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Bordeaux: la belle victoire d'Alain Juppé

Ils lui ont tous téléphoné. Nicolas Sarkozy, le premier. Puis François Fillon, Jean-Pierre Raffarin. Et, enfin, Jacques Chirac et Dominique de Villepin.

Tous ont félicité le « meilleur d’entre eux » pour cette victoire offerte à la majorité, la plus belle de ce premier tour. En plein ressac électoral pour la droite, la vague Juppé à Bordeaux témoigne d’un microclimat particulièrement flatteur pour le successeur de Jacques Chaban-Delmas.

Avec 56,62 % des suffrages, il a infligé une rude défaite à son premier adversaire sérieux depuis 1995, le président PS de la région Aquitaine, Alain Rousset (34,14%).

Dimanche, Alain Juppé a aussi tourné la page d’une défaite cuisante aux législatives face à la socialiste Michèle Delaunay, en juin. Celui qui était alors depuis un mois ministre d’État, chargé du Développement durable, avait crié son amertume à la presse locale (« Si je pouvais crever, vous seriez contents ! ») et envisagé, un court instant, de tout laisser tomber. Comme il avait songé à abandonner la politique lors de son exil canadien, où il enseignait à l’École d’administration publique. « De toute façon, il reviendra, c’est le meilleur », avait pronostiqué à l’époque Nicolas Sarkozy. Et Alain Juppé est revenu. Transformé, jure-t-il non sans humour, « par une cure de sirop d’érable aux vertus apaisantes ».

« Au-delà des chiffres, ce qui compte le plus pour moi ce matin, c’est le lien entre les Bordelais et moi, ce lien personnel et affectif que la campagne et la victoire, toutes deux magnifiques, mettent en pleine lumière », a commenté, avec ce lyrisme dont il use plus souvent dans ses livres, le nouvel homme fort de la droite aquitaine, sans doute un peu las des commentateurs toujours prompts à décrire le « désamour » entre Bordeaux et Juppé.

« Le mandat de maire, dit-on souvent , est le plus beau des mandats électifs. C’est ainsi que je le vis. Mon projet désormais, c’est de m’y consacrer entièrement », ajoute-t-il sur ce blog qu’il continue de nourrir avec constance.

Son épouse, Isabelle Juppé, qui l’a initié à la blogosphère et qui tient, elle aussi, un blog (lafemmedigitale.com), où elle s’intéresse à la condition de la femme moderne au temps de la révolution numérique, lève les yeux au ciel quand on l’interroge sur le « nouveau Juppé ».

« C’est une manie de la presse », lance cette ex-journaliste chargée des questions de défense à La Croix, épousée en 1993. « Quand nous sommes revenus du Québec, on nous a fait le coup du nouveau Juppé : il est ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre ». Son épouse lui avait offert une montre à gousset pour qu’il ne regarde pas l’heure trop souvent. Après s’y être essayé, Alain Juppé y a renoncé : « J’arrivais à tous mes rendez-vous en retard, comme mon adversaire », ironise-t-il.

Il a 62 ans, et ceux qui s’interrogent sur le nouveau Juppé retrouveront toujours celui d’avant : rapide, efficace, susceptible. Le prodige des Landes au destin contrarié. Pourtant, le cru Juppé 2008 a un peu changé.

Si nouveauté il y a, elle vient d’un choix stratégique profond décidé dans l’après-coup de sa défaite des législatives de 2007. Après avoir réfléchi aux raisons de son échec, Juppé a choisi de tirer un trait sur Paris, « quel que soit le chant des sirènes ». On ne le verra donc pas rejoindre le gouvernement puisqu’il veut être « maire à plein-temps ».

« Le simple fait qu’il ait dit qu’il se consacrerait exclusivement à sa ville est l’indication d’un changement de style », commente Jacques Valade, le compagnon de route des années Chaban, qui a renoncé cette année, à 78 ans, à être sur la liste Juppé, au nom du renouvellement.

