Jacques Chirac a été mis en examen mercredi pour détournement de fonds, selon son avocat Me Jean Veil, dans le cadre de l’affaire des chargés de mission de la Ville de Paris.
Jacques Chirac était entendu mercredi matin pour la deuxième fois depuis son départ de l’Elysée par un juge, cette fois dans l’affaire du recrutement des chargés de missions de la ville de Paris, qu’il dit avoir « souhaité ou autorisé », dans une tribune publiée par Le Monde daté de jeudi.
M. Chirac est arrivé au pôle financier du palais de justice accompagné de deux avocats, dont Me Jean Veil, selon une source proche du dossier. Procéduralement, la présence d’avocats à l’audition signifie qu’il n’est pas entendu comme simple témoin, mais sous le statut de témoin assisté ou de mis en examen.
Depuis qu’il a quitté l’Elysée et est redevenu un justiciable ordinaire, c’est la deuxième fois en quelques mois que M. Chirac est entendu par un juge. Il a déjà été interrogé comme témoin assisté le 19 juillet à son bureau par le juge Alain Philibeaux dans l’affaire des emplois fictifs au profit du RPR.
L’affaire dite des emplois fictifs
Dans celle des chargés de mission, certains emplois rémunérés par la mairie de Paris étaient totalement fictifs, aux contours très imprécis ou sans rapport avec la mairie, selon les enquêteurs. Parmi les bénéficiaires présumés de ces emplois se trouve un ancien préfet, soupçonné d’avoir bénéficié d’un chauffeur payé par le cabinet du maire de Paris. Selon une source proche du dossier, il s’agit du seul contrat signé de la main de M. Chirac, lorsqu’il dirigeait la capitale.
Dans une tribune publiée dans Le Monde daté de jeudi, M. Chirac écrit avoir « souhaité ou autorisé », lorsqu’il était maire, les recrutements de chargés de mission car ils étaient « légitimes autant que nécessaires ». Il ajoute qu’ils ont été autorisés par le conseil municipal de Paris. Il assure en outre que « jamais les moyens de la Ville de Paris n’ont été mis au service d’autres ambitions que d’agir pour les Parisiennes et Parisiens ».
Dans ce dossier, vingt personnes sont soupçonnées d’avoir attribué des emplois de complaisance ou d’en avoir bénéficié au cours des années 1980 et 1990, du temps où Jacques Chirac (1977-1995) et Jean Tiberi (1995-2001) étaient maires de Paris.
Parmi eux, cinq ex-directeurs de cabinet de la mairie sont déjà mis en examen, notamment pour « détournement de fonds publics »: Robert Pandraud (1983-1986), Daniel Naftalski (1986-1989), Michel Roussin (1989-1993), Rémy Chardon (1993-1995) et Bernard Bled (1995-1998). Cette affaire a également valu à Alain Juppé, ancien adjoint aux finances de la ville, d’être entendu comme témoin le 15 mai par les policiers à Nanterre.
Dans le cadre de ce dossier, la police financière a également été chargée d’une enquête sur Claude Chirac, la fille de M. Chirac, conseillère à la mairie de Paris de 1989 à 1993 et salariée d’une société privée.
L’affaire trouve son origine dans la plainte d’un contribuable parisien en 1998. En janvier 1999, une information judiciaire était ouverte pour « faux en écriture publique, prise illégale d’intérêts, détournements de fonds publics et recel ».
Mise en examen
Jacques Chirac est mis en cause par la juge Xavière Simeoni pour avoir fait recruter à son cabinet de maire des dizaines de « chargés de mission » payés sur fonds publics mais qui, selon les cas, n’auraient effectué aucun travail ou auraient été à son service personnel.
Cette poursuite judiciaire devrait désormais déboucher sur un procès en correctionnelle, aucun vice de forme ne pouvant plus être soulevé. La Cour de cassation a en effet validé totalement la procédure en juin dernier.
L’audition de l’ancien président, qui a duré trois heures, s’est passée « dans le meilleur climat », a assuré Me Veil. Elle a porté sur l’organisation de la mairie et sera suivie d’une autre, portant directement sur les emplois litigieux, « dans les prochains mois », a-t-il ajouté.
Dans l’entourage de Jacques Chirac, on reprécise que l’ancien président « trouve naturel, en tant qu’ancien premier magistrat de France, de se tenir à la disposition de la justice et de s’exprimer sur ce point ».
On ajoute que dans cette affaire, il n’y a « aucun enrichissement personnel ».
Les réactions
La mise en examen pour « détournement de fonds publics » de Jacques Chirac a déclenché mercredi une avalanche de réactions à l’Assemblée: les chiraquiens s’indignent, les sarkozystes restent plutôt discrets, la gauche choisit de ne pas en rajouter.
