Grâce notamment à l’action de la France, l’Union européenne sera dotée avant la fin de l’année d’un nouveau traité lui permettant de fonctionner plus efficacement et d’affirmer mieux son unité. L’Europe aura un visage, principalement celui de son président qui sera élu pour deux ans et demi.
Qui choisir ? Déjà, ici ou là, on parle de Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique. Est-ce la meilleure idée ? Certes, il a de grandes qualités, de la souplesse, de la rapidité, le sens de la communication. Certes, qu’il ne soit plus un chef de gouvernement en exercice ne le disqualifie en rien pour cette nouvelle fonction.
Certes, qu’il soit le citoyen d’un grand pays n’est pas non plus un obstacle : en d’autres temps, on aurait pu songer au chancelier Helmut Kohl qui sut réunifier son pays sans faire éclater l’Union européenne et qui accepta de sacrifier le Deutschemark pour permettre la création de l’euro. Par ailleurs, de nombreux présidents de la Commission européenne ont été français, anglais, italien ou allemand.
Cependant, pour bien remplir sa fonction et être accepté par tous, le président de l’Union devra remplir deux conditions : être issu d’un pays qui adhère complètement aux progrès de l’Union et participer à toutes ses formes de coopération ; être déterminé à bâtir, notamment dans le domaine diplomatique et militaire, l’indépendance de l’Europe.
Est-ce le cas de M. Blair ? Tout d’abord, la Grande-Bretagne, dans de multiples domaines, a réclamé un statut spécial l’exonérant des obligations de droit commun pesant sur les membres de l’Union, et notamment ne participe ni à la zone euro ni à la zone Schengen. Elle a constamment fait obstacle à une harmonisation fiscale et sociale qui favoriserait les échanges au sein de l’Union.
Malgré ses déclarations de bonnes intentions, durant dix années, M. Blair n’a rien fait pour mettre fin à cette singularité. Si, comme je le propose dans mon essai consacré à la création d’une Union occidentale entre l’Europe et les Etats-Unis, le président des Etats-Unis et le président de l’Union européenne étaient appelés à se rencontrer régulièrement pour discuter des problèmes d’intérêt commun, comment un président de l’Union citoyen d’un pays qui a entendu garder toute son indépendance monétaire serait-il habilité à négocier sur les indispensables rapports de coordination qui doivent exister entre l’euro et le dollar américain ? On ne voit pas que M. Blair puisse en pareille occurrence être un porte-parole qualifié de l’Europe.
En second lieu, si l’Union européenne doit progresser, c’est pour exister davantage dans le champ diplomatique et militaire, mais de façon indépendante des Etats-Unis. Comment M. Blair serait-il crédible pour incarner cette ambition, alors que, dans la désastreuse affaire irakienne, il s’est avec zèle toujours tenu aux côtés des Etats-Unis, quand il ne les a pas inspirés ? La persévérance qu’il y a mise lui a d’ailleurs coûté le pouvoir dans son propre pays. Comment pourrait-il être le symbole d’une Europe indépendante ?
J’ai encore le souvenir du sommet de Corfou en 1994, durant lequel la Grande-Bretagne fit obstacle à la désignation d’un président de la Commission européenne, motif pris de ce que la France et l’Allemagne avaient manifesté une préférence trop grande pour le candidat qui semblait avoir le plus de capacité. Je ne saurais trop recommander que la désignation du futur président de l’Union soit le résultat d’un accord de tous soigneusement préparé.
M. Blair est, à coup sûr, une personnalité remarquable, il ne peut être le symbole d’une Europe qui veut exister.
Source: Tribune d’Edouard Balladur, ancien premier ministre, président du comité sur la réforme des institutions, dans le quotidien Le Monde