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Clearstream: la thèse abracadabrantesque de la police judiciaire

Dans un rapport de synthèse définitif, les policiers affirment que Dominique de Villepin a voulu « empêcher Nicolas Sarkozy d’accéder à la présidence de l’UMP en misant sur les délais qu’il faudra(it) à la justice pour démontrer que la mise en cause de Nicolas Sarkozy à travers les listings Clearstream n’était pas fondée ». Cette argumentation très politique pourrait, paradoxalement, favoriser la défense de Dominique de Villepin.

L’ancien Premier Ministre a rapidement réagi auprès de Mediapart qui a révélé la teneur de ce document transmis aux juges d’Huy et Pons.

Dans un texte adressé à la rédaction du site internet, il estime que ce rapport final « brille essentiellement par les questions qu’il n’aborde pas » et ajoute qu’il laisse « de côté tous les éléments qui ne démontrent que trop qu’à aucun moment (il n’a) participé à une entreprise de dénonciation calomnieuse »: « les accusations (…) ne reposent que sur des partis pris et des procès d’intention ».

Une instruction menée à charge, sans éléments matériels

L’ancien Premier Ministre est au coeur de l’enquête depuis la découverte, au printemps 2006, des carnets de l’ex-conseiller pour le renseignement et les opérations spéciales (CROS) du ministre de la défense, le général Philippe Rondot. Pour les juges, il ne fait guère de doute que l’ancien Premier Ministre est le « commanditaire » de cette manipulation dont le but aurait été de déstabiliser son meilleur ennemi, Nicolas Sarkozy. Toute leur instruction a tourné autour de cet axe-là.

Or, dans les milieux judiciaires, de plus en plus de voix se font entendre pour contester la logique des deux magistrats qui, à en croire leurs détracteurs -nombreux au pôle financier-, n’auraient pas réuni de preuves justifiant l’éventuel renvoi de l’ancien Premier Ministre devant le tribunal correctionnel.

La thèse soutenue par la police judiciaire

Selon ce rapport établi par la division nationale des investigations financières (DNIF), la police judiciaire considère que dans cette affaire l’ancien Premier Ministre « poursuit un but à court terme : empêcher Nicolas Sarkozy d’accéder à la présidence de l’UMP, en misant sur les délais qu’il faudra à la justice pour démontrer que la mise en cause de Nicolas Sarkozy à travers les listings Clearstream n’était pas fondée », ajoute cette source.

Outre Dominique de Villepin, l’ex-vice-président d’EADS Jean-Louis Gergorin, l’informaticien Imad Lahoud, le journaliste Denis Robert et l’ancien auditeur Florian Bourges sont également mis en examen dans ce dossier. Le rapport de synthèse de la police conclut, selon la même source proche du dossier, à la légitimité de ces mises en examen et fait état de charges suffisantes pour renvoyer les cinq personnes concernées devant le tribunal correctionnel.

La réaction de Dominique de Villepin

L’ancien Premier Ministre a rapidement réagi auprès de MediaPart et fait parvenir le texte suivant à la rédaction du site internet,

« Les éléments rassemblés à la clôture de l’instruction font ressortir clairement que les accusations portées contre moi ne reposent que sur des partis pris et des procès d’intention. Plusieurs accusations infondées ne sauraient en rien constituer une accusation forte ; elles témoignent au contraire d’une vision biaisée du dossier où écrans de fumée, instrumentalisations et rumeurs se sont multipliés. Le rapport final des enquêteurs brille essentiellement par les questions qu’il n’aborde pas, affirmant sans preuves et avouant sa faiblesse, en laissant de côté tous les éléments qui ne démontrent que trop qu’à aucun moment je n’ai participé à une entreprise de dénonciation calomnieuse. Ce qui sera aisément démontré dans les prochaines semaines.

Je regrette que cette instruction n’ait pas dépassé ce que rapportait la rumeur médiatique et politique. Ainsi il a d’abord été fait état d’un prétendu rapport de la DST, que j’aurais ordonné à mon arrivée au ministère de l’Intérieur, dont l’instruction a pu finalement montrer qu’il n’existait pas. De même, les perquisitions à mon domicile et à mon bureau n’ont servi qu’à monter en épingle un mystérieux DVD crypté qui s’est avéré, après plusieurs mois d’enquête et de coûteuses investigations, n’être qu’une transcription de mes discours diplomatiques. Puis certains ont voulu voir un nouveau rebondissement dans la découverte d’un ordinateur à Beyrouth, mais là encore l’affaire a tourné court.

Entre le grand spectacle auquel a donné lieu l’affaire Clearstream et la réalité des faits, il y a au bout du compte un fossé considérable. L’essentiel a été oublié. Seul le procès permettra de répondre aux deux questions essentielles : qui a commencé à falsifier les listings en 2003 et dans quel but, alors même que je n’ai été saisi de ce dossier qu’en janvier 2004 ? qui a pu faire pression dans ce dossier pour imposer un préjugé aussi contraire à la vérité ?

En tout état de cause, je suis convaincu qu’il ne s’agit pas d’une affaire politique, mais bien d’une affaire industrielle et financière. Je sais que la vérité et la justice finiront par l’emporter », conclut l’ancien Premier Ministre.

Les incohérences liées aux témoignages de Jean-Louis Gergorin

Au cœur de l’affaire Clearstream : des courriers et listings bancaires adressés anonymement en mai et juin 2004 au juge Renaud van Ruymbeke, chargé de l’instruction sur des pots-de-vin liés à la vente des frégates à Taiwan en 1991. Un corbeau y accuse des personnalités industrielles et politiques, dont Nicolas Sarkozy d’avoir détenu des comptes occultes à la chambre de compensation financière luxembourgeoise Clearstream par lesquels auraient transité les commissions indues du marché des frégates.

En juin 2007, Jean-Louis Gergorin, qui a reconnu être l’auteur des envois anonymes, a affirmé avoir agi à la demande de Dominique de Villepin. Le rapport souligne que Villepin a toujours démenti : « A l’appui de ses déclarations, l’ancien Premier Ministre rappelle qu’en différentes occasions Jean-Louis Gergorin s’est paré d’instructions qu’il ne lui avait jamais données ou d’une légitimité qu’il n’avait pas à partir de l’autorité conférée par d’autres personnes ».

La conclusion des policiers est cependant sans ambiguïté : « Il nous paraît incontestable (preuves informatiques à l’appui) que Jean-Louis Gergorin a effectivement informé le 4 mai 2004 le général Rondot qu’il avait reçu dans la première quinzaine d’avril 2004 des instructions de Dominique de Villepin d’informer l’autorité judiciaire de la teneur des listings Clearstream », écrivent-ils. Difficulté majeure, pointée par les policiers eux-mêmes : Gergorin est le seul témoin direct de cette fameuse réunion secrète !

Les policiers se sont efforcés d’évaluer la fréquence des rendez-vous entre Dominique de Villepin et Jean-Louis Gergorin, place Beauvau. Les deux hommes sont en désaccord sur ce point. Gergorin a ainsi évoqué lors d’une de ses dernières auditions une demi-douzaine de visites « secrètes » au ministère de l’intérieur, suivant un protocole particulier. Afin de ne pas être vu par les huissiers, il affirme qu’il se rendait dans le bureau du ministre en entrant par celui de sa secrétaire particulière, Nadine I.

Plusieurs officiers de sécurité de l’ancien ministre de l’intérieur ont confirmé sur procès-verbal qu’il « existait bien une procédure particulière pour aller chercher discrètement dans Paris les visiteurs secrets dont personne ne connaissait l’identité pour aller voir le ministre ». Toutefois, ainsi que Nadine I. l’a déclaré, « cette procédure n’était pas spécifique à Jean-Louis Gergorin car deux fonctionnaires du service de protection des hautes personnalités (SPHP) ont identifié clairement le kinésithérapeute de Dominique de Villepin comme étant l’un des visiteurs secret ». Ainsi, l’intrigant « Monsieur X » évoqué à plusieurs reprises dans le rapport de la DNIF n’était pas Jean-Louis Gergorin mais le kiné du ministre!

Un mobile qui ne tient pas debout

Comme dans les grandes affaires criminelles, lorsqu’il s’agit de confondre le coupable, le préalable est de trouver le mobile. Les policiers consacrent un chapitre entier à ce thème. Et pour cause : toute l’enquête repose sur ce point. Dominique de Villepin est, pour schématiser, soupçonné par les juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons d’avoir encouragé Jean-Louis Ge
rgorin à transmettre, en 2004, à leur collègue Renaud Van Ruymbeke des listings qu’il savait faux, et ce dans le but de nuire à son rival Nicolas Sarkozy en vue de l’élection présidentielle de 2007.

