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"Le rêve de Bismarck (Fantaisie)": un texte inédit d'Arthur Rimbaud

Un texte inédit du poète Arthur Rimbaud (1854-1891), écrit à l’âge de 16 ans, vient d’être découvert 138 ans après sa publication dans un ancien journal de Charleville-Mézières, sa ville natale du nord-est de la France.

Le texte en prose, intitulé « Le rêve de Bismarck », d’une cinquantaine de lignes, avait été publié sous la signature de Jean Baudry dans le numéro du 25 novembre 1870 du journal Le Progrès des Ardennes, lui-même retrouvé dans des conditions rocambolesques. Jean Baudry est un pseudonyme de Rimbaud, connu des spécialistes, avec lequel le poète envoyait des textes au journal et notamment ce « Rêve », un texte à parfum patriotique dirigé contre le prince Otto von Bismarck, chancelier du royaume de Prusse puis de l’Empire allemand.

Voici le texte intégral d’Arthur Rimbaud, l’un des poètes préférés de Dominique de Villepin:

« C’est le soir. Sous sa tente, pleine de silence et de rêve, Bismarck, un doigt sur la carte de France, médite ; de son immense pipe s’échappe un filet bleu.

Bismarck médite. Son petit index crochu chemine, sur le vélin, du Rhin à la Moselle, de la Moselle à la Seine ; de l’ongle il a rayé imperceptiblement le papier autour de Strasbourg ; il passe outre.

À Sarrebruck, à Wissembourg, à Woerth, à Sedan, il tressaille, le petit doigt crochu : il caresse Nancy, égratigne Bitche et Phalsbourg, raie Metz, trace sur les frontières de petites lignes brisées et s’arrête…

Triomphant, Bismarck a couvert de son index l’Alsace et la Lorraine ! Oh ! sous son crâne jaune, quels délires d’avare ! Quels délicieux nuages de fumée répand sa pipe bienheureuse !

**

Bismarck médite, Tiens ! un gros point noir semble arrêter l’index frétillant. C’est Paris.

Donc, le petit ongle mauvais, de rayer, de rayer le papier, de ci, de là, avec rage, enfin, de s’arrêter… Le doigt reste là, moitié plié, immobile.

Paris Paris ! Puis, le bonhomme a tant rêvé l’œil ouvert que, doucement, la somnolence s’empare de lui : son front se penche vers le papier ; machinalement, le fourneau de sa pipe, échappée à ses lèvres, s’abat sur le vilain point noir…

Hi ! povero ! en abandonnant sa pauvre tête, son nez, le nez de M. Otto de Bismarck, s’est plongé dans le fourneau ardent. Hi ! povero ! va povero ! dans le fourneau incandescent de la pipe… hi ! povero ! Son index était sur Paris ! Fini, le rêve glorieux !

**

Il était si fin, si spirituel, si heureux, ce nez de vieux premier diplomate !

Cachez, cachez ce nez !

Eh bien ! mon cher, quand, pour partager la choucroute royale, vous rentrerez au palais (…) avec des crimes de… dame (…) dans l’histoire, vous porterez éternellement votre nez carbonisé entre vos yeux stupides !

Voilà ! Fallait pas rêvasser ! »

Jean Baudry (Arthur Rimbaud)

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