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Russie-Géorgie: l'analyse d'Hélène Carrère d'Encausse (2/3)

« Depuis l’arrivée au pouvoir en 2003 de Saakachvili, la crise latente entre Moscou et Tbilissi est devenue une véritable confrontation. Le président géorgien a affiché une double ambition : restaurer l’autorité géorgienne sur la totalité du territoire, et surtout s’imposer aux États-Unis comme leur meilleur allié au Caucase, pour leur permettre d’en éliminer la Russie.

Cette seconde ambition est la toile de fond et la vraie cause du conflit armé d’août 2008.

Le sort des Ossètes et des Abkhazes importe peu, en définitive, à la Russie, même si elle y a attisé le feu du séparatisme pour affaiblir Saakachvili et son zèle atlantiste. Mais il s’agit ici des leviers de l’action russe et non de la logique de son action. Ce qui est au cœur du conflit pour Moscou, c’est la puissance perdue il y a près de vingt ans, l’humiliation d’un pays privé d’Empire et qui a essayé vainement de construire avec ses anciennes possessions une communauté d’un type nouveau, tandis que ses partenaires potentiels se dressaient contre lui et se tournaient vers l’Occident, les États-Unis, avant tout.

De plus, il a été insupportable à la Russie que les États-Unis, qui dominaient seuls la scène internationale, s’emploient à l’éliminer de ses terrains traditionnels en Asie centrale et au Caucase. Pendant près de vingt ans, la ­Russie a dû faire face à ce déclin de puissance, à l’élargissement de l’Otan à ses frontières, à un jeu international où elle n’était plus entendue, même si elle conservait son statut de membre permanent du Conseil de sécurité. La popularité de Vladimir Poutine, au terme de deux mandats présidentiels, tient à ce qu’il incarne le sursaut russe et le refus du déclin.

Dans cette tentative d’écarter la Russie de la scène internatio­nale, la Géorgie a tenu une place particulière. C’est dans ce contexte que l’on doit situer le pari auquel le président Saakachvili vient de sacrifier fort légèrement les intérêts de son pays. Depuis 2003, il a joué la carte américaine contre la Russie, convaincu qu’il serait, en toute hypothèse, soutenu par les États-Unis et que la Russie ne réagirait pas ou trouverait en face d’elle un président Bush déterminé à défendre son petit allié. C’est dans cette certitude que ­Saakachvili est passé du discours sur la nécessité de restaurer l’autorité géorgienne sur l’Ossétie à l’épreuve de force.

Et il a négligé, au passage, deux données : l’engagement croissant de la Russie dans les régions séparatistes, par la distribution notamment de passeports russes à leurs habitants, et la reconnaissance par les États-Unis et quelques pays européens de l’indépendance du Kosovo, au mépris des protestations russes, ce que la Russie n’avait pas manqué d’invoquer comme précédent possible à une future reconnaissance de l’Ossétie et de l’Abkhazie. Saakachvili a enfin et surtout surestimé le poids de la Géorgie dans la situation géopolitique mondiale, oubliant qu’à l’heure des comptes elle pourrait peser moins dans les calculs américains que le nécessaire soutien russe face à l’Iran.

À ce pari imprudent d’un président qui y risque sa légitimité, la réponse russe a été, sans aucun doute, disproportionnée. Une guerre punitive contre un petit État est aussi un pari dangereux pour celui qui l’engage.

Mais la Russie a mis à profit l’occasion que lui offrait Saakachvili pour arrêter l’érosion de ses positions et lancer un signal clair au monde, indiquer qu’il existait des limites aux entreprises destinées à l’affaiblir, au Caucase ­surtout.

Ce signal s’adresse, avant tout, aux pays que la Russie tient pour proches d’elle. Et il est significatif que l’Ukraine qui, avec la Géorgie, tente de forcer les portes de l’Otan, soit restée plutôt silencieuse dans ces jours de crise. Elle n’est pas moins hostile à la Russie que la Géorgie, mais ses responsables semblent avoir entendu la leçon.

C’est à l’heure de la négociation qu’il importe de prendre en compte l’arrière-plan de la guerre que le conflit a, d’une certaine façon, dissimulé, et qui va peser sur le résultat final. Si le président Medvedev, opportunément revenu sur le devant de la scène, a annoncé tout de go qu’il mettait fin aux hostilités, s’il s’est dit prêt à accepter le plan de paix qui lui était proposé, c’est que son accord porte sur la réalité existante et non sur les apparences, c’est-à-dire sur la fiction de l’intégrité territoriale géorgienne. »

Source: Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française (Le Figaro)

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