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Dominique de Villepin: "Napoléon est aussi grand dans la chute que dans la gloire" (2/2)

Après une première partie entièrement consacrée au personnage de Napoléon, la seconde partie de l’entretien exclusif accordé par Dominique de Villepin au Figaro Magazine s’oriente subtilement vers la situation politique actuelle.

L’ancien Premier ministre prône une politique de justice sociale pour répondre au malaise actuel sur le pouvoir d’achat, dénonce une nouvelle fois les effets néfastes de l’esprit de Cour et évoque avec pudeur « l’immense solitude de l’homme d’Etat au sortir du pouvoir ».

Il demande enfin que soit fixé « un dessein commun », c’est-à-dire une vision renouvelée et partagée du rôle de la France dans le monde, susceptible de rassembler les Français face aux défis du nouveau siècle.

Le Figaro Magazine: Cette dissension entre le temps politique et le temps réel n’est-elle pas toujours d’actualité, même dans une société française apaisée?

Dominique de Villepin: Absolument. Regardons les importantes réformes engagées dans les dernières années, elles n’ont pas encore produit tous leurs effets, créant un sentiment de malaise manifeste sur la question du pouvoir d’achat. Il faut donc trouver le moyen d’expliquer et d’atténuer le poids des difficultés par une politique de justice sociale.

« Plus on s’élève, plus on s’isole », dites-vous à propos de Napoléon. Mais la solitude n’est-elle pas inscrite dans le destin personnel de tout homme d’Etat?

L’homme d’Etat est confronté à deux solitudes. Celle choisie, nécessaire, qui permet d’opérer des choix sans que les pressions ou les groupes d’intérêts aient de prise sur lui : c’est ce que j’appelle le « laboratoire de l’intérêt général ». Il est évident qu’il est très difficile de définir l’intérêt général dans le bruit, la rumeur, la pression… Et puis, il y a la solitude subie, celle du mur qui s’établit entre le dirigeant et le peuple. C’est cette solitude extrêmement négative que vient occuper la Cour et qui ronge la conscience de l’homme de pouvoir, accroissant chez celui-ci l’apathie, l’incertitude, la difficulté à gouverner et à choisir des dirigeants.

Comme vous l’écrivez, il y a aussi cette « immense solitude de l’homme d’Etat au sortir du pouvoir, le vide succédant sans transition au trop-plein, le silence au bruit, l’abandon à l’adulation »…

Chez Napoléon, cette forme de solitude entraîne une métamorphose. C’est le moment où l’Aigle replie ses ailes pour mieux bondir, quand il fait preuve d’analyse et de récupération. On le voit magnifiquement à l’île d’Elbe, où sa solitude n’est rompue que par quelques messagers ou des familiers qui ont accepté de le suivre, mais où il se refait une santé physique et où il reprend son élan avant un nouvel envol. De la même façon, dans les premiers temps de Sainte-Hélène, il n’a pas perdu l’espoir de revenir. Au fond, la solitude au lendemain du pouvoir correspond à un temps de conscience très aigu. En résumé, si le sentiment d’abandon est naturellement difficile à vivre, toute traversée du désert peut se révéler extrêmement féconde. Tout est une question de tempérament.

Ce que vous dites à propos de Napoléon est-il également valable dans votre cas personnel?

Napoléon connaît l’abandon total, la trahison, la défaite, l’exil. En ce qui me concerne, j’ai toujours fonctionné dans un esprit de mission. J’ai toujours relevé des défis à partir des missions qui m’ont été confiées : qu’il s’agisse de suivre Jacques Chirac à l’Elysée ou d’accepter une nomination à la tête d’un ministère, puis du gouvernement. En dépit de leurs difficultés, chacune de ces missions m’a comblé.

Comment expliquez-vous que Napoléon parle encore à la France de 2008?

Cela tient beaucoup à la complexité de l’Empereur, qui est un homme à facettes multiples, capable de formidables métamorphoses, haï par les uns, admiré par les autres. Cela tient aussi au parcours exemplaire d’un homme à qui on peut aujourd’hui encore s’identifier : l’apprentissage de Brienne, l’adhésion à la Révolution française, le rêve d’une France plus grande que les Français, la capacité de surmonter les crises… De plus, il y a l’empreinte qu’il a laissée dans l’Histoire. Elle est encore visible chez nous et nos voisins. Enfin, Napoléon est aussi grand dans la chute que dans la gloire… et il est encore plus grand dans la légende. Cette légende qu’il a d’ailleurs commencé à fabriquer lui-même de son vivant à travers les fameuses proclamations, le Mémorial de Sainte-Hélène et, plus globalement, via une politique de communication sans égale. Il est le premier grand communicateur moderne, un homme qui a su agir sur la psychologie collective, frapper les esprits comme l’histoire du monde en a laissé peu d’exemples.

Et pour vous, en quoi peut-il être considéré comme un modèle d’homme politique?

Je ne cesse de me poser la question suivante : la Révolution française est-elle terminée? Est-ce que cette coupure entre la société et le pouvoir a vraiment été surmontée? Lorsque l’on voit la suspicion des Français à l’égard de la politique et du pouvoir, on peut se le demander. Or, on voit bien chez Napoléon cette quête permanente de réconciliation entre les Français en même temps que son obsession de la fusion des légitimités. Cette idée de réconciliation reste le point central de la politique française. Pour y parvenir, il faut fixer un dessein commun. Napoléon a su le faire lors du Consulat, mais le rêve impérial a révélé l’inanité d’une politique de puissance. De Gaulle a également su nous rassembler au sortir de la Seconde Guerre mondiale face au défi de la décolonisation. Ma conviction est que la mondialisation appelle la fixation d’une nouvelle vision fidèle à notre histoire, mais adaptée aux réalités du nouveau monde qui surgit sous nos yeux et que nous redoutons, car nous le comprenons mal.

Source: Le Figaro Magazine (Propos recueillis par Jean-Christophe Buisson et Raphaël Stainville)

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