Sous le titre « Des hommes d’Etat » (Grasset), Bruno Le Maire, ancien directeur du cabinet de Dominique de Villepin à Matignon et actuel député de l’Eure, publie une chronique des années 2005-2007. Il dévoile notamment les secrets de l’affrontement au sommet de l’État, à la veille de la présidentielle.
« Ah ! voilà Tom Cruise ! » Deux jours après le premier tour de la présidentielle, Dominique de Villepin se moque ainsi de Nicolas Sarkozy, lunettes d’aviateur plaquées sur les arcades sourcilières, alors qu’il vient déjeuner une dernière fois à Matignon.
« Le Tom Cruise du pauvre, Dominique, le Tom Cruise du pauvre ! » réplique du tac au tac le futur président de la République, qui ne manque jamais une occasion de relever le gant face à celui qui aura été à la fois son plus solide rival et l’un de ceux auprès de qui il aura puisé nombre de conseils.
« Entre ces deux hommes de talent, qui se donnent l’accolade, l’entente aura été une tâche impossible, et pourtant utile à conduire », écrit Bruno Le Maire, ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin, au terme d’un récit édifiant de ces deux années où l’on voit un président en fin de mandat et son premier ministre livrer une guerre sans merci au numéro deux du gouvernement.
Pendant deux ans, jour après jour, Bruno Le Maire, aujourd’hui député de l’Eure, a consigné, en narrateur pointilleux, notes et impressions sur cette « guerre des trois » que l’auteur appelle sobrement Des hommes d’État. Un témoignage inédit et précis qui raconte l’envers du décor : l’atmosphère surréaliste des déjeuners entre Villepin et Sarkozy, les petits déjeuners explosifs de la majorité à Matignon et, bien sûr, les confidences du premier ministre au plus fort de la crise du CPE ou de l’affaire Clearstream.
Témoin discret et lucide de tous ces événements, Le Maire se tient à égale distance de ses trois héros même s’il reconnaît fidélité et tendresse particulière pour Villepin qu’il a servi entre 2002 et 2007.
Dans un style enlevé, écrit à la première personne, l’auteur décrit la détermination de Sarkozy à vouloir être candidat à la présidentielle, qui tranche avec les hésitations de Villepin.
Entre ces deux combattants, l’opposition frontale, presque animale, n’empêche pas une certaine forme de complicité, voire une indéniable estime. Leurs relations ressemblent aux montagnes russes.
Exemple avec ce déjeuner du 31 juillet 2006, Sarkozy s’adresse à Villepin : « Je vais vous dire un truc, Dominique : de toute façon, tous les deux, même quand on se déteste, on s’amuse. On ne s’ennuie jamais. On prend du plaisir. Donc on peut continuer ensemble, on se mettra sur la gueule, de toute façon on s’amusera, c’est l’essentiel. »
Changement d’ambiance le 11 janvier 2007, Sarkozy passe un coup de fil furibard à Le Maire après des propos de Villepin rapportés par Le Figaro : « On va où là ? Je vais vous dire, ce n’est plus la peine qu’on se parle, c’est inutile (…). Il faut le calmer, votre ami ! Je fais un geste, il m’attaque ! Je sais pas moi, donnez-lui du Tranxene ! »
Le 5 mai, jour de leur avant-dernière rencontre, le futur président promet : « Il y aura toujours une place pour vous, Dominique. »
Avec ce brillant exercice littéraire, l’auteur énarque et normalien s’est interdit tout règlement de comptes. « J’ai voulu montrer la vérité de trois personnages en gardant beaucoup de respect pour eux. J’ai éliminé volontairement ce qui relève de l’emporte-pièce. Si j’avais tout dit, la moitié des ministres de l’actuel gouvernement ne parleraient plus au président », admet l’élu d’Évreux dont on dit qu’il pourrait entrer au gouvernement.
Au final, c’est Jacques Chirac qui sort le plus « abîmé » de ce récit. Le président apparaît totalement dépassé par les événements. Convaincu que Sarkozy ne gagnera pas en 2007 « parce qu’il n’a pas les qualités pour ça », il pousse Villepin à se mettre en situation d’être candidat. Avant de l’enjoindre à soutenir Sarkozy.
Plus que le flou de sa stratégie, ce qui frappe c’est l’état de santé du chef de l’État, victime en septembre 2005 d’un accident cardiaque. Au fil des pages, on découvre un président bâillant en milieu de réunion, maîtrisant mal les sujets de politique intérieure, le plus souvent rétif aux propositions d’innovation de son premier ministre. Recommandant toujours à Dominique « de faire attention ». Jusqu’à lui proposer, avant un déplacement en banlieue : « Je peux vous prêter mon petit chien Sumo, il aboie très fort. »
Source: Le Figaro
Remerciements à Philippe Brennetot pour la photo de Bruno Le Maire à l’imprimerie, lors de la mise en encre de son livre