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Dominique de Villepin: "Je n'ai pas de comptes à régler avec Nicolas Sarkozy"

Premier ministre du gouvernement de Jacques Chirac, il court aujourd’hui le monde pour parler poésie. De passage en Suisse, il confie qu’il n’en a pas encore fini avec la politique

Dominique de Villepin, vous venez de publier un nouveau livre, «Hôtel de l’insomnie». Est-ce qu’écrire est pour vous une façon de laisser une trace, ce qui n’est pas toujours certain lorsqu’on fait de la politique?

Pas du tout. J’ai toujours beaucoup écrit. Tôt le matin. Tard le soir. Et sur des sujets très divers. Ecrire est pour moi une discipline de vie et maintenant que j’ai davantage le temps pour voyager, je peux me pencher autrement sur les problèmes du monde. C’est ce que j’aime et ce que j’ai toujours aimé faire, car j’ai une formation de diplomate. Le monde a besoin d’être davantage pensé et notre regard sur la planète renouvelé.

Vous êtes un des derniers hommes politiques lettrés de France. Qu’est-ce que ce talent apporte de plus à un homme d’Etat?

Sans doute une démarche pour se penser soi-même et ce qui nous entoure. Par exemple, mon dernier livre est une sorte de journal qui relate mes réflexions sur ma vie par le biais des arts, de la poésie, de la peinture. J’ai voulu écrire pour expliquer comment on peut faire face aux épreuves pour avancer, quelles règles de vie il faut se fixer pour tirer les leçons de l’existence et grandir.

Et quel est ce fil?

Dans mon livre, je parle surtout de ma passion pour les écrivains et les artistes. Les hommes et les femmes que j’ai rencontrés m’ont donné l’envie de partager les émotions ressenties lors de la lecture des grands classiques et des grands poètes. Tous répondent à leur façon à ma curiosité du monde. Tous ont réussi à inventer la vie, même lorsque celle-ci semblait se dérober. Ma démarche littéraire est très fraternelle. Je veux raconter à travers des cultures différentes comment chacun d’entre nous peut inventer son chemin et chercher à mieux vivre. Je me suis lancé le défi d’être capable de mêler le rêve à la rugosité du réel. Aller voir ce que font les autres m’aide à réfléchir sur ma propre vie.

Votre ouvrage est durement perçu par certains critiques. Est-ce que ces attaques font aussi mal que celles que l’on doit encaisser lorsqu’on est en fonction à la tête de l’Etat?

Je n’écris pas pour la critique. Bien sûr, je n’y suis pas insensible, ce serait vous mentir que de dire le contraire. Mais je suis surtout soucieux de partager avec ceux qui ressentent les mêmes besoins que moi. Je n’écris pas pour faire joli. D’ailleurs j’ai longtemps écrit sans publier. J’ai enseigné autrefois et ce côté didactique se retrouve dans mes ouvrages. J’aime partager, faire un bout de chemin avec le lecteur. Je ne prends pas la pose lorsque je prends la plume, j’y mets simplement quelque chose de moi-même sans me demander si cela va plaire ou non.

Votre carrière politique derrière, vous sentez-vous plus libre d’écrire ce que vous pensez?

Je me suis toujours senti extrêmement libre lorsque j’écrivais. Cela a toujours été un rendez-vous en dehors de tout pouvoir et de toute contrainte. Un moment de vérité durant lequel je n’ai jamais eu de raison ni d’envie de tricher. Un exercice sur la corde raide et jamais un confort.

Lorsqu’on vous lit, on sent un être très tourmenté voire torturé. D’où cela vient-il?

Lorsque j’écris, je suis dans des zones d’asphyxie, je sors du temps ordinaire, je ne pense ni au quotidien, ni à la monotonie. Ce qui m’intéresse c’est de pousser plus loin la réflexion et l’interrogation. Quand je prends des poètes pour modèles, je parle de leur maladie et de leurs insomnies. Aller jusqu’au bout des choses est forcément une prise de risques. Il faut sortir de soi pour être à la hauteur de ce qu’est la vie.

Je vous parlais tout à l’heure de votre retraite politique. C’est vraiment fini pour vous tout cela?

Quelqu’un qui a participé à la vie publique comme je l’ai fait peut-il se retirer du jour au lendemain sous sa tente? Je ne le crois pas. La vie publique est faite de moments particuliers et de respirations différentes. Ce sont les circonstances et les possibilités de participer à l’action publique qui décideront pour moi. Il ne peut en être autrement quand on a le sens de l’engagement, comme je l’ai.

