Interviewé par Le Parisien, Dominique de Villepin porte un jugement inquiet et sévère sur la réponse du gouvernement à la crise : ce qu’il faudrait selon lui, c’est un plan de modernisation de notre économie et pas un plan de relance. Il met aussi en garde contre une politique qui « rognerait » les libertés. Aujourd’hui avocat international, il prépare par ailleurs sa défense après son renvoi en correctionnelle dans l’affaire Clearstream.
Le Parisien: La France doit-elle, comme l’Allemagne, revoir son plan de relance ?
Dominique de Villepin: Nous n’avons pas les mêmes marges de manoeuvre que l’Allemagne ou les Etats-Unis, qui disposent d’une meilleure équation financière et d’une réactivité plus forte. La France a fait le choix d’un plan de relance de 26 milliards d’euros centré sur l’investissement dans les infrastructures et les travaux publics. Hélas, les effets risquent d’être trop lents, d’avoir peu d’incidence sur l’emploi et au bout du compte de n’être pas utiles pour notre économie ! Si l’on vise un effet rapide, privilégions le logement, qui emploie beaucoup de main-d’oeuvre. Si on veut des réformes de fonds, investissons dans l’innovation qui permet de préparer l’avenir. Voilà deux leviers qui auraient été à mon sens beaucoup plus efficaces. Aujourd’hui on est dans la réforme tous azimuts, mais surtout dans la dispersion de l’effort.
Ce tir groupé de réformes ne vous semble pas efficace ?
Nicolas Sarkozy dit : « A force d’écrire que j’en fais trop, au moins on ne se pose pas la question de savoir ce que je fais ». Selon moi la vraie question est la suivante : fait-on bien ce qu’il faut faire et est-ce efficace ? Je crains que nous ne nous dispersions. Ce n’est pas tant d’un plan de relance que nous avons besoin, mais d’un plan de modernisation s’accompagnant d’une aide aux plus fragiles pour passer le cap d’une crise grave et qui sera longue. Il faut faire en sorte que nous puissions rebondir le plus rapidement possible et que nous en sortions plus forts que les autres. Ce que je crains, c’est la confusion et la division qui épuisent nos forces…
Comment jugez-vous la stratégie du gouvernement ?
Notre stratégie doit être adaptée à notre situation budgétaire, à notre système économique et à nos fragilités sociales. Nous sommes un pays à faible consensus social. En outre, nous supportons le fardeau d’initiatives idéologiques, l’une de gauche et l’autre de droite : les 35 heures qui coûtent au budget plus de 20 milliards d’euros par an et les 15 milliards du paquet fiscal. Ne faisons pas comme si nous avions aujourd’hui les coudées franches. Comme si accroître les déficits était indolore ! Nous allons avoir un déficit budgétaire en 2009 de 100 milliards, une dette publique de plus de 1 100 milliards ; 100 milliards de déficit, cela signifie 5 milliards d’intérêts supplémentaires à payer tous les ans par tous les Français. Le déficit public, qui a été ramené à moins de 40 milliards en 2006 sous mon gouvernement, aura presque doublé à la fin de cette année. C’est colossal. Agissons dans un souci d’efficacité et d’économie : ainsi le prolongement de trois ans des droits de concessions autoroutières pourrait permettre de dégager en contrepartie une capacité d’investissement par les entreprises de 3 milliards d’euros avec à la clé des dizaines de milliers d’emplois.
Certains reprochent à Sarkozy de déplacer en permanence le débat d’un sujet à un autre…
Il y a deux miroirs aux alouettes dans le débat actuel : la rupture et la réforme tous azimuts. Ce qui compte c’est la bonne réforme. Avec pour seules questions : quelle politique, quel coût, quelle efficacité ? Nous ne pouvons pas tout faire. Il faut privilégier la réforme à coûts limités, compte tenu de nos faibles marges financières, et la réforme qui permettra d’opérer une modernisation de fond, plutôt qu’une réforme idéologique qui divise mais ne sert pas le pays. Rien n’est pire que le sentiment de conduire la réforme avec des arrière-pensées politiciennes.
Fabius et Bayrou craignent une radicalisation du corps social sous des formes inédites…
L’inquiétude des Français est très grande. S’ils ont le sentiment que l’action ne produit pas de résultats, il y a effectivement le risque d’une radicalisation. Je comprends qu’il soit tentant de vouloir rester seul maître du jeu en divisant pour régner, mais c’est dangereux. Il est très important au contraire de rassembler pour agir.
Que pensez-vous du projet du gouvernement de restreindre le pouvoir d’amendement des parlementaires ?
Les Français souffrent dans leur vie quotidienne, sur le plan économique et social, il ne faut pas qu’ils souffrent sur le plan des libertés. J’ai beaucoup médité sur ce qui s’est passé aux Etats-Unis après le 11 Septembre. On ne peut accroître sa sécurité en cédant à la peur et en rognant les libertés publiques. George W. Bush en a payé le prix. C’est le pari inverse qu’il faut faire : celui de la confiance avec les Français. C’est vrai pour l’audiovisuel public : c’est une erreur de vouloir faire nommer le président de France Télévisions par l’Elysée, une erreur de vouloir supprimer le juge d’instruction sans la contrepartie d’une indépendance du parquet. Et ce serait une erreur de réduire le pouvoir d’amendement des textes de loi par les parlementaires. Devant ces mesures qui peuvent conduire à une régression des libertés publiques, il y a des risques de réactions extrêmement vives. Le président et le gouvernement auraient tout à gagner au contraire à faire le pari de la liberté et de la confiance. Nous avons besoin d’un peuple français responsable, lucide et rassemblé. Nous avons besoin d’un vrai pacte de confiance avec les citoyens.
Source: Philippe Martinat et Henri Vernet (Le Parisien)