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Liberté de la Presse: L'AFP refuse sa soumission; qu'importe, le gouvernement va changer la loi !

En pleine polémique autour des critiques que Nicolas Sarkozy a émises contre certains médias, la ministre de la Culture Christine Albanel suggère dans le Journal du Dimanche que l’Agence France Presse pourrait diffuser l’intégralité des communiqués de presse des partis et des organisations syndicales.

Selon le JDD, le principe de ce « service supplémentaire » de l’AFP est inclus dans le projet de loi autorisant les journalistes à ne pas divulguer leurs sources, que Mme Albanel et la ministre de la Justice Rachida Dati présenteront à l’Assemblée nationale la semaine prochaine.

La société des journalistes de l’AFP s’insurge contre l’idée, estimant qu’ »on n’est plus dans le domaine du journalisme ».

La ministre de la Culture juge que les partis et syndicats pourraient ainsi exprimer « plus largement et de façon totalement neutre leurs points de vue ». Ces communiqués apparaîtraient « sur un espace spécifique et facilement accessible, selon des modalités à préciser et à organiser », précise-t-elle, avant d’ajouter qu’elle soumettra vendredi sa proposition à Pierre Louette, PDG de l’AFP.

Christine Albanel assure toutefois que ce « service » ne se substituerait « en aucun cas au travail de rédaction et d’éditorialisation des journalistes de l’AFP sur les sujets politiques ou sociaux quand ils le jugent nécessaires et pertinents ».

Mme Albanel rappelle enfin qu’elle présente la semaine prochaine, avec la Garde des sceaux Rachida Dati, un projet de loi qui « consacrera le fait que les journalistes ont le droit de ne pas révéler leurs sources d’information ».

Christophe Beaudufe, représentant de la Société des journalistes (SDJ) de l’AFP, s’est élevé contre un mélange des genres. « Notre travail de journaliste, c’est de faire une information vérifiée, recoupée et remise dans son contexte », a-t-il rappelé sur France-Info, on « ne publie jamais un communiqué, on traite un communiqué ».

Pour ce journaliste, l’idée de Mme Albanel est « un peu curieuse et pas très pratique car il y aurait des centaines de communiqués ». « Créons une boîte aux lettres géante où tout le monde viendra mettre ses communiqués, et on verra bien ce qu’il en ressortira », suggère-t-il, « mais on n’est plus dans le domaine du journalisme ».

Interrogée sur les relations tendues entre le président de la République et les médias après qu’il a accusé certains titres de « s’attribuer la fonction d’opposition », Christine Albanel rappelle que c’est Nicolas Sarkozy qui « avait pris l’engagement d’inscrire le principe de la protection des sources des journalistes dans la loi » quand il n’était encore que candidat.

« Comme tout un chacun, le président a le droit de réagir à certaines critiques, notamment lorsqu’elles sont systématiques, qu’elles le ciblent, qu’elles sont violentes et récurrentes », estime-t-elle. « Cela étant, ce n’est pas contradictoire avec son profond attachement à la liberté de la presse ».

L’aboutissement d’une semaine tendue entre la presse et le pouvoir

Nicolas Sarkozy avait accusé la presse, lors d’une réunion de l’UMP mercredi dernier, de ne pas avoir donné assez d’écho à la récente condamnation de Ségolène Royal dans l’affaire de ses ex-collaboratrices parlementaires. Il aurait également mis en cause « L’Express », « Marianne », l’AFP et le « Journal du Dimanche », les accusant de « s’attribuer la fonction d’opposition ».

L’UMP avait renchéri en affirmant qu’un « communiqué provenant des partis et groupements politiques » représente « une information en soi dont le statut de l’AFP ne permet pas à sa rédaction de juger de l’opportunité ». Sic !

Jeudi, le président de l’AFP, Pierre Louette, avait diffusé une note interne soutenant le travail de ses journalistes contre les attaques de Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP. Dans cette note, Pierre Louette « rappelle, très simplement mais très fermement, le travail souvent remarquable accompli par l’ensemble des journalistes de l’Agence, dans tous les pays et y compris en France. »

Dans son écrit, il précise, en réponse au député Lefebvre: « Quant à l’absolue exigence de relayer chaque déclaration émanant d’un porte-parole de l’un des partis politiques de notre pays, elle n’est prévue par aucun texte, ni conforme aux règles de notre rédaction: être journaliste, c’est toujours faire des choix, décider ce qui est une information et ce qui ne l’est pas. »

L’AFP n’a pas vocation « à devenir une machine à diffuser des communiqués », a également déclaré Pierre Louette. « La vigueur des attaques venues de la gauche, hier, avec Madame Royal, ou de la droite aujourd’hui, sont le meilleur indicateur externe de notre neutralité et absence de parti pris. »

Dans un communiqué publié vendredi, le SNJ (syndicat national des journalistes) a également vivement protesté: « Il est singulièrement ‘abracadabrantesque’ de constater que Nicolas Sarkozy attaque ainsi les journalistes en privé, alors que le bilan tiré par le SNJ de sa première année de présidence est particulièrement accablant pour la liberté de la presse », rugit l’organisation de la rue du Louvre.

Avant d’ajouter: « Au lieu de continuer à vouloir faire des journalistes les boucs émissaires de ses déboires dans les sondages, le président de la République serait mieux inspiré d’écouter les inquiétudes grandissantes d’une profession en crise. Et de l’aider à retrouver les conditions d’exercer pleinement, et en toute indépendance, sa mission d’informer auprès des citoyens de ce pays. »

De leur côté, dans un communiqué commun, le syndicat des journalistes CFTC et l’Union syndicale des journalistes CFDT ont appellé « les Français de toutes les sensibilités, y compris les concitoyens élus, militants ou sympathisants de l’UMP, à renforcer les garanties législatives assurant l’indépendance des rédactions, et à condamner les dénonciations infondées contre les médias pour redonner confiance aux citoyens dans l’impartialité de la presse ».

Enfin, l’opposition parlementaire reste relativement discrète sur le sujet et se contente de se plaindre de la surexposition de l’UMP: « Aujourd’hui, l’expression en faveur de l’UMP, président de la République et collaborateurs compris, a augmenté de 256 % sur TF1 et 196 % sur France 2″, selon Arnaud Montebourg qui cite des chiffres du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

Sources: Agence France Presse et Associated Press

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