C’est pour cette raison qu’on vous entend beaucoup ces derniers mois?

Est-ce que l’on m’entend vraiment beaucoup? J’ai surtout énormément de sujets d’inquiétude. Le monde n’est pas toujours pensé tel que je le souhaiterais. J’estime avoir beaucoup à dire et à entreprendre pour le faire évoluer. Il n’y a aujourd’hui pas assez de continuité dans l’action. Il est des situations qui m’interdisent de me taire au niveau international, national et européen. On ne peut pas simplement laisser la politique à ses acteurs. Faire partager son expérience et ses connaissances est une responsabilité qui nous échoit à tous. J’essaie de faire cela avec la plus grande sérénité possible. Dommage et tant pis si certains y voient des interférences insupportables.

Il est vrai que l’entourage de Nicolas Sarkozy considère vos interventions comme des attaques directes sur sa personne et vous prête un esprit revanchard

Mais je suis tout l’inverse de cela. Je n’ai jamais été guidé par l’ambition, donc je ne peux pas ressentir de rancune. On a souvent prétendu que j’aurais souhaité être candidat à la présidence lorsque j’étais premier ministre ce qui n’a jamais été le cas. Il est normal que ceux qui l’ont cru me prêtent ces fausses intentions aujourd’hui. Peut-être que certaines personnes sont simplement inquiètes de me voir prendre la parole. Mais si je le fais c’est seulement dans l’intérêt général et pour faire avancer les choses.

Par exemple en signant l’appel pour une vigilance républicaine dans «Marianne», aux côtés de Ségolène Royal ou encore de François Bayrou. Pourquoi ne pas avoir nommément adressé ce manifeste à Nicolas Sarkozy puisque c’est bien de ses manquements qu’il s’agit?

Il faut justement sortir de la personnalisation du pouvoir. L’objectif de cette déclaration était de rappeler les principes qui pourraient faire aboutir les réformes engagées. Il faut aller au bout des choses pour les Français et les valeurs républicaines sont l’outil de ce changement. On peut toujours tourner cela en dérision et y voir des accusations gratuites envers le pouvoir en place. Or cette action n’est pas guidée par un esprit partisan, mais par une démarche éthique et par des convictions. Sous quelle autre forme aurait-on pu dire la même chose et être certains d’être entendus? Quand les choses sont difficiles, il faut faire entendre toutes les voix et ne pas les cantonner. C’est comme lorsque l’on gravit une montagne. On peut s’attaquer tout seul à la face vierge ou alors augmenter ses chances de réussite en plantant son piolet dans les traces de ceux qui ont précédé. Que ceux qui sont en charge de l’Etat en tire les leçons qu’ils voudront.

Ça vous fait sourire quand on dit aujourd’hui qu’en France c’est vous l’opposition et non pas les socialistes?

Si exprimer un avis différent et porter un regard sur les choses qui s’inscrit dans des exigences logiques, c’est faire de l’opposition alors cela voudrait dire que la réalité des faits est passablement brouillée en France, ce que je n’espère pas. Personne ne souligne que si je me donne du mal pour faire avancer les choses, c’est parce que je crois que c’est possible et donc parce que je crois que Nicolas Sarkozy et son gouvernement sont capables d’un meilleur. Je ne souhaite en aucun cas régler des comptes avec lui.

Vous avez pourtant eu des mots durs à son encontre ces dernières semaines?

Ah oui, lesquels?

Vous avez par exemple comparé son entourage à un casti
ng…

Je n’ai sûrement pas utilisé ce terme anglo-saxon. Ce que j’ai par contre dit, c’est que toute équipe a besoin de prendre ses marques. Il faut du temps pour ajuster les choses pour coordonner et appliquer la politique gouvernementale. Aujourd’hui on liste des réformes, mais ces réformes suscitent des inquiétudes et quand il y a inquiétude il faut mettre les choses en perspective. C’est un travail difficile mais nécessaire.

La gouvernance de la France vous cause-t-elle des soucis actuellement?

Ce que je vois c’est qu’il y a des attentes dans la population française et parfois même des impatiences. Il faut y répondre. Il est vrai que je trouve qu’on ferait mieux de définir plus clairement un nombre de priorités plus restreint…

Source: Stéphanie Germanier (Le Matin Dimanche)

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