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Extrait du livre de Bruno Le Maire (2/3): Jacques Chirac, l'ultime combat

Quelques extraits consacrés à Jacques Chirac…

15 mars 2005 (Dominique de Villepin, ministre de l’Intérieur, s’entretient au téléphone avec Jacques Chirac)

Le président parle lentement, avec une voix enrouée qui lui donne un ton rocailleux. Il résume la stratégie de Nicolas Sarkozy en quelques mots: imposer sa nomination comme Premier ministre. « Mais cela, Dominique, je vous le dis, cela n’arrivera jamais. » Sa remarque est sans appel, sans dureté particulière non plus, il dit cela sur le ton de l’évidence, comme un père décrétant que son fils ne sortira pas ce soir. « S’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que jamais je ne nommerai Nicolas Sarkozy Premier ministre. »

23 septembre 2005 (L’éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne crée une tension entre Jacques Chirac, qui y est favorable,et Nicolas Sarkozy,qui fait adopter à l’UMP un texte s’y opposant. Dominique de Villepin,devenu chef du gouvernement, prévient Jacques Chirac)

Le président se fait répéter la formule, se tait un instant, répond: « Vous avez raison, ce n’est pas acceptable. Je vais appeler Nicolas Sarkozy. Je vais lui dire que j’ai lu son texte, qu’il n’est pas conforme avec les choix, ni avec les intérêts d’ailleurs, de la France, et que j’en tirerai toutes les conséquences le moment venu. » En fin de journée il rappelle, sur un ton martial: « Bien, Dominique, je viens d’avoir Nicolas au téléphone, je lui ai dit très calmement que le texte de sa motion était contraire non seulement à la position, mais aussi aux intérêts de la France. Je dois dire qu’il a été très petit garçon. Vraiment très petit garçon. Alors évidemment je ne vais pas le virer tout de suite. Ce serait trop tôt. Mais, à la première occasion, je le vire. Sa conduite n’est pas acceptable. » Une nouvelle fois, tout en donnant à sa voix une inflexion de regret, ou de déception, il conclut: « Ce n’est pas digne. »

22 octobre 2005 (Entretien habituel du samedi entre Jacques Chirac et son Premier ministre)

« Vous allez comment, Dominique? – Très bien, monsieur le Président, je viens de faire 20 kilomètres, je vais très bien. – Et vous les faites comment, vos 20 kilomètres? – En courant, monsieur le Président. – Ah. En courant. Parfait. Mais vous savez que c’est très mauvais pour la santé? »

20 décembre 2005 (Après un entretien téléphonique avec le chef de l’Etat,Dominique de Villepin confie à Bruno Le Maire:)

« Le président, vous savez, il se bat pour la vie, c’est la seule chose, la vie. Tout le reste, le pouvoir, le gouvernement, les élections, le parti, ça ne l’intéresse plus. »

8 janvier 2006 (Réunion à l’Elysée avec le président, qui parle le premier)

« Il y a autre chose, je voudrais dire un mot là-dessus: la situation politique. L’opposition, je vous le dis, je l’observe attentivement, est incapable de gagner une élection. » Il insiste en inclinant la tête vers l’avant, les yeux plissés, la bouche raide, le doigt sévère. « Incapable. Donc nous gagnerons les présidentielles. Nous ne les gagnerons pas par mérite, nous les gagnerons par défaut. » La pendule posée sur le linteau de la cheminée sonne six heures. Il fait déjà nuit dehors. Le président se tait, il réfléchit à quelque chose de grave, il hésite, il sait que chacun autour de la table l’écoute attentivement. « Il y a Nicolas Sarkozy. Mais Nicolas Sarkozy ne sera pas élu, tout simplement parce qu’il n’a pas les qualités pour ça. Il ne fera jamais les 50,5 ou les 51% nécessaires. Quant à Mme Royal, Mme Royal ce n’est pas sérieux, elle réussit parce qu’elle ne dit rien sur rien, mais avec le sourire. »

(Villepin lui présente un contrat de travail spécifique pour les jeunes, le futur CPE. Jacques Chirac intervient.)

« Moi, ce qui m’inquiète dans votre truc, c’est la tuyauterie. Je peux vous l’assurer, pas un Français ne comprendra. Alors si cela crée des dizaines de milliers d’emplois dans les trois mois, très bien, mais sinon vous perdez sur les deux tableaux: vous excitez les syndicats, qui sont plutôt tranquilles, et vous ne réduisez même pas le chômage. Du haut de mon incompétence, et elle est incontestable dans ce domaine, je vous dis que vous faites ce que vous voulez, mais vous faites une connerie. »

7 avril 2006 (Réunion à l’Elysée. Jacques Chirac parle.)

Il voit que Dominique de Villepin ne l’écoute pas, il se penche en avant vers lui. « Je veux vous dire une chose: arrêtez de vous occuper de Nicolas Sarkozy. Je sais que vous êtes obsédé par Nicolas Sarkozy. N’y pensez pas. Cela n’a aucune importance. Il joue, laissez-le jouer. » Il dit plus doucement, sur un ton caverneux, comme replié sur un autre versant de l’histoire que nous vivons, si brève, si sombre, pour dialoguer avec des souvenirs que nous ne connaissons pas: « Je le dis d’autant plus que personne autour de cette table, je dis bien personne, n’a eu autant à souffrir de Nicolas Sarkozy que moi-même. »

10 juin 2006 (Jacques Chirac téléphone de sa voiture à Dominique de Villepin)

« Ah! Ce soir, j’en ai vraiment pardessus la tête! J’ai fait le match de foot, j’ai fait la Mutualité, j’ai fait une décoration, je vais aller me coucher. » Il éternue bruyamment. « En plus de ça, j’ai attrapé froid. Tout ça, Dominique, vous savez, c’est lassant. »

Source: Des hommes d’Etat, par Bruno Le Maire (éditions Grasset) – extraits cités dans L’Express

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