Après les propos de Bernard Kouchner qui a a déclaré, lors d’une brève visite samedi à Kigali, que la France avait « certainement commis une faute politique » pendant le génocide de 1994, le ministre des Affaires Etrangères de l’époque, Alain Juppé, a vivement répliqué aujourd’hui sur son blog.
« La diplomatie française ne devrait pas s’écarter de la voie de la vérité et de la dignité », suggère-t-il notamment à l’encontre de Bernard Kouchner.
Visite de Bernard Koucher à Kigali
Bernard Kouchner ne sera resté samedi que deux heures et demie à Kigali mais sa courte visite constitue un pas décisif dans la normalisation des relations franco-rwandaises, rompues depuis plus d’un an. Arrivé à Kigali en provenance de la République démocratique du Congo (RDC) voisine, le ministre des Affaires étrangères a multiplié les gestes symboliques. Il a ainsi estimé que la France avait « certainement commis une faute politique » lors du génocide rwandais de 1994.
« On ne comprenait pas ce qui se passait. Mais il n’y a pas de responsabilité militaire », a-t-il toutefois ajouté, lors d’une conférence de presse avec le président rwandais Paul Kagame avec qui Bernard Kouchner s’est entretenu pendant plus d’une heure. Des propos similaires à ceux que le chef de la diplomatie française avait tenus le 2 octobre dernier sur Europe 1.
Plus tôt dans l’après-midi, le patron du quai d’Orsay s’est rendu au mémorial du génocide à Kigali. Il y a déposé une gerbe de fleurs sur la fosse commune recouverte de béton, dans laquelle reposent 250.000 victimes des massacres de Kigali. Il a ensuite observé une minute de silence, avant de poursuivre la visite du mémorial. En voyant plusieurs photos de corps massacrés dans des églises, il a répété: « J’y étais ».
Lors du génocide, Bernard Kouchner s’est rendu plusieurs fois au Rwanda pour tenter d’organiser des couloirs humanitaires. L’ancien ministre de la Santé et de l’Action humanitaire y a rencontré Paul Kagame qui commandait la rébellion tutsie du Front patriotique rwandais (FPR) qui a mis fin aux massacres en juillet 1994. Des liens que le président rwandais n’a pas oubliés. Saluant son « bon ami » Kouchner, Paul Kagame a affirmé samedi « vouloir se débarrasser des obstacles fondées sur les erreurs du passé » pour « aller de l’avant ».
Au cœur des tensions diplomatiques entre Paris et Kigali se trouve le génocide. Le Rwanda accuse la France d’avoir soutenu les forces qui ont commis les tueries de 1994, ce que Paris a toujours nié. La dissension entre les deux pays a atteint son apogée en novembre 2006 avec la rupture par Kigali de ses relations diplomatiques avec Paris après que le juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière eut émis des mandats d’arrêt contre neuf proches du chef de l’Etat rwandais, Paul Kagame, dans le cadre de l’enquête sur l’attentat, le 6 avril 1994, contre le président rwandais de l’époque, Juvénal Habyarimana. Un assassinat qui avait déclenché les massacres dans lesquelles ont péris, d’après l’ONU, près de 800.000 personnes.
La réaction d’Alain Juppé sur son blog
Alain Juppé a vivement réagi ce soir aux propos de Bernard Kouchner:
« Je comprends bien que la France veuille se réconcilier avec le Rwanda. Le réalisme politique le commande. C’est l’intérêt de notre pays. Mais de là à tomber dans les amalgames de la repentance ou les compromissions de la « realpolitik », il y a un fossé.
On nous dit qu’au Rwanda, la France aurait commis une « faute politique ». C’est trop ou trop peu. De quelle faute s’agit-il? Il faut l’expliquer!
Aurions-nous, par exemple, pris systématiquement le parti d’un camp contre l’autre, des Hutus contre les Tutsis? C’est une contre-vérité. (…)
Aurions-nous « omis » de dénoncer le génocide dont les extrémistes Hutus se sont rendus coupables à partir d’avril 1994? C’est une contre-vérité. (…)
Aurions-nous fait preuve de passivité alors que la communauté internationale aurait agi? C’est une contre-vérité. (…)
Dès lors, de quelle faute nous parle-t-on?
Nous assistons depuis plusieurs années à une tentative insidieuse de réécriture de l’histoire. Elle vise à transformer la France d’acteur engagé en complice du génocide. C’est une falsification inacceptable.
La diplomatie française ne devrait pas s’écarter de la voie de la vérité et de la dignité », conclut Alain Juppé, ministre des Affaires Etrangères de l’époque.
Source: Le Figaro et le Blog notes d’Alain Juppé