Ambitieux et doué pour occuper le devant de la scène politique, Philippe Douste-Blazy a disparu des écrans radar avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Élysée.
Depuis, dans l’ombre, l’homme a repris ses cours de médecine et se consacre aux financements innovants de l’aide au développement. Sujet d’avenir, il en est sûr, qui est d’actualité ce week-end à Doha, au Qatar, où se tient la conférence de l’ONU sur le financement du développement.
Il a toujours la Citröen C6 bleu ministre, mais plus de chauffeur. Plus de tapis rouge non plus pour mener à son bureau derrière le porche anonyme d’une rue piétonne du VIe arrondissement de Paris. « Douste » est passé en coulisses. À 55 ans, il a quitté le feu des projecteurs, changé de métier, mais pas franchement de vie. L’ancien chef de la diplomatie se démène plus que jamais, échafaude des projets et voyage beaucoup : l’Afrique, les États-Unis et samedi Doha, au Qatar, où se tiendra la conférence de l’ONU sur le financement du développement, sa grande affaire désormais.
Depuis que Ban Ki-moon l’a nommé conseiller pour les financements innovants, toute la panoplie des solutions nouvelles pour lever des fonds à destination des pays pauvres, il passe dix jours par mois à New York. Le professeur de médecine qu’il fut jadis, avant la politique, a repris cette année le chemin de la fac, Paris-VII, pour donner des cours. Il surveille aussi de près le chantier du Cancéropôle, à Toulouse, où s’érige un grand hôpital de recherche sur le terrain même où explosa l’usine AZF, en septembre 2001.
Mais c’est la cause du développement qui l’occupe surtout. À Doha, il posera les jalons de son grand projet : la création de la première « contribution de solidarité citoyenne mondiale volontaire ». Cette idée, « révolutionnaire », comme il dit, se situe à la croisée de la carte bancaire et du Web : chaque voyageur, en réservant un billet d’avion par Internet, aurait la possibilité de donner quelques euros en faveur de la lutte contre les grandes épidémies (sida, paludisme, tuberculose). Petit « clic », grands effets. Selon lui, ce don « indolore » permettrait à terme d’éliminer, en bonne partie, le fléau de la mortalité infantile qui frappera 650 000 enfants dans le monde d’ici à 2015. Les potentialités sont énormes : 2,5 milliards de billets aériens sont achetés chaque année dans le monde, dont 75 à 80 % par Internet. Une telle « taxe volontaire » pourrait donc rapporter entre 800 millions et un milliard de dollars dès la première année, selon une étude réalisée par McKinsey.
Selon Philippe Douste-Blazy, l’initiative est d’autant plus nécessaire que « l’aide publique au développement ne pourra, à elle seule, régler les inégalités qui traversent notre monde ». Le constat est implacable : les fameux Objectifs du millénaire, qui visaient à réduire de 50 % la pauvreté dans le monde d’ici à 2015, ne seront pas atteints. D’après l’ONU, il faudrait 150 milliards de dollars par an pour toucher ce but, or on n’en récolte que 105. « Trois mille milliards de dollars sont échangés chaque jour sur les marchés financiers, on vient de réunir 2 000 milliards en quelques semaines pour lutter contre la crise et on ne peut pas trouver 45 milliards pour résoudre le fléau de la pauvreté », s’emporte Douste.
Pour lui, la crise financière rend l’urgence plus grande encore, avec le risque de voir se creuser la fracture entre les plus riches et les plus démunis, attisant le sentiment d’injustice, les migrations, la violence. « La prochaine crise sera bien plus terrible, quand elle concernera la subsistance de millions de pauvres », s’alarme ce nouveau chantre d’une « mondialisation équitable et solidaire ».
Inusable Douste ! Pendant plus de vingt ans, il a allégrement parcouru les allées du pouvoir, se constituant un des beaux CV ministériels de la Ve (Culture, Santé, Affaires étrangères…). En 2002, l’ex-jeune baron centriste est premier-ministrable et devient numéro deux de l’UMP après avoir amené une partie de la vieille UDF de Giscard à Chirac. Il revient au gouvernement, chauffe les salles pour Villepin puis amorce avec plasticité son rapprochement avec Sarkozy, qui se méfie de lui tout en reconnaissant ses talents de communicant hors pair.
Avant les dernières municipales, il a quitté la scène sur la pointe des pieds en démissionnant de ses fonctions de responsable UMP de Haute-Garonne.
Que d’avanies ! À Toulouse, il a perdu sa couronne dans le désamour. À Paris, on l’a raillé à tout-va jusque dans son propre camp. Dans la presse, Douste a été le candidat idéal pour les portraits à l’acide, gaffeur pour les plus amènes, insuffisant, sans foi ni loi pour les plus vindicatifs. Après la victoire de Nicolas Sarkozy, il n’est pas reconduit au gouvernement et prend une nouvelle claque.
« Tout cela m’a blessé », concède-t-il aujourd’hui.
Blessé mais pas coulé. Car Douste est la résilience faite homme. Le culbuto du Sud-Ouest a poursuivi son bonhomme de chemin. Du Quai d’Orsay, il a ramené un filon qu’il exploite toujours : l’association Unitaid, dont il est le président et qui met en œuvre la taxe sur les billets d’avion ou ex- »taxe Chirac » (400 millions de dollars consacrés notamment aux traitements pédiatriques antisida), poisson pilote pour la « contribution volontaire citoyenne » qu’il ambitionne de mettre en place à l’échelle mondiale.
Pour cela, il se dépense sans compter. Il collabore avec la Fondation Clinton, Bill Gates et Gordon Brown, prépare un livre, des conférences à Harvard et au MIT et monte à New York la fondation qui recueillera les dons. Le coup d’envoi pourrait avoir lieu à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre 2009. « J’ai pris la face nord, commente-t-il avec des accents de sincérité. Il fait froid, on est seul. Mais, au fond, est-ce que ce n’est pas ce qui m’avait toujours manqué ? Quand on sert, on vit autrement. L’aventure est passionnante. Je suis heureux. » Du grand Douste !
Et la politique ? En parler, un peu moins ; y renoncer, jamais. Quitte à s’en sortir avec une pirouette : « Vous savez, je n’ai jamais fait autant de politique que maintenant… » Quoi qu’il en dise, on parierait qu’il est en embuscade, espérant rebondir, le moment venu, au gouvernement ou ailleurs. Certes, ce n’est plus le champion du centre, d’autres lui ont ravi le titre, Bayrou en tête. Mais si la plaque tectonique du centre glisse à gauche, il est prêt à remonter en ligne ! « Le centre droit doit exister », affirme-t-il. Et d’ajouter : « L’UMP doit être un parti de centre droit, sinon il faudra en tirer les conséquences… » Un œil sur la planète, l’autre sur l’arène nationale : ainsi avancent Docteur Douste et Mister Blazy.
Source: Alain Barluet (Le Figaro)