Dès l’annonce de la nouvelle à la mi-journée, c’est le très villepiniste, Jean-Pierre Grand qui sonne la charge contre cette « forme d’inquisition politique sans précédent ».
« Je crois de moins en moins au hasard », lâche le député de l’Hérault, qui parle de « violence d’Etat » à l’encontre de l’ancien président, un homme grâce à qui « aujourd’hui la France n’est pas en guerre en Irak ».
« On veut humilier Jacques Chirac. Ca suffit! trop c’est trop! », tonne-t-il devant les caméras.
Villepinistes et chiraquiens -François Goulard, Christian Jacob, Benoist Apparu, Yves Censi, Georges Tron notamment- sont montés au créneau tout au long de l’après-midi pour exprimer leur « tristesse » et souligner que la mise en examen ne correspond en rien à un « enrichissement personnel ».
« Je suis peiné. Nous devons tous respecter l’indépendance de la justice et laisser la justice faire son travail », déclare François Goulard, un des rares ministres de Jacques Chirac à ne pas avoir soutenu Nicolas Sarkozy durant la campagne.
« Ca va donner l’occasion à Jacques Chirac de s’exprimer sur ce canard qui court depuis un moment et surtout de clarifier les choses », fait valoir un autre ex-ministre Christian Jacob.
« Ses collaborateurs, ils les a toujours recrutés pour mener à bien l’exercice de ses mandats », a soutenu le député UMP de l’Aveyron Yves Censi, dénonçant des attaques « mensongères, haineuses et d’origine politicienne ».
Les vieux grognards de l’ancien président sont eux aussi sortis de leur retraite. Pierre Mazeaud , ancien président du Conseil constitutionnel, a déclaré : « C’est un ami. J’ai toujours de l’affection pour Chirac, quoi qu’il arrive. C’est un peu tardif » pour juger l’ex-chef de l’Etat. « J’avais été l’auteur d’une proposition de texte sur la prescription des abus de biens sociaux » avec « l’accord unanime de la gauche comme de la droite. La prescription, c’est enlever l’épée de Damoclès sur la tête des individus, c’est la loi du pardon ».
Jacques Chirac est « quelqu’un qui est profondément honnête, qui a un grand sens de l’Etat », a certifié l’ancien ministre François Goulard, « peiné » par cette mise en examen. Mais il a refusé de s’associer aux accusations de règlement de comptes politique car « ce serait prêter à des magistrats des intentions qu’ils ne doivent pas avoir ».
L’ancien ministre délégué aux Relations avec le Parlement de Jacques Chirac, Henri Cuq, a quant à lui rapporté que l’ancien président « savait qu’il aurait » à s’expliquer. « Il le fait en responsabilité avec la dignité et le sens de l’honneur qui l’ont caractérisé tout au long de sa carrière politique », a ajouté ce proche de Jacques Chirac, rappelant que l’ancien maire de Paris avait autorisé le recrutement de ces chargés de mission « parce qu’ils étaient légitimes et nécessaires au bon fonctionnement » de la Ville de Paris. « Jacques Chirac ne craint rien. Il a passé sa vie au service de la France et des Français. Aujourd’hui, il s’explique sur cette affaire des chargés de mission de la Ville de Paris. Il le fait en responsabilité avec la dignité, avec le sens de l’honneur qui l’a caractérisé durant toute sa carrière ».
Dans le camp sarkozyste, les réactions sont ra
res et le ton mesuré. On insiste sur « la présomption d’innocence ». « On peut saluer le fait qu’un ancien président de la République se soumette à la justice de son pays », déclare Frédéric Lefebvre.
« On est face à un ancien président qui assume, avec le sens des responsabilités. Je trouve ça bien, je trouve ça grand », renchérit la porte-parole de l’UMP, Nadine Morano, observant toutefois que « personne n’est au dessus des lois ».
Quelques rares ministres ont réagi dans la cour du Palais-Bourbon à l’issue des questions d’actualité. « Je suis triste et je trouve que pour l’image de la France, c’est quand même tragique qu’un ancien président de la République soit mis en examen », note Christine Boutin (Logement).
Ancienne plume de Jacques Chirac, Christine Albanel (Culture) se dit « attristée », tandis que Xavier Darcos (Education nationale) exprime « amitié et gratitude » à l’ancien président.
A gauche, à quelques exceptions près, c’est la volonté de ne pas en rajouter qui domine: « je ne veux pas faire de polémique inutile. Je fais confiance à la justice », déclare le numéro un PS François Hollande.
Sources: Agence France Presse, Reuters et Associated Press