Tout au long de cette campagne, Alain Juppé n’a cessé de démontrer qu’il savait désormais prendre son temps : « en maraude », selon la formule consacrée, avec le Samu social de Bordeaux, il observe la misère du monde et rencontre des entreprises d’insertion. Il vante sans se lasser la beauté de sa ville, dont le splendide patrimoine du XVIIIe n’a d’égal que les kilomètres de façades de Saint-Pétersbourg. Devant une halle restaurée par lui, il loue son architecture « typiquement bordelaise, élégante, aérienne ».

Il est loin, celui qui avait nommé douze femmes ministres en mai 1995 pour en virer neuf six mois plus tard sans sommation. Le technocrate froid en public est devenu un édile de proximité, vélo et parka verte, jean et chemises à carreaux. Cet homme au physique sec, à l’accent à peine teinté d’un fond de Sud-Ouest, est devenu, ironise l’un de ses amis, « un grand cru classé, plutôt un médoc, qui vieillit bien avec le temps, en alliant de la légèreté et de la puissance ».

« Il a appris Bordeaux comme on apprend une langue : Montaigne, Montesquieu, le vin, l’architecture, l’histoire », résume un connaisseur de la ville. Ce qui ne l’empêche pas, quand on lui résiste, de pester : « connard, olibrius font aussi partie de son vocabulaire », rappelle un élu d’opposition.

Alain Juppé s’est doté d’un humour caustique d’abord sur lui-même. Interrogé il y a deux mois sur l’hypothèse de voir François Fillon supplanter Sarkozy dans les sondages, il s’en est tiré par une pirouette : « Ça ne risquait pas de m’arriver quand j’étais à Matignon ».

Tout cela n’empêche pas l’édile de dispenser ses conseils sur la politique nationale. Ainsi, hier matin : « Si j’avais un point à souligner, c’est l’inquiétude des retraités et l’inquiétude de la grande majorité de nos concitoyens sur le pouvoir d’achat », a noté l’ancien premier ministre. « C’est dans ce domaine-là que des actions sont à mener, ce n’est pas facile, mais je suis sûr que le gouvernement en tirera les conséquences ».

Juppé, tel un autre Montaigne, devenu « sage » devant le vacarme de l’opinion et le « grand branloir » du monde comme il va, appelle volontiers les Français à la patience : « Il y a un moment où le fruit des réformes qu’on a engagées apparaît : il faut du temps, il faut résister ». « Je suis convaincu que le gouvernement va leur accorder désormais la priorité absolue ».

L’UMP, malmenée dans cette élection, et critiquée pour sa difficulté à appuyer l’action du gouvernement, Alain Juppé la défend encore : « un parti au pouvoir a toujours beaucoup de difficulté à exister. Mais je pense qu’un parti fort est inséparable d’une vie démocratique équilibrée », confie au Figaro celui qui essuya le premier les plâtres du parti majoritaire. Oubliée, donc, l’amertume ?

Remonté en selle, Alain Juppé garde sa méfiance à l’égard des journalistes, surtout quand ils viennent de Paris. Sous le flegme apparent gisent toujours les réflexes d’autodéfense : « Si on vous disait que vous n’êtes pas sympathique, quel effet cela vous ferait-il ? », lance-t-il.

« Droit dans ses bottes, c’est toujours mieux qu’être écrasé comme une flaque, non ? » aime-t-il souvent rappeler. Mais sa meilleure réponse fut pour Dominique de Villepin, qui suggéra, le 6 mars dernier, qu’Alain Juppé « joue de nouveau un rôle » dans l’UMP. « Que mes amis m’oublient un peu ! » a rétorqué Juppé à l’attention de son ex-directeur de cabinet au Quai d’Orsay. Chacun se le tiendra pour dit : le nouveau Juppé est un sage, et Bordeaux suffit à son bonheur.

Source: Charles Jaigu (Le Figaro)

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