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Interview de Bruno Le Maire au quotidien Libération

Ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon, Bruno Le Maire, aujourd’hui député UMP de l’Eure, publie la chronique des années 1995-1997.

Il montre à travers des scènes édifiantes, souvent drôles, parfois pathétiques, l’irrésistible ascension de Nicolas Sarkozy et l’impuissance d’un Villepin qui se décrit comme « inadapté » à la nouvelle donne politique. Ou encore la solitude d’un Chirac en fin de règne. Alors que le Président entend ouvrir la « deuxième étape » de son quinquennat, entretien.

Les sondages font état d’une baisse de la popularité de Sarkozy. Le chef de l’Etat, très attentif à ces enquêtes, doit-il corriger le tir ?

Je ne le crois pas : c’est plutôt une incitation à poursuivre le travail engagé, un travail de fond utile pour le pays. Les effets ne sont pas immédiats, notamment sur le pouvoir d’achat : ce décalage explique les doutes de l’opinion, mais les résultats viendront.

Les retraités qui ont largement contribué à sa victoire ne sont-ils pas déroutés par style du Président ?

Les hommes politiques sont jugés sur leurs résultats. Dans ma circonscription de l’Eure, j’ai vu les réactions au projet de maintien de la redevance audiovisuelle pour les petits retraités: une traînée de poudre, avant que le Parlement ne corrige le tir.

Vous pointez une volonté de ne rien cacher : « Moi je dis tout, je suis parfaitement transparent », explique Sarkozy en novembre 2005. N’y a-t-il pas là une forme d’impudeur ?

Nicolas Sarkozy a su simplifier son langage, désigner clairement les problèmes et les enjeux. En cela, il a eu un temps d’avance sur ses adversaires.

Vous le décrivez avançant « au pas de charge » sans un regard pour ceux qui l’entourent. Cette «part de soi-même» qu’il aurait selon vous « sacrifiée », n’est-ce pas l’espace d’une vie vraiment privée ?

On ne parvient pas aux plus hautes fonctions sans sacrifier une part de soi-même. C’est vrai dans tous les pays démocratiques.

Vous montrez Villepin se décrivant lui même « comme inadapté », notamment quand il voit ceux qui soutenaient le CPE en demander son retrait à cause des sondages…

Dominique de Villepin est entré à Matignon avec un seul objectif : faire des deux dernières années du quinquennat des années utiles, notamment dans la lutte contre le chômage. A chaque moment il a fait preuve d’une immense liberté, refusant les concessions et les compromis. Ce qui comptait c’était les décisions et les résultats, davantage que la gestion politique. Ce souci d’avancer vite a eu son efficacité. Mais il a pu lui faire commettre des erreurs, par exemple sur le CPE : il aurait fallu davantage de pédagogie et de concertation.

Vous décrivez un Chirac reclus et immobile…

Mon livre ne porte que sur deux années. Tout pouvoir s’épuise avec le temps, mécaniquement : je fais le même constat dans mon livre pour un Tony Blair ou un Kofi Annan, deux grands hommes d’Etat.

Sarkozy, c’est un changement de culture ?

Oui. Le rapport entre la représentation et l’action a changé : désormais, la représentation s’efface devant l’action. Ce changement de culture n’est pas le produit d’une alternance politique, mais d’un débat au sein de la majorité, fait remarquable, qui explique bien des déchirements.

Vous, le fidèle villepiniste, vous voilà bien élogieux…

Mon livre cherche avant tout une vérité sur le pouvoir et les hommes qui l’exercent. Je reconnais l’intelligence de la stratégie déployée par Nicolas Sarkozy pour conquérir le pouvoir. Cela ne change rien à mon amitié pour Dominique de Villepin.

Source: Libération (propos recueillis par Alain Auffray)

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