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Dominique de Villepin: "Le passage d'un monde à l'autre me fascine"

Sa « bibliothèque impériale », fruit de trente ans de passion pour l’Empire, est vendue demain, à 14h30 à Drouot, chez Pierre Bergé & Associé.

L’ex-Premier Ministre, joint par téléphone en Argentine par Le Figaro, évoque sa passion.

Que choisir dans cette bibliothèque, reflet d’une quête de trente ans sur «la tragédie d’un pouvoir condam né à la fuite en avant par l’héritage de la Révolution et l’hostilité de l’Europe», explique Dominique de Villepin, dans la préface d’un volumineux catalogue de 335 numéros, couvrant la fin de l’Ancien Régime au second Empire ? Sans jamais dissocier politique et littérature, l’ex-premier ministre a réuni une bibliothèque de lecture très ouverte, sans limite chronologique car, selon lui, l’Empire procède de la Révolution, sans a priori littéraire.

C’est une collection « très bien choisie » (estimation moyenne de 400 000 €) sur la période qui rassemble tous les grands classiques dans de très bons états : les Mémoires de l’abbé Georgel en édition originale, avec la fameuse planche coloriée du collier de la reine (800/1 200 €) ou la Correspondance de Napoléon Ier publiée par ordre de l’empereur Napoléon III, somme monumentale de 22 000 lettres et proclamations (5 000/8 000 €).

Derrière l’éclat de ces livres historiques se cachent des bijoux plus rares comme De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, fruit de trois ans de réflexions de Mme de Staël sur une République modérée où chacun puisse s’épanouir, exemplaire annoté par Pierre-Louis Roederer, ami de Talleyrand (8 000/12 000 € l’édition originale). Ou comme le Décret d’élévation aux titres de comte et de baron de l’Empire, signé à deux reprises de la main de Napoléon (6 000 à 10 000€).

Ce décret est le fondement de la IVe dynastie. « La noblesse impériale est une conséquence de l’idéal égalitaire de 1789, analysé par Napoléon non comme une volonté de nivellement, mais comme une aspiration à la promotion sociale, explique l’expert Benoît Forgeot. L’Empereur voit dans les titres impériaux un ferment de l’unité nationale, un trait d’union entre les deux France qu’il entend réconcilier ».

Outre les premières éditions, les tirages sur grand papier, cette collection privilégie les provenances. Celle de la princesse de Lamballe, une des plus rares de l’Ancien Régime, ou de Marie-Antoinette : deux almanachs royaux à leurs armes (10 000/15 000 €), dans un maroquin rouge. Celle d’Eugène de Beauharnais, vice-roi d’Italie et fils adoptif de Napoléon : un almanach royal imprimé à Milan dans une somptueuse reliure italienne provenant de la bibliothèque de l’Empereur à la Malmaison (5 000/8 000 €).

La part belle est faite aux autographes, avec une longue lettre sur des questions diplomatiques adressée de Varsovie par Talleyrand, ministre des Affaires étrangères à Hugues Maret, sorte de premier ministre. Deux fonctions occupées par Villepin lui-même.

Trois questions à Dominique de Villepin

Le Figaro: Pourquoi vendez-vous cette collection?

Dominique de Villepin: J’ai voulu tourner cette page de ma vie pour me consacrer à l’étude et à l’écriture de la période charnière des XVe et XVIe siècles. Celle de la découverte du Nouveau Monde et de ses grands voyageurs qui pensaient alors que tout était possible. Cette époque nous permet de comprendre ce que nous allons vivire. Elle n’est pas très éloignée de notre sièce de la mondialisation. Celui d’une société européenne en ébullition.

Le Figaro: Que signifie pour vous la période napoléonnienne?

J’ai voulu comprendre, à travers les textes, comment la France est passée de l’Ancien Régime à l’Empire. Comment elle a réussi à se transformer. Comment Napoléon a pu dompter les forces de la Révolution pour donner naissance aux bases de la Constitution. La chute était en germe très tôt. L’Empire est un trait d’union entre la France ancienne et moderne. Quand j’ai acheté mon premier livre – Qu’est-ce que le tiers état, pamphlet publié par l’abbé Sieyès, en janvier 1789 -, j’avais à peine 15 ans. Ma collection est une bibliothèque de lecture et pas seulement à la gloire de l’Empire. Elle comprend aussi des ouvrages très critiques. Je l’ai constituée en vue d’écrire mon épopée napoléonienne: des Cent Jours ou l’Esprit de sacrifice (2001) au Soleil noir de la puissance (2007) jusqu’à La Chute ou l’Empire impossible (2008). Ce qui m’a plu, c’est la diversité des regards sur l’histoire par un Benjamin Constant ou un Alexis de Tocqueville.

Le Figaro: Vous sentez-vous une âme d’historien ou de bibliophile?

C’est la bibliothèque d’un passionné d’histoire faite avec l’âme d’un bibliophile. Elle est un laboratoire des avatars de l’histoire et de l’évolution des mentalités. Le rapport à la filiation est très important pour moi. Je suis très attaché au parcours du livre lui-même, depuis celui qui l’a écrit à celui qui le possède. J’ai un faible pour les ouvrages de la bibliothèque de Talleyrand, homme d’influence de l’Ancien Empire au XIXe siècle. Ou encore pour les deux almanachs de 1787 de Marie-Antoinette et de la princesse de Lamballe, deux femmes d’exception dont j’ai mêlé les destins dans ma collection.

Source: Le Figaro (propos recueillis par Béatrice de Rochebouët)

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