L’Organisation Internationale du Travail a condamné cette semaine le Contrat Nouvelle Embauche (CNE) créé en août 2005 par le gouvernement de Dominique de Villepin. L’OIT considère que la durée de la période d’essai (deux ans) n’est pas raisonnable et qu’un contrat de travail ne peut être rompu en l’absence d’un motif valable.
Rappelons que près d’un million de CNE ont été conclus en deux ans dans les entreprises de moins de 20 salariés.
Un millions de contrats signés depuis août 2005
Créé en août 2005, le CNE est un contrat de travail à durée indéterminée (CDI) destiné aux entreprises de moins de 20 salariés. Il débute par une période de deux ans, dite « période de consolidation », pendant laquelle l’employeur peut licencier le salarié sans avoir à fournir de justification.
Le CNE, une des premières mesures phare du gouvernement Villepin, avait été validé par le Conseil d’Etat le 19 octobre 2005. Le gouvernement aurait voulu en rester là, mais il a dû faire face à des jugements aux prud’hommes estimant que ce dispositif était contraire à une convention (158) de l’Organisation internationale du travail (OIT) datant de 1982.
La cour d’appel de Paris, dans un arrêt prémonitoire, a elle-même dénoncé en juillet 2007 sa « non conformité » avec les conventions de l’OIT signées par la France, pour au moins deux raisons : la longueur de la période d’essai et la possibilité d’une rupture sans motif. Ce sont ces mêmes arguments qui ont été invoqués hier.
La décision de l’Organisation Internationale du Travail
Dans un rapport adopté par le Conseil d’administration de l’OIT réuni à Genève, le Comité chargé d’examiner une réclamation présentée par le syndicat Force Ouvrière (FO) a déclaré être « dans l’incapacité de conclure (…) qu’une durée aussi longue que deux ans soit raisonnable ». En outre, un contrat de travail ne peut être rompu « en l’absence d’un motif valable », a tranché le Comité de l’OIT.
Désormais, l’employeur devra se conformer aux dispositions légales sur le licenciement. Autrement dit, un salarié qui a signé un CNE va bénéficier des conditions applicables à un CDI en cas de séparation à l’initiative de son employeur. Dans le cas contraire, il pourrait porter son licenciement aux prud’hommes. Et la décision de l’OIT est une garantie de victoire.
L’OIT a « laissé une porte ouverte » a jugé un diplomate français en soulignant que l’organisation a indiqué « ne pas exclure la possibilité que se justifie une période plus longue » que six mois de période d’essai. La période d’essai proposée pourrait ainsi atteindre six mois, voire un an pour les cadres. La Convention précise qu’il est permis de licencier sans justification durant une période d’essai, mais à condition que celle-ci soit d’une durée « raisonnable ».
Le Comité de l’OIT relève que la justice française a apprécié de manière contrastée la durée d’une période « raisonnable ». Tandis que le Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative, a jugée raisonnable une durée de deux ans, la Chambre sociale de la Cour de cassation (plus haute instance judiciaire) