Invité sur RTL jeudi matin, l’ancien Premier ministre a assuré qu’il voulait rester engagé dans la « vie publique ».
Jeudi matin, Dominique de Villepin était l’invité de RTL . Une des premières questions de Jean-Michel Aphatie est sans détour : « Referez-vous de la politique active ? » La réponse de l’ancien Premier ministre ne l’est pas moins : « Oui, bien sûr. »
« Je crois que quand on a pris des engagements vis-à-vis des Français, on a à coeur de les tenir », a poursuivi Dominique de Villepin, restant toutefois flou sur ses intentions précises. « Il y a beaucoup de façons d’être engagé dans la vie publique, parce qu’au fond c’est ça qui m’intéresse. »
Ministre ? Premier ministre ? L’ancien locataire coupe court : « Non, je n’ai aucune envie d’occuper des fonctions que j’ai déjà occupées. » Question du journaliste : « Il manque celle de président de la République alors ? ». Il élude. Et de conclure sur le sujet : » Être engagé dans la vie publique, dire ce que je crois être bien, essayer de faire avancer des idées, essayer de faire des propositions, je crois que ça fait partie de mon engagement profond. »
Sur l’affichage de la vie privée du président Sarkozy, Dominique de Villepin n’épargne pas son ancien rival : « Il y a certainement des problèmes d’image, de communication de perception, » estime-t-il. Avant de poursuivre: « Et puis il y a des attentes très profondes des Français. Les Français veulent des réponses pour leur vie quotidienne, pour l’avenir de la France et l’avenir de leurs enfants. Tout cela est parfois long à venir. Donc, ils s’inquiètent. »
Enfin, Dominique de Villepin s’est montré en accord avec Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel qui avait estimé, dimanche 3 février, que « la fonction présidentielle, la fonction de Premier ministre, la fonction de ministre, requiert une certaine retenue ».
Il a également estimé que cette retenue était « une exigence constante de la vie politique. » Son jugement est sans appel : « Que l’on tire les leçons de ce qu’on a bien et mal fait pour essayer de faire mieux. Je crois qu’il faut beaucoup d’humilité, quelle que soit la position qu’on occupe dans cette vie politique. » À bon entendeur…
Le script de l’interview de Dominique de Villepin par Jean-Michel Apathie
Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Dominique de Villepin.
Dominique de Villepin : Bonjour.
Vous dormiez mal à Matignon et vous racontez donc votre fréquentation des poètes, la nuit, lors de vos insomnies. C’est publié chez Plon. Ca s’appelle « Hôtel de l’Insomnie ». Ces deux ans à Matignon vous ont-ils beaucoup, profondément changé, Dominique de Villepin ?
Bien sûr. Bien sûr, ce sont des expériences très profondes.
Difficiles ? Douloureuses ?
Difficiles, parfois aussi douloureuses, exaltantes également. C’est un immense honneur que d’avoir la chance d’être Premier ministre et d’essayer d’engager une action. Cette action, elle se situe forcément sur une longue période. Et c’est toujours trop court.
Referez-vous de la politique active, Dominique de Villepin ?
Oui, bien sûr. Je crois que quand on a pris des engagements vis-à-vis des Français, on a a coeur de les tenir. Il y a beaucoup de façons, vous savez, d’être engagé dans la Vie publique parce que dans le fond, c’est ça qui m’intéresse.
Oui, on peut être ambassadeur, haut fonctionnaire…
Il y a mille façons.
Mais ma question, c’est : est-ce que vous serez de nouveau, est-ce que vous avez envie d’être de nouveau au coeur de l’Etat ? Ministre ? Premier ministre ?
Non, je n’ai aucune envie d’occuper des fonctions que j’ai déjà occupées.
Il manque celle de Président de la République, alors ?
Mais être engagé dans la vie publique, dire ce que je crois être bien, essayer de faire avancer des idées, essayer de faire des propositions, ça bien sûr je crois que ça fait partie de mon engagement profond.
Comment expliquez-vous la chute de Nicolas Sarkozy dans les sondages, Dominique de Villepin ?
La situation est difficile. La croissance était attendue au début de ce quinquennat, et elle fait défaut, avec d’immenses difficultés internationales et un besoin très profond de réformer la France. Face à ces changements, il y a des mesures qui sont exigeantes, qui ne s’apprécieront, elles aussi, sur le long terme, que tout ça ne favorise pas la popularité.
Mais François Fillon est populaire ? Il a des bons sondages, Alain Duhamel vient de le dire.
Je pense que la situation du Président de la République, dès lors qu’il s’engage lui-même profondément dans la Politique, dans l’action politique, vient modifier sensiblement le jeu. François Fillon se situe dans le sillage du Président de la République…
Et il est populaire, et le Président ne l’est pas. Bizarre !
… Mais c’est tout le problème d’un Président qui s’engage lui-même personnellement sur le devant de la scène. Il s’expose davantage.
Il s’engage trop, Nicolas Sarkozy ?
Ca, c’est à lui de l’apprécier. Ce que je crois c’est qu’il faut une répartition des rôles. La Ve République, elle fonde un équilibre institutionnel. Il faut que chacun soit à sa place, chacun assume ses responsabilités. C’est vrai pour le Président, c’est vrai pour le Chef du gouvernement, c’est vrai pour les ministres, c’est vrai pour les conseillers des ministres. Et c’est tout cela dont Nicolas Sarkozy est responsable. A lui de déterminer ce que chacun doit faire. Et évidemment, c’est lui qui en paie le prix, le premier.
L’impopularité de Nicolas Sarkozy ou sa baisse dans les sondages est-elle liée à la vie privée qu’il montre trop, Dominique de Villepin ?
Il y a certainement des problèmes d’images de communication, de perception. Puis, il y a des attentes très profondes des Français. Les Français veulent des réponses dans les domaines de la vie quotidienne. Ils veulent aussi des réponses pour l’avenir de la France et l’avenir de leurs enfants. Tout cela est parfois long à venir ; donc, ils s’inquiètent.
Jean-Louis Debré, président du Conseil Constitutionnel, disait : « Il faut plus de retenue dans l’étalage de la vie privée ». Vous êtes d’accord avec Jean-Louis Debré ?
C’est une exigence constante de la vie politique. Et puis, la vie politique, elle est faite, là aussi d’adaptations. Donc que l’on tire les leçons de ce qu’on a bien fait ou mal fait pour essayer de faire mieux. Je crois qu’il faut beaucoup d’humilité quelle que soit la position qu’on occupe dans cette vie politique.
Une prime de 200 euros pour les petites retraites a été annoncée, hier, par le Président de la république lui-même ; et l’opposition y voit une mesure électoraliste. Qu’en pensez-vous, Dominique de Villepin ?
Chacun regarde le calendrier. Je crois que ce n’est pas le fond de la question.
Et vous ? Ah, chacun regarde le calendrier, pardon excusez-moi ! C’est intéressant, quand même.
D’abord, il y a des promesses et des engagements qui ont été pris. Deuxièmement, y’a une situation générale de nos comptes sociaux, 6 milliards de déficit. A cela s’ajoutent d’autres déficits extrêmement importants : déficit commercial, proche de 40 milliards. Donc, nous avons une contrainte financière extrêmement importante et cette contrainte financière, elle est une condition de l’assainissement de l’économie française et du retour de la croissance. Donc, il faut que nous intégrions l’ensemble des mesures qui sont prises ou qui sont à prendre dans le cadre d’une véritable stratégie. C’est pour cela qu’il est difficile de se prononcer mesure par mesure.
Bien évidemment, il y a un problème de pouvoir d’achat en France. I
l y a un problème en ce qui concerne les petites retraites, qu’on veuille honorer et améliorer ces attentes et qu’on veuille améliorer ces situations, je le comprends parfaitement ; mais il faut resituer ça dans une perspective globale.
Donc, au Président de la République, au Premier ministre de nous expliquer comment on va faire pour, à la fois lutter contre les déficits et en même temps, prendre en compte cette exigence fondamentale de Justice sociale à un moment où l’inquiètude des Français est forte. Je vous dirais la même chose sur les taxis. Il y a un rapport Attali…
Avant que je pose la question, bravo !
Mais bien sûr. Toujours, il faut anticiper, monsieur Aphatie.
Ah bravo ! Alors là ? Qu’est-ce que vous allez dire sur les taxis.
Tout simplement qu’il y a beaucoup de mesures dans le rapport Attali.
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Voilà et c’est à la fois l’avantage et l’inconvénient. C’est que maintenant il faut choisir. Et il faut expliquer quelle va être la stratégie. Au Président et au Premier ministre de définir la stratégie politique qui va permettre à notre pays de se moderniser, de s’adapter et à la croissance de revenir, et à la compétitivité française de s’accroître.
Alors, il y a des mesures qui évidemment sont douloureuses qui mettent un certain nombre de nos concitoyens dans la rue, qui suscitent des incompréhensions. Eh bien, il faut bâtir, c’est aussi l’inconvénient des rapports. C’est que quand on les met à plat, ils suscitent beaucoup de réactions.
Est-ce qu’il faut se déterminer en fonction de la réaction publique, de telle ou telle ? Est-ce qu’il faut, au contraire, se déterminer sur une vision plus ample, plus stratégique ? Je crois qu’il faut sortir du coup par coup pour voir ce qu’est l’intérêt général. C’est ce qu’il y a de plus difficile en Politique. Prendre des mesures ponctuelles, c’est en somme relativement facile. Il faut éviter de le faire et j’en sais quelque chose, sous la pression. Tirons les leçons de l’expérience. Mais il faut se déterminer en fonction de l’intérêt général. L’intérêt général, c’est quoi ? Quelle Croissance ? Comment améliorer la compétitivité française ? Comment mieux défendre le pouvoir d’achat de nos concitoyens ?
Vous avez anticipé, mais du coup peut-être un peu trop parlé, c’est-à-dire, vous regrettez que le gouvernement ait renoncé à supprimer les licences de taxis et qu’il ait renoncé en rase campagne ?
Je comprends le choix du gouvernement.
Oui, vous comprenez, mais vous le regrettez.
Mais je me pose la question. Comment va-t-on faire pour véritablement créer les conditions de la croissance ? Donc, ce que je veux, c’est la réponse globale. Y’a une réponse particulière qui est prise. On ne choisit pas de libérer un certain nombre de professions parce que j’imagine que si la décision est prise pour les taxis, que va-t-on faire pour les autres ?
Et ça, vous le regrettez ? Vous regrettez qu’on ne libère pas un certain nombre de professions ?
Je regrette, pour ma part, de ne pas avoir d’explications sur ce qu’il va être fait dans ce domaine spécifique. Je comprends parfaitement les revendications des taxis, ils ont un problème particulier. Le rapport Attali proposait qu’on essaye de prendre en compte cette demande spécifique des taxis tout en touchant et en ouvrant ces professions fermées. Une fois de plus, je comprends le problème mais je veux savoir dans quel contexte, avec quelle analyse, avec quelle stratégie, avec quelle vision à moyen et long terme de notre pays, eh bien nous allons avancer.
Et ça, vous ne le savez pas. On prend des décisions sans expliquer dans quelle stratégie elles se situent ?
Mais je souhaite tout simplement rappeler l’importance pour que chacun des Français puisse avoir une perspective. On ne peut pas vivre avec des décisions prises au coup par coup. Nous avons besoin de savoir où nous allons.
A la suite de plusieurs interventions sur la religion qu’a faite le Président de la République, une pétition circule qui s’appelle : « Sauvegardons la laïcité de la République ». Pourriez-vous la signer, Dominique de Villepin ?
Ah, je pourrais tout à fait la signer parce que pour moi, c’est un combat essentiel, celui de la laïcité. Il a causé, Dieu sait, beaucoup de morts dans notre pays, beaucoup de tensions dans notre pays.
Et les discours de Nicolas Sarkozy menacent la laïcité, aujourd’hui, en France ?
Je crois qu’il faut être vigilant. Je crois qu’il faut éviter d’ajouter de la confusion ; et là encore, il faut savoir où on va, ce qu’on veut. Nous sommes dans un monde où les tensions religieuses, les tensions confessionnelles sont source de beaucoup de crispations et de beaucoup de dangers.
Et les discours du Président de la République rajoutent aux tensions ?
C’est un risque. Ce que je souhaite c’est que l’équilibre qui a pu être trouvée en France soit perpétuée. Donc avant de changer un système, réfléchissons aux avantages et inconvénients de notre système. Je crois que ce sont des équilibres extrêmement fragiles. La République, les principes républicains, c’est vrai de la laïcité, c’est vrai de l’égalité des chances, de la justice et de l’indépendance de la justice, tout ça ce sont des éléments auxquels il faut prendre beaucoup de soins.
Dominique de Villepin, « Hôtel de l’Insomnie » chez Plon, c’est le livre qu’il publie. Et puis il dort bien maintenant, voyez, parce qu’il était bien réveillé ce matin sur RTL. Bonne journée.
Sources: Cyriel Martin (Le Point) et RTL