Il fut un temps où Nicolas Sarkozy organisait lui-même des retraites en bon ordre, face aux offensives de la jeunesse.
Avec les potes de SOS-Racisme, les enfants de son copain socialo « Juju », Julien Dray, il conjurait le conflit du smic-jeunes. En 2006, il s’évertuait à étouffer le contrat première embauche de Dominique de Villepin, encourageant même le socialiste Bruno Julliard, alors président du syndicat étudiant Unef – lequel, aujourd’hui dirigeant du PS, s’est fait un malin plaisir de rappeler cette complicité d’un instant.
C’était le bon temps? Mais ça n’arrivera plus. Pas parce que Nicolas Sarkozy, devenu président, incarnerait désormais la droite inflexible… mais parce qu’il n’existe plus de « Juju », plus de Julliard, avec qui la droite au pouvoir pourrait sécuriser une fin de conflit, si la jeunesse s’enflammait. Ni interlocuteur, ni médiateur possible.
Une armée imprévisible (Le Journal du Dimanche)
Les manifestations lycéennes qui explosent, un peu partout en France, ne sont pas dirigées par une main invisible – socialiste, trotskiste ou anarchiste. Elles démarrent, sans logique apparente, elles cristallisent en Bretagne ou en Midi-Pyrénées (des classiques des contestations juvéniles), elles s’étendent, à la surprise des organisations lycéennes ou étudiantes de gauche, qui auraient préféré un mouvement de masse en janvier, pour gâcher la rentrée présidentielle!
Mais les bases filent entre les doigts des militants, pleines de sève et parfois de violence, sans que nul ne puisse les discipliner. Nul ne sait si Noël calmera les jeunes, comme l’espère le pouvoir, ou si le feu va continuer à prendre, cette semaine, puis survivre à la trêve. Et les « orgas » vont prendre le train en marche, sans penser qu’elles pourront le stopper.
C’est cela qui inquiète en haut lieu, et qui tourmente Xavier Darcos, le ministre de l’Education, malgré sa sérénité apparente. Une situation volatile, sans interlocuteur ni médiateur possible.
Depuis des mois, Darcos a joué les meilleurs élèves de la classe Sarkozy: l’homme qui avance sur ses réformes en chantonnant « même pas mal », conjurant les risques par la communication et l’assurance d’une tranquilité sociale.
Les professeurs, échaudés par le précédent de 2003, quand leurs journées de grève avaient été retenues sur leurs traitement, n’oseraient plus s’y risquer, se vantait-on, jusqu’à l’Elyusée! Mais la frustration des profs a entretenu un climat, et les gamins sont aussi, aujourd’hui, une arme de substitution.
Le pouvoir et la rue (Le Monde)
La France n’est pas la Grèce et la météorologie sociale n’est pas une science exacte. Pour autant, de Nicolas Sarkozy à Olivier Besancenot, de Martine Aubry à Bernard Thibault, chacun a raison de scruter avec la plus grande attention les turbulences qui pourraient bien secouer la société française.
Car la crise financière et économique qui submerge le monde ne peut qu’accentuer les fractures déjà anciennes dont souffre notre pays.
Fracture sociale, avec la remontée brutale du chômage, la multiplication des plans sociaux, le recul des protections, la stagnation du pouvoir d’achat. Fracture générationnelle d’une jeunesse de plus en plus diplômée, mais de plus en plus précarisée et inquiète. Fracture territoriale, tant il est évident que la poudrière des banlieues reste explosive.
Or face à cette inquiétude ou cette désespérance sociales croissantes, il ne reste plus guère d’écrans protecteurs ni de corps intermédiaires.
L’Europe ? Elle a cessé, depuis belle lurette, d’être une nouvelle frontière prometteuse. L’Etat ? Il est de moins en moins en mesure de juguler les soubresauts d’une économie mondialisée. Pis, son autorité d’hier cède volontiers la place à la tentation de l’autoritarisme. Le gouvernement et son chef, fusible commode depuis un demi-siècle ? L’hyper-présidence de Nicolas Sarkozy les a fait disparaître.
Quant aux partis politiques et aux syndicats, ils sont en piètre condition.
Le psychodrame narcissique auquel se sont livrés les socialistes depuis des mois n’est pas de nature à convaincre les Français que la gauche réaliste se préoccupe sérieusement de leur sort. L’on n’aura pas la cruauté de souligner combien le congrès du Parti communiste témoigne, ces jours-ci, de l’effondrement des utopies alternatives, reprises à son compte par une extrême gauche plus soucieuse d’attiser la colère que de la canaliser pour lui offrir un débouché. Enfin, les récentes élections prud’homales ont démontré plus que jamais la faiblesse du mouvement syndical français.
L’effacement de ces médiateurs institutionnels accentue inévitablement le face-à-face entre le président de la République, seul, et l’inquiétude sociale, diffuse. Entre le pouvoir et la rue. La France n’est pas la Grèce. Mais.
Sources: Claude Askolovitch (Journal du Dimanche) et Le Monde