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Chronique de Gérard Carreyrou dans France soir: "Les vrais passéistes"

« Le débat qui aura lieu aujourd’hui à l’Assemblée nationale sur l’envoi prochain de renforts français en Afghanistan et sur le retour programmé de notre pays dans le commandement intégré de l’Otan est bienvenu.

Mais il sera hélas bien trop court pour éclairer les Français sur les enjeux considérables de ces deux décisions en apparence bien secondaires par rapport au pouvoir d’achat et aux difficultés du quotidien.

Ce qui est aujourd’hui en jeu, c’est un tournant essentiel de notre politique étrangère et un renoncement à plus de quarante ans de diplomatie autonome de la France dans la ligne définie par le général de Gaulle en 1966.

Ce n’est pas un hasard si les présidents de la République successifs, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac, pourtant si différents les uns des autres par leur personnalité et les options politiques qu’ils défendaient, avaient maintenu pratiquement la même politique étrangère fondée sur l’indépendance de la France et son autonomie de décision par rapport à nos amis américains.

En leur temps, Henry Kissinger et Richard Nixon, Ronald Reagan et George Bush père avaient, comme Bill Clinton, compris et respecté cette option fondamentale qui en Europe donnait à la France une responsabilité morale et marquait une différence par rapport à ceux qui avaient, comme les Britanniques, choisi une fois pour toutes l’alignement sur Washington.

La guerre d’Irak fut une preuve éclatante de la justesse de cette ligne : pressée par George Bush de soutenir cette guerre désastreuse, la France a refusé de s’y engager et c’est tout à l’honneur de ses dirigeants Jacques Chirac et Dominique de Villepin dont le discours à l’ONU reste dans toutes les mémoires.

Le virage qui nous est proposé aujourd’hui par Nicolas Sarkozy et le retour au commandement intégré de l’Otan nous interdirait pratiquement de faire preuve à l’avenir de notre souveraine indépendance comme en 2003 et c’est pour cela que les anciens ministres des Affaires étrangères de Mitterrand et de Chirac ont exprimé haut et fort leur désaccord.

Hubert Védrine et Roland Dumas dans ce journal et Dominique de Villepin à Canal+ ont développé des analyses convergentes, aussi bien sur l’Otan que sur l’envoi de 700 hommes de plus dans le bourbier afghan. Face à eux, on entendit l’actuel ministre Bernard Kouchner nous expliquer que les temps avaient changé depuis de Gaulle et que tous les critiques étaient « des passéistes ».

Le mot passéiste me paraît particulièrement bien adapté à tous ceux qui veulent en revenir aujourd’hui à la diplomatie alignée et atlantiste de la IVe République.

A cette époque en effet, la France, épuisée par la Seconde Guerre mondiale, perfusée par le Plan Marshall, empêtrée dans les guerres coloniales, n’avait plus les moyens de son indépendance nationale, c’était l’époque où les ministres des Finances français faisaient approuver leur budget à l’ambassade des Etats-Unis.

Grâce à de Gaulle et à ses successeurs, on a pu rompre avec ce passé dont certains semblent aujourd’hui nostalgiques.

L’actuel président de la République ne doit pas confondre la modernité indispensable, l’amitié bicentenaire avec les Etats-Unis et le grand bond en arrière dans l’alignement sur les aventures militaires de l’Otan et du Pentagone.

Il est encore temps de réfléchir. »

Source: Gérard Carreyrou (France Soir)

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