C’est une accusation aussi grave que fragile. Car si la preuve que l’ancien Premier Ministre était au courant de la fausseté des listings n’était pas établie, toutes les charges pesant sur lui pourraient s’écrouler. Or, la démonstration des magistrats, qui s’appuient pour l’essentiel sur les déclarations de Jean-Louis Gergorin et les notes du général Philippe Rondot, se heurte, sur certains points, à la logique.

L’écueil principal se résume à une question : pourquoi, dans l’hypothèse où il aurait été conscient que les listings Clearstream étaient falsifiés, Dominique de Villepin aurait-il tant insisté -thèse de l’accusation- pour entreprendre des vérifications (via le général Rondot et la DST) sur les prétendus bénéficiaires de comptes occultes au Luxembourg et préconisé de les transmettre à un juge – a fortiori à Renaud Van Ruymbeke, réputé pour la qualité de ses contacts avec ses homologues étrangers ? C’était, à l’évidence, s’assurer que la supercherie serait rapidement mise au jour.

Dans le -dernier- chapitre de leur rapport, consacré donc à ce qu’ils qualifient eux-mêmes de « mobile », les policiers, qui rappellent avec force détails qu’il est « de notoriété publique que Dominique de Villepin était en concurrence avec Nicolas Sarkozy », concluent par un paragraphe qui, en creux, met en lumière l’une des failles de l’accusation, dans laquelle les conseils de l’ancien Premier Ministre ne manqueront pas de s’engouffrer.

« On pourrait se demander également, écrit la DNIF, se faisant l’avocat du diable, pourquoi Dominique de Villepin demande à Jean-Louis Gergorin de communiquer les listings Clearstream à l’autorité judiciaire s’ils sont faux, puisque à l’issue de l’enquête judiciaire, Nicolas Sarkozy serait nécessairement mis hors de cause. En fait, Dominique de Villepin poursuit un but à court terme, empêcher Nicolas Sarkozy d’accéder à la présidence de l’UMP, en misant sur les délais qu’il faudra à la justice pour démontrer que la mise en cause de Nicolas Sarkozy à travers les listings Clearstream n’était pas fondée. On rappelle que la commission rogatoire internationale envoyée aux autorités italiennes dans l’affaire des frégates de Taïwan par le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke concernant les comptes Nagy et Bocsa (le patronyme complet du chef de l’Etat est Nicolas, Paul, Stéphane Sarközy de Nagy-Bocsa) ne reviendra exécutée en France avec un résultat négatif qu’en décembre 2005″, argumente le rapport.

Cette lecture très politique de l’affaire pourrait provoquer une controverse. Car soutenir que DDV ne voulait pour rien au monde, au printemps 2004, voir son rival prendre les rênes de l’UMP paraît discutable. A l’époque, les deux hommes étaient certes présentés comme rivaux, mais pour succéder à Jean-Pierre Raffarin, dont le départ de l’hôtel Matignon semblait déjà inéluctable à court ou moyen terme.

Pour Villepin -qui avait d’ailleurs ouvertement soutenu sa candidature-, pousser Sarkozy à prendre la tête d’un parti que lui-même n’avait aucune chance de diriger était aussi une façon de le « neutraliser ». A fortiori parce que le chef de l’Etat, Jacques Chirac, avait estimé publiquement que diriger l’UMP était incompatible avec une fonction ministérielle – Nicolas Sarkozy était alors ministre de l’Economie et des Finances.

Vers un renvoi en correctionnelle ?

Au terme de leur démonstration, les policiers concluent à propos de Dominique de Villepin, comme pour les quatre autres mis en examen, que « l’ensemble de ces éléments conduit à envisager (sa) mise en cause ». Les cinq personnes poursuivies sont encore loin du tribunal correctionnel.

Toutes les parties ont en effet jusqu’à la fin du mois de mai pour réclamer des actes supplémentaires, période à partir de laquelle le procureur de Paris sera amené à prendre ses réquisitions. Il reviendra ensuite aux juges de décider de renvoyer ou non les mis en examen devant le tribunal.

Sources: Mediapart et Le Figaro

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