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Sept ans de solitude

Les Cent-Jours (mars-juin 1815) parurent en 2001, Le Soleil noir de la puissance (1796-1807) sortit en 2007. Voici maintenant le chaînon manquant: La Chute, où Dominique de Villepin montre le héros en train de se perdre dans sa démesure solitaire, aussi grise que l’hiver sur la route de Smolensk.

Nous sommes loin de la dangereuse ivresse du triomphe quand le général-empereur tient l’Europe sous sa botte ; loin du panache de sa sortie de scène en 1815, après trois mois d’équipée de Golfe-Juan jusqu’à Waterloo.

L’action s’ouvre en 1807 sur la « sale guerre » d’Espagne et se clôt six mois après l’énorme bataille de Leipzig (octobre 1813) -500 000 hommes- perdue par Napoléon au terme d’une retraite de Russie devenue retraite d’Allemagne. Le brillant baroud de la campagne de France (janvier-mars 1814) ne retournera pas la situation. Viennent les adieux de Fontainebleau, le départ pour l’île d’Elbe et, déjà, chez un Napoléon haï, précocement usé, fatigué, l’incroyable sursaut: il exploite instantanément sa défaite pour se construire une légende et « retourner » l’image des sept années calamiteuses qui s’achèvent.

Au fil de sa conclusion, Dominique de Villepin donne la clé de ces trois points de vue: « Le caractère illusoire de la puissance est, avec la solitude du pouvoir et les méfaits de l’esprit de cour, un autre fil d’Ariane du triptyque qui s’achève. Chacun a été revu à un moment particulier de mon existence dont le hasard a voulu qu’il ne soit pas sans résonance avec le sujet. Les Cent-Jours ou l’Esprit de sacrifice ont été achevés sous la troisième cohabitation, à l’aube d’une reconquête du pouvoir, lourde d’épreuves futures. Le Soleil noir de la puissance a été largement rebâti à l’aune de ma charge de ministre des Affaires étrangères, observatoire privilégié pour comprendre l’impasse de la politique étrangère américaine, sur plusieurs points fille de l’illusion napoléonienne. Enfin, l’histoire de la chute de Napoléon s’est bien évidemment approfondie en miroir des derniers mois passés à Matignon et de l’année qui a suivi. La solitude a été ma compagne quotidienne face aux jeux des conservatismes, des intérêts et des partis. »

Le plus original des trois livres

Inutile toutefois de chercher des allusions au présent ou des coups de griffe dans ce grand récit méditatif. C’est cette couleur née de l’expérience qui compte, enrichie d’une maîtrise dans la synthèse, indéniablement affinée par l’exercice du pouvoir. Au petit jeu d’une lecture politicienne de ce livre, Napoléon semble répondre lorsqu’il lance au tsar Alexandre Ier: « Une nuée de Pygmées ne veut pas voir que les événements actuels du monde sont tels qu’il faut en chercher la comparaison dans l’histoire et non dans les gazettes. »

L’écriture s’est faite sobre, incisive, sachant néanmoins se déployer dans les grandes occasions: les tableaux géopolitiques de l’Europe, l’analyse des batailles, les intrigues de Talleyrand et Fouché, le divorce d’avec Joséphine, le portrait intellectuel de l’Empereur devenu paradoxalement le meilleur praticien de la contre-révolution. Voire, à propos du blocus, cette approche stimulante des liens entre l’économie et la politique, domaine où Napoléon favorisera, malgré lui, l’excellence anglaise.

Particulièrement dense: l’évocation de la guerre d’Espagne. C’est le début de la fin: une honte destructrice ronge désormais l’idéal français. Napoléon, l’homme pressé, voit naître, de surcroît, une nouvelle forme de guerre, une nouvelle tactique anglaise, sans en tirer les conséquences. Ces grands moments -y compris bien sûr ce qui concerne la Russie- font de ce livre le plus original des trois. Rendre passionnantes des années ingrates est moins aisé que de chanter l’épopée. La leçon politique en est d’autant plus forte.

La Chute ou l’Empire de la solitude: 1807-1814, de Dominique de Villepin, Perrin, 530 pages, 24,80 euros.

Source: Jean-Maurice de Montremy (Le Journal du Dimanche)

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