Dominique de Villepin était ce matin l’invité de Dominique Souchier sur Europe 1, dans le cadre de l’émission C’est arrivé cette semaine.
Tout en se réjouissant qu’un volet social semble désormais apporté au plan de relance, il a exprimé sa crainte que le Président de la République reste « dans une vision de la crise un peu courte ».
« Derrière la crise conjoncturelle qui durera 2 ans, 3 ans, 5 ans, 10 ans, il y a une crise structurelle qui est que nous avons changé de Monde. Et ça, c’est irréversible. Ce changement-là, il implique dans nos comportements, dans nos stratégies, que nous en tirions les leçons », affirme l’ancien Premier Ministre.
Extrait de l’émission.
Dominique de Villepin: C’est un avenir très incertain que le nôtre. Tout reste à faire. La crise est devant nous et la responsabilité du Président de la République est à construire. Je crois que face à la crise, nous avons, et ceux qui dirigent notre pays ont un triple devoir: un devoir de vérité, nous en reparlerons, un devoir de responsabilité et un devoir de vision.
Savoir, et c’est une question, si l’intervention du Président de la République cette semaine marque un tournant dans le quinquennat, c’est une question. Savoir si nous sommes aujourd’hui, dans la réponse que nous apportons à la crise, à la hauteur de la crise, si vous me posez cette question, Dominique Souchier, ma réponse est claire: c’est non.
Dominique Souchier: Vous disiez avant l’émission: « il faut qu’il montre qu’il est à l’écoute des Français ». Et là, vous dites: « il ne l’a pas montré ».
Non, je crois qu’il a montré deux choses qui sont indispensables et qui sont un point de départ. La première chose, c’est qu’il y a une souffrance qui s’exprime en France et nous le voyons à travers toutes sortes de mouvements. Et il a apporté un volet social au plan de relance.
Savoir si c’est suffisant, savoir si cela répondra aux attentes des Français, c’est une autre question. Mais néanmoins il l’a fait. Il a accepté de changer, de corriger en tout cas la route qui était la sienne.
C’est un tournant pour vous?
C’est un tournant. La question est de savoir s’il est suffisant. Il y a un changement manifeste. Il y a une correction de route. Il prend en compte une dimension qui avait été négligée jusqu’à maintenant.
Vous trouvez que c’est bien, ça?
Et je trouve que c’est bien. La deuxième chose, c’est la volonté qu’il a d’aller jusqu’au bout dans le traitement de la crise. Ce que je crains, c’est que nous restions dans une vision de la crise un peu courte. Le Président de la République, quand il dit: « nous sommes devant une crise sans précédent, la plus importante depuis un siècle, il a raison ». Encore faut-il en tirer toute les conséquences.
Cette crise, elle est sans précédent, elle est d’une profondeur inouïe et elle va tout changer, et en particulier la hiérarchie des Etats dans la nouvelle donne internationale.
Mais encore faut-il dire que derrière la crise conjoncturelle, que nous prenons en compte et que le Président prend en compte, et qui durera 2 ans, 3 ans, 5 ans, 10 ans, il y a une crise structurelle qui est que nous avons changé de Monde. Et ça, c’est irréversible. Ce changement-là, il implique dans nos comportements, dans nos stratégies, que nous en tirions les leçons. Et pour aborder ce tournant, il faut accepter de dire la vérité aux Français.
La vérité politique, elle est simple: c’est que l’élection présidentielle, elle s’est faite sur un constat: « tout ce qui a été fait avant n’est pas la réponse et nous allons rompre avec un certain modèle social français ».
Nicolas Sarkozy a dit pendant l’émission que la rupture n’avait jamais été pour lui un objectif, que c’était un moyen. Ca devrait vous avoir fait plaisir, ça, non?
Tant mieux. Il n’en reste pas moins qu’il s’agissait de rompre avec un certain modèle social français pour mettre en place un modèle qui semblait avoir réussi, mais qui se trouve, modèle anglo-saxon, se trouve avoir complètement échoué dans la crise. Je crois qu’il faut partir de là.
Donc, la rupture, elle est à inventer à travers la crise. La rupture en France, elle n’a pas eu lieu. Je suis maintenant d’accord pour que nous rompions avec un certain nombre de mauvaises habitudes, pour que nous rompions avec un certain nombre de comportements et que nous ayons la vision du Monde qui va se dessiner sous nos yeux. (…)
Dans la crise, il y a un clavier, il y a des exigences. Il y a un devoir de vérité, je l’ai dit. Il y a un devoir de responsabilité, et en particulier quand on regarde la situation de l’endettement public (déficit public, déficit commercial, 55 milliards, nous l’avons appris). Il va donc falloir trouver le moyen d’être plus compétitif pour véritablement répondre à cette situation.
Mais il y aussi un devoir de vision. Que l’on cherche, une fois de plus, à répondre à l’nquiétude sociale des Français, c’est nécessaire. Nicolas Sarkozy a ouvert un certain nombre de pistes; à lui aussi de trouver la bonne façon de répartir la tache entre Premier Ministre et Président de la République. Mais il y a une vision indispensable. Comment nous faisons en sorte que notre pays soit plus innovant? Comment nous faisons pour que dans la crise, nos comportements soient plus vertueux? Et de ce point de vue-là, je crois que les leçons nous viennent des Etats-Unis. Quand Barack Obama dit…
Quand Barack Obama instaure un salaire maximum pour les patrons des sociétés qui reçoivent des aides publiques, vous feriez ça en France, vous?
Justement. Il pose une question et je crois qu’enfin, il s’adresse à la crise au bon niveau. Il est évident qu’il faut être plus vertueux. Nous sommes dans un monde où nous devons donner l’exemple et être plus vertueux.
Que les entreprises aidées soient sujettes à un certain nombre de contraintes, par exemple à un certain niveau de salaires, je pense qu’il serait plus utile de travailler sur l’écarts des salaires. Je pense que c’est une piste.
En tout état de cause, la compétition mondiale va se faire aussi comme cela: capacité à respecter les énergies vertes, capacité à respecter des écarts salariaux, il y a là une exigence.
Source: Europe 1