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Comment je suis devenu villepiniste, par Samuel Gontier

Sur son blog, Samuel Gontier, journaliste à Télérama, revient, dans un billet teinté d’humour, sur la prestation de Dominique de Villepin hier soir chez Frédéric Taddéi.

Quel panache ! Quelle passion ! Quelle éloquence ! Hier, Dominique de Villepin a sorti le grand jeu dans Ce soir (ou jamais !). On se serait cru à la tribune de l’ONU. Quel numéro ! Dès qu’il ouvrait la bouche, ce n’était qu’élans enfiévrés, transports exaltés, emportements endiablés. Ce type est une véritable machine à lyrisme.

Drapé dans une inhabituelle cravate aussi rouge que de Villepin est bronzé, Taddéi en restait bouche bée. En une heure de débat, il a dû poser deux questions. Il faut dire que l’ancien Premier ministre était entouré de deux autres professionnels du verbe, Bernard Guetta et Pascal Bruckner, et de deux valeureux universitaires, Maurice Vaisse et Yves Lacoste. Le thème, « Obama : une nouvelle donne internationale ? », s’est vite transformé en discussion sur la politique étrangère de la France.

Frédéric Taddéi a bien fait de s’effacer, le débat avançait tout seul. Les interlocuteurs se respectaient, se complétaient, se laissaient développer leur pensée sur des durées inusitées à la télé. C’était équilibré, enlevé, constructif. Et brillant. Aussi brillant que les mèches blanches de Dominique de Villepin sous les projecteurs. Ça faisait bizarre de le retrouver en chair et en cheveux après avoir vu son double, Louis de Cigy, en élève de l’ENA dans L’Ecole du pouvoir, lundi sur Canal+.

Dans mon canapé, j’avais l’impression de siéger à l’ONU. Comme les autres membres du Conseil de sécurité – pardon, les autres invités de Taddéi –, j’étais scotché, sidéré, envoûté par les envolées du diplomate. D’ailleurs, seul Pascal Bruckner a osé lui opposer un veto. Il est certain que sa verve impétueuse recelait beaucoup d’angélisme, d’idéalisme, de naïveté voire de démagogie – célébrer sans réserve le rôle de la France en Afrique, tu m’excuseras, Dominique, mais il y a comme un hic, même pour un Bisounours de la géopolitique.

N’empêche, son programme était plutôt séduisant. Eviter que la France succombe au repli sur soi qui tente le monde occidental, renoncer au recours à la force pour établir des relations égalitaires avec les pays du Sud et avec les puissances émergentes. Un discours sans lendemain qui ne coûte rien ? Sûrement. Mais si j’ai envie de rêver avec Dominique ? (permettez que je l’appelle Dominique). Même si ses vœux sont pieux, un peu d’optimisme dans un monde de brutes, ça fait toujours du bien. D’autant que, sous le bronzage des bons sentiments, sont tout de même apparues quelques prises de position tranchantes. Ainsi, l’ancien Premier ministre s’est impétueusement emporté contre le retour de la France dans le commandement de l’Otan, raillé pour sa « quincaillerie militaire ».

Autre mise au point d’importance, pour de Villepin, si la France (et ses alliés) veut aider à la résolution du conflit israélo-palestinien, elle doit trouver « une position équilibrée qui ne se situe surtout pas à équidistance des deux parties, à cause de la nature asymétrique du conflit : d’un côté, un Etat fort, puissant, influent ; de l’autre, un pays pauvre, sans Etat, découpé en morceaux. » Bref, si l’on veut parvenir à la paix, les Palestiniens auront besoin de plus de soutien que les Israéliens qui se débrouillent très bien. Ça m’a séduit, cette histoire d’« équilibre » et d’« équidistance », car nos analyses sur le traitement médiatique du conflit aboutissent à un diagnostic comparable : la recherche de la neutralité n’est pas la garantie d’une information équilibrée.

Encore une conviction, partagée par tous les invités : celle que la force armée ne fera pas revenir la paix en Afghanistan. Même s’il a peu parlé, Yves Lacoste se révélait le plus intéressant sur le sujet. Yves Lacoste ! J’étais tout ému de le voir en vrai. Je ne l’imaginais absolument pas comme ça. Mais il ne m’a pas déçu. Je l’ai même trouvé adorable quand, à la toute fin de l’émission, il a ouvert sa main pour y lire l’imprononçable nom d’un capitaine australien qui mène une politique intelligente dans le district dont il a la charge. Une antisèche écrite au stylo dans la main ! C’était trop chou, venant d’un très sérieux ponte de la géopolitique au style IIIe République.

Yves Lacoste, je l’avais souvent entendu à la radio, mais c’était la première fois que je le voyais à l’écran. Peut-être y a-t-il fait d’autres apparitions (qui m’ont échappé), mais il ne me semble pas réputé pour être une bête des plateaux télé. Je ne l’ai jamais vu chez Ardisson, chez Mireille Dumas ou chez Ruquier. Heureusement qu’est arrivé Ce soir (ou jamais !). C’est dingue le nombre de gens passionnants que cette émission réussit à faire sortir de leur tanière. Il va falloir que j’envisage un sevrage, sinon « Ma vie au poste » risque de devenir « Ma vie devant Taddéi ».

Source: Samuel Gontier (Télérama)

Article reproduit avec l’autorisation expresse de son auteur

Vous pouvez revoir l’émission en cliquant ici.

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