L’ancien Premier ministre Dominique de Villepin connaissait bien Aimé Césaire, avec qui il partageait le goût de la poésie. Il l’avait rencontré pour la dernière fois en 2007, lors d’une visite privée. Interview.
Que retenez-vous d’abord d’Aimé Césaire ?
Ce qui fait justement sa force, c’est qu’on ne peut rien séparer : l’homme de culture, le poète, le militant politique, le chantre de la négritude. Il est tout cela à la fois. Le génie d’Aimé Césaire, par tous les combats qu’il a menés, c’est d’avoir accédé à l’universel. Qu’il s’adresse à la conscience noire ou à tout autre homme, il nous arrache par la force de son cri à notre situation pour nous élever. Cela dépasse la France, l’Afrique, l’ensemble des continents. Il s’adresse à tous ceux qui souffrent, qu’il s’agisse d’un homme lynché, torturé, assassiné, humilié. Il est celui qui défend toutes ces causes, le porte-voix d’une humanité.
Vous êtes l’auteur d’un ouvrage sur la poésie. Comment jugez-vous son oeuvre ?
Aimé Césaire a inventé une langue qui puise ses racines dans le créole, le parler des Antilles qu’il a su utiliser et transformer. Il y a quelque chose d’explosif, d’extrêmement fort dans son langage poétique. André Breton disait que sa parole était belle comme l’oxygène naissant. Il réussit à nous transformer, à nous bouleverser.
En 1931, il quitte la Martinique pour la métropole. Est-ce un tournant dans sa réflexion politique ?
Oui parce qu’il arrive à Paris au moment de l’Exposition coloniale. Il se révolte devant ceux que l’on présente dans des pavillons séparés comme des fauves en cage. C’est la prise de conscience d’une communauté, il devient le défenseur de la négritude.
Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?
C’était en 2007. J’allais lui rendre visite chaque fois que je me rendais aux Antilles où ma femme a des attaches familiales. Il était toujours affable, ouvert, rayonnant. Il aimait parler de tout et d’abord des siens, de la Martinique, de Fort-de-France qu’il avait contribué à changer. En me quittant, il me disait toujours la même chose : « Merci et continuez à vous battre pour la Martinique ». Parce qu’il n’a jamais cessé de s’occuper de sa terre. Même s’il a quitté son île en 1931, il y est revenu en 1939. Il sera maire de Fort-de-France, député. Il restera jusqu’au bout le porte-parole des Antillais. D’ailleurs si j’avais un livre à retenir de lui parce qu’il donne accès à tous les autres, c’est le « Cahier d’un retour au pays natal ».
Souhaitez-vous qu’Aimé Césaire fasse son entrée au Panthéon ?
C’est un homme qui est profondément enraciné dans sa terre. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de se déchirer sur cette question. Pour moi, il est déjà entré dans le panthéon national.
Source: Frédéric Gerschel (Le Parisien)