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Interview de Dominique de Villepin au Parisien

L’ancien Premier ministre publie « Hôtel de l’insomnie » (195 pages, Ed. Plon, 19 €) , un récit insolite, fruit de ses nuits blanches à Matignon. Il y évoque les écrivains et les artistes qui lui sont chers et qui, dit-il, l’aident à vivre.

L’insomnie est-elle bonne ou mauvaise conseillère ?

Dominique de Villepin. L’insomnie, c’est d’abord la marque d’une inquiétude. Une inquiétude qui nous tient en état de veille, un formidable stimulant. Mais c’est aussi un moyen d’approfondir sa recherche intérieure. La vie politique soumet à de constantes sollicitations : il est important d’avoir un fil à tirer chaque jour, de maintenir sa conscience en éveil…

Vous déplorez la « fascination de l’éphémère et du superficiel » et parlez d’un « journal de résistance ». Résistance à quoi ?

Résistance aux pressions de l’urgence, du friable, de la mode ou de la rumeur, pour essayer de se retrouver sur l’essentiel. Il y a toujours le risque de se replier sur soi, de se rétrécir, de s’ankyloser.

Beaucoup de Français ont, aujourd’hui, peur de l’avenir…

Nous sommes dans des temps où il faut accepter de vivre sans avoir forcément de territoire fixe. Tout est mouvant. Ma conviction, c’est que nous sommes à un rendez-vous stratégique de notre histoire. La France doit accomplir un certain nombre de réformes. Elle ne peut plus les différer. Je souhaite que le président de la République et le Premier ministre aillent au bout de ces réformes. Des choses ont été lancées. Il faut saisir cette chance.

Un Premier ministre beaucoup plus haut dans les sondages que le chef de l’Etat, est-ce tenable ?

Ce qui me semble important, c’est que la répartition des tâches et des responsabilités entre eux soit clairement définie. Rien ne serait pire qu’une suspicion au sein de l’exécutif. Le président de la République a une responsabilité d’impulsion. La responsabilité du Premier ministre, c’est d’assurer la coordination et la cohérence de l’action gouvernementale.

Quand les taxis crient victoire et que Jacques Attali est désavoué, est-ce une reculade devant les corporatismes ?

Il y a un temps pour tout. Un temps pour la réflexion, c’est ce qu’a fait Jacques Attali. Et il y a un temps pour la décision et l’action qui doit associer étroitement le gouvernement, les élus et les partenaires sociaux. C’est un gage de démocratie et d’efficacité. Il serait dommage que le gouvernement se détermine au coup par coup en fonction du nombre des mécontents ou d’impératifs politiciens. Plutôt que d’isoler telle ou telle mesure ou de rentrer dans des intérêts catégoriels, il faut avoir une approche globale, s’appuyer sur des principes, une vision, avec un mode d’emploi clair.

Les députés UMP sont très critiques envers les interventions médiatiques des conseillers de l’Elysée. Leur donnez-vous raison, vous qui avez été secrétaire général de l’Elysée ?

Je suis personnellement réservé sur de telles interventions. Mais c’est un choix qui appartient au président de la République. En tout état de cause, les conseillers devraient se limiter à l’explication de la politique engagée, pour éviter tout risque d’interférences ou d’incohérences.

Comment expliquez-vous que Nicolas Sarkozy soit aujourd’hui à ce point en difficulté ?

Les attentes des Français se traduisent par une certaine impatience et les réformes engagées peuvent susciter des mécontentements. Il y a le sentiment de ne pas savoir toujours où on va. Il y a peut-être aussi des incompréhensions vis-à-vis de la stratégie politique, et notamment de la stratégie d’ouverture, qui doit se traduire par un véritable apport sur le fond. Enfin, sur un plan plus personnel, les images des derniers mois ont pu donner le sentiment d’une perte de concentration sur l’essentiel…

Rama Yade dénonce une « chasse à l’homme » contre Nicolas Sarkozy et s’en prend aux « charognards »…

Je n’ai pas à porter de jugement sur la vie privée du chef de l’Etat. Elle doit être respectée. Cela dit, il faut faire en sorte en permanence que l’action soit lisible et tout entière consacrée au service des Français. Il a pu y avoir des malentendus, des difficultés, des incohérences. L’important, c’est que chacun, très vite, en tire les conséquences.

Souhaitez-vous que la Société générale cherche une alliance avec une grande banque française ?

Ce qui me paraît prioritaire, c’est de rechercher des solutions dans un cadre amical. Ce serait bien de valoriser les atouts nationaux ou d’intégrer une vision européenne tout en défendant nos intérêts stratégiques.

Est-ce le rôle de l’Etat d’aider une entreprise privée, comme Nicolas Sarkozy l’a annoncé à Gandrange pour ArcelorMittal ?

J’appuie pleinement le président de la République dans sa volonté de réformer, de moderniser, d’adapter notre pays. Je suis un fervent soutien de tous ceux qui font preuve de dynamisme, d’énergie, d’imagination. Mais, l’action doit être conduite dans la cohérence et dans la durée. Chacun doit exercer ses responsabilités, l’Etat comme les entreprises. Il n’appartient pas à l’Etat de se substituer aux entreprises. Il lui appartient en revanche d’anticiper et d’accompagner les évolutions à partir d’une stratégie économique et industrielle qui est à définir tant au plan national qu’européen. En tout état de cause, l’Etat doit se situer du côté des solutions d’avenir. Face à l’ampleur des défis, on ne peut pas se contenter d’agir au coup par coup.

Etes-vous optimiste ?

Oui, si l’on se situe résolument du côté de l’action. Dans un temps de grands changements, il y a un double devoir : un devoir de vigilance républicaine et un devoir d’adaptation. Pour cela, il faut rassembler les Français sur l’essentiel : le respect de nos valeurs et de nos institutions, la défense de l’indépendance nationale, la réforme économique et sociale. Tout ce qui divise inutilement doit être laissé de côté : pourquoi rouvrir aujourd’hui la question de la laïcité ou poser celle d’un retour dans l’Otan ? Restons fidèles à nos priorités. Donnons plus de sens à l’action entreprise. Agissons, au total, avec ambition, pragmatisme et humilité.

Source: propos recueillis par Didier Micoine et Dominique de Montvalon (Le Parisien)

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