien premier ministre Dominique de Villepin estime dans un entretien à La Tribune qu’il faut fixer un « cap clair dans la crise » plutôt qu’ »une gestion dans l’urgence », et préconise « un plan de modernisation » pour le pays.
Interrogé sur le dialogue ouvert par Nicolas Sarkozy, avec la rencontre du 18 février, il juge « indispensable de prendre en compte l’inquiétude sociale et d’associer les partenaires sociaux (…) tout en fixant un cap clair dans la crise ». « Et ce cap (…) c’est la modernisation de notre pays », déclare M. de Villepin.
Il « regrette qu’au cours des derniers mois les efforts aient été dispersés, dans des réformes tous azimuts (…), et qu’on ait privilégié une gestion dans l’urgence ».
« La politique de rupture de Nicolas Sarkozy a été engagée à contretemps et à contresens, cherchant à imposer en France un modèle qui a fait faillite outre-Atlantique », ajoute-t-il.
Il pointe « un problème de gouvernance » lié selon lui à une « mauvaise répartition des tâches du fait d’un déséquilibre de nos institutions, d’où un président de la République qui court le risque d’être isolé et fragilisé ».
« La surexposition, selon lui, fait négliger un aspect important de la fonction présidentielle : l’anticipation, la vision, la sérénité ».
« Le risque qui a été pris de stigmatiser » certaines catégories (enseignants-chercheurs, magistrats, banquiers), « est regrettable au moment où il faut mobiliser en rassemblant davantage, et non chercher à cliver ».
L’intégralité de l’interview de Dominique de Villepin
La Tribune : Le dialogue ouvert par Nicolas Sarkozy avec les partenaires sociaux et la rencontre du 18 février sont-ils le signe d’une bonne réaction dans la crise ?
Dominique de Villepin : Il est indispensable de prendre en compte l’inquiétude sociale et d’associer les partenaires sociaux à la politique économique et sociale, tout en fixant un cap clair dans la crise. Et ce cap, je veux le rappeler, c’est la modernisation de notre pays.
Car la crise est à la fois conjoncturelle et structurelle. Nous changeons de monde et nous ne reviendrons pas en arrière.
Avec l’émergence d’une nouvelle économie, ce qui se joue, c’est la hiérarchie des Etats pour les décennies à venir. Et cette hiérarchie, demain encore plus qu’aujourd’hui, va se fonder sur le critère de l’innovation.
La réactivité, c’est bien, mais cela ne suffit pas. Nous devons nous préparer à une véritable révolution des mentalités et des comportements.
Un seul cap donc ?
Je regrette qu’au cours des derniers mois les efforts aient été trop dispersés dans des réformes tous azimuts, comme l’audiovisuel public ou le juge d’instruction, et qu’on ait privilégié une gestion dans l’urgence.
Ce qu’il faut aujourd’hui pour notre pays, ce sont deux choses : une exigence de justice sociale pour rassembler et une vision à long terme pour mobiliser.
Il faut bien sûr gérer la crise, mais il faut aussi une politique de sortie de crise. A un plan de relance, je préfère un plan de modernisation. Je veux poser deux questions concrètes : comment la France sera positionnée sur les marchés de demain, comme le solaire, la voiture propre, les nouvelles technologies, qui vont être les moteurs d’une nouvelle croissance ? Et comment peut-on faire pour que le niveau du chômage baisse dans les années à venir aussi vite qu’il aura monté en 2009 ? Il nous faut des réponses concrètes.
Lesquelles ?
En termes d’innovation, je veux faire deux propositions : d’abord, que les projets industriels labellisés par les pôles de compétitivité bénéficient d’un financement prioritaire des banques, sous le contrôle du médiateur du crédit.
Ensuite, pourquoi ne pas créer un guichet unique de l’innovation, un véritable service public chargé d’aider les entreprises dans leur développement et leur dialogue avec les pouvoirs publics ?
Etes-vous d’accord avec l’idée de supprimer la première tranche du barème de l’impôt sur le revenu ?
C’est un des éléments de faiblesse de notre pays que davantage de Français ne contribuent pas à l’impôt, même de manière symbolique. Je privilégierai pour ma part les autres pistes avancées par Nicolas Sarkozy.
Nicolas Sarkozy est-il en position d’incarner ce consensus nécessaire aux réformes ?
Le point de départ doit être de regarder la vérité en face et de tirer les leçons des derniers mois.
D’abord, la politique de rupture de Nicolas Sarkozy a été engagée à contretemps et à contresens, cherchant à imposer en France un modèle qui a fait faillite outre-Atlantique, et alors même que nous avions engagé entre 2005 et 2007 avec mon gouvernement un combat sur trois fronts qui commençait à porter ses fruits : la bataille de l’emploi, en réduisant le chômage de deux points ; la bataille contre l’endettement public, en ramenant le déficit de 50 milliards à 37 milliards d’euros ; la bataille du patriotisme économique, à travers protection et compétitivité.
Ensuite, il y a aujourd’hui un problème de gouvernance : une mauvaise répartition des tâches du fait d’un déséquilibre de nos institutions, d’où un président de la république qui court le risque d’être isolé et fragilisé.
La surexposition fait négliger un aspect important de la fonction présidentielle : l’anticipation, la vision, la sérénité.
Par ailleurs le risque qui a été pris de stigmatiser un certain nombre de catégories, par exemple les enseignants-chercheurs, les magistrats, les banquiers, est regrettable au moment où il faut mobiliser en rassemblant davantage et non chercher à cliver.
Sources: Agence France Presse et La Tribune (propos recueillis par Hélène Fontanaud)