A l’issue d’un discours prononcé hier à Mexico sur le thème « Les défis du monde et les relations entre le Mexique et l’Europe », Dominique de Villepin a tenu une conférence de presse, pendant laquelle il a répondu aux questions des journalistes.
Journaliste: Vous avez mentionné dans votre discours que la France a une expérience qui pourrait être utile au Mexique dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Je voudrais savoir de quel type d’expérience il s’agit et comment le Mexique pourrait s’inspirer de cette politique.
Dominique de Villepin: Nous avons malheureusement connu le terrorisme, dans notre pays: le terrorisme régional comme au Pays Basque, mais aussi le terrorisme international compte tenu des liens entre la France et le Moyen-Orient durant les années 80 et 90.
Notre expérience, c’est que la seule chose qui permet d’être efficace est l’utilisation simultanée de tous les moyens qui permettent d’identifier les terroristes et le crime organisé. Quand je dis tous les moyens, il s’agit des éléments liés à l’intelligence, qui sont évidemment très importants: intelligence nationale mais aussi coordination avec l’intelligence internationale parce que les réseaux du crime organisé, comme les réseaux du terrorisme, sont des réseaux internationaux qui ne respectent pas les frontières.
Le second élément très important, c’est les moyens financiers: la connaissance de tous les circuits économiques, la connaissance du fonctionnement des réseaux du crime organisé et du terrorisme. C’est un élément de grande importance, car sans argent il n’y a pas crime organisé ni de terrorisme.
Le troisième élément, c’est l’utilisation des forces de sécurité qui sont les forces de police, ainsi que l’armée dans certaines situations, mais qui doivent être utilisées avec les autres éléments, et qui ne sont pas suffisants ; je dirais même que c’est parfois l’inverse.
La militarisation de la lutte contre le terrorisme, nous l’avons vu, dans l’approche idéologique des Etats-Unis en Irak ou en Afghanistan, donne souvent naissance à d’autres problèmes d’identité ou de nationalisme qui sont la conséquence de cette utilisation de moyens militaires ou policiers. C’est pourquoi il me semble qu’il est important de mettre en avant les éléments liés à l’intelligence, les éléments financiers ou économiques, tandis que la stratégie sécuritaire et militaire ne doit qu’accompagner ces éléments et ne doit pas être l’élément central. Elle doit les accompagner de manière très choisie, et en respectant scrupuleusement les règles de la démocratie, parce que le terrorisme et le crime organisé se nourrissent de l’incapacité des démocraties à respecter leurs propres principes.
La force d’une démocratie, c’est de respecter le droit, c’est une force d’aller avec la démocratie, c’est une force d’aller avec le respect, parce que les personnes qui ne sont pas d’accord respectent l’idée d’un État exemplaire, d’un État de droit ; ce qui n’est le cas ni à Guantánamo ni à Abu Ghraib, dans le cas de l’Irak.
C’est pourquoi il me semble que ces expériences doivent être partagées pour savoir comment mieux aborder les nouvelles situations, ce qui est quelque chose de central quand le crime organisé ou le terrorisme est basé sur le trafic de drogues et des éléments économico-financiers.
S’agissant des attaques qui ont eu lieu à Morelia, considérez-elle qu’elles constituent un exemple de terrorisme au Mexique ? Peut-on déjà parler de terrorisme au Mexique avec ces attaques ?
Le terrorisme peut prendre différentes formes: il peut prendre une forme idéologique, religieuse ou il peut prendre une forme économique.
La violence poussée à un certain point peut être une caractéristique du terrorisme, mais dans chaque situation il faut mesurer précisement quel est l’ennemi, il faut connaître l’ennemi et ne faut pas utiliser des modes d’action qui peuvent amplifier et augmenter le danger.
C’est pourquoi il me paraît important, dans le cas du trafic de drogues, de connaître précisément quels sont les réseaux qui agissent, quels sont les intérêts nationaux et internationaux et de savoir que face au trafic de drogues, il y a toujours des problèmes sociaux, des problèmes de de société, des problèmes d’Etats, des problèmes de corruption et que cela ne peut être combattu qu’avec un État fort et déterminé, avec un État qui a la ferme volonté de défendre l’intérêt général.
Il est évident que ce n’est pas une chose facile: comment combattre des organisations supportées par des groupes qui ont millions de dollars et qui peuvent utiliser d’autres personnes, d’autres groupes ?
Tout cela nécessite une vraie détermination et je sais qu’au Mexique, cette détermination existe quant à la volonté du président Calderón et la volonté de tous les fonctionnaires, mais il faut se rendre compte qu’il faut un État fort, un État avec le sens de l’intérêt général, ce qui n’est pas une chose facile, et c’est pourquoi partager son expérience avec d’autres pays qui ont connu un tel danger, de telles difficultés, est un élément essentiel.
Source: Partido Accion Nacional