Derniers extraits de L’Enfer de Matignon, par Raphaëlle Bacqué.
Dominique de Villepin évoque les épreuves personnelles, son départ de Matignon et la nouvelle vie qu’il a inventé depuis.
Grâce et disgrâce
Ce fut une épreuve. Oui, une épreuve qui a conduit ma fille à décider, alors qu’elle avait à peine 18 ans, de partir aux Etats-Unis. Qui a conduit mon fils aussi à faire ses études à l’étranger et ma dernière fille à s’éloigner de Paris. Oui, c’est difficile. C’est difficile parce que c’est très injuste. Il y a de fausses rumeurs, toutes sortes d’âneries qui alimentent les chroniques. Et finalement, votre popularité s’effondre sans que vous y puissiez rien.
Traverser la Seine… jusqu’à l’Elysée
La question n’est pas de savoir si j’avais une ambition présidentielle, la question était de savoir si d’autres m’en prêtaient. Manifestement, Nicolas Sarkozy m’en prêtait. C’est en tout cas le sens de beaucoup d’entretiens que j’ai eus avec lui.
Démission
Nicolas Sarkozy avait été élu quelques jours auparavant et nous avions discuté tous les deux, la veille de la passation de pouvoir avec mon successeur François Fillon, du gouvernement qui allait être nommé. Ma démission n’était qu’une formalité, puisque depuis plusieurs semaines, Jacques Chirac préparait son départ et, naturellement, moi aussi. Ma femme, Marie-Laure, a eu l’esprit de porter ce jour-là une veste sur laquelle était écrit en toutes les langues « au revoir, bye-bye, ciao… ».
La passation de pouvoir s’est plutôt bien passée, même si les images donnent le sentiment que nos rapports avec Fillon étaient froids, ce qui n’est pas tout à fait faux puisque je ne l’avais pas repris dans mon gouvernement. Mais j’ai transmis à François Fillon, et c’était une première, un dossier très complet sur les grandes actions du gouvernementales en cours, et sur ce qui nous paraissait les points les plus difficiles, les plus délicats de l’action publique. Bruno Lemaire, mon directeur de cabinet, a fait de même avec le directeur de cabinet choisi par François Fillon. Donc, du point de vue du fonctionnement de l’Etat, les choses se sont très bien passées.
Dès que nous avons quitté l’hôtel Matignon, j’ai tout de suite décidé d’emmener mon épouse déjeuner au restaurant. Et descendant dans la rue, j’ai éprouvé exactement le même sentiment que doit éprouver quelqu’eun qui a été privé de librerté pendant très longtemps. J’avais dit aux officiers de sécurité: « Ecoutez, quartier libre, allez vous reposer ». Nous marchions donc seuls. Le bonheur que l’on peut éprouver à marcher seuls dans la rue pour aller faire quelque chose d’ordinaire, aller manger une soupe et un plat de pâtes, vuos n’imaginez pas !
C’est ce qui ne vous est pas permis à Matignon: la vie ordinaire, la vie simple, sans de multiples regards qui se portent sur vous. Le fait de pouvoir se fondre dans une foule, de pouvoir avancer comme tout un chacun, j’en ai été enchanté…
Après l’épreuve
Le premier ministre qui sort touche pendant six mois ses émoluments, mais après il faut se retourner. Du jour au lendemain, il a fallu inventer une nouvelle vie. J’ai choisi de ne pas revenir au ministère des affaires étrangères et j’ai décidé de devenir avocat, de continuer à écrire, de faire des conférences. Mais il faut se prendre en main. Vous n’avez pas le temps de vous morfondre, donc j’ai fait l’économie d’une dépression nerveuse. Je n’ai pas eu à lécher mes plaies parce qu’il a fallu se battre tout simplement pour trouver une nouvelle activité. J’étais dans une position singulière: bien que premier ministre d’un gouvernement de droite précédant un nouveau gouvernement de droite et un président qui appartenait à ma famille politique, j’étais montré du doigt, poursuivi dans l’affaire Clearstream à laquelle j’ai dû consacrer du temps, de l’argent et de l’énergie pour me défendre. Et ce défi a renforcé encore l’obligation où j’étais de me refaire.
Source: Dominique de Villepin dans L’Enfer de Matignon, par Raphaëlle Bacqué (Albin Michel – 318 pages – 20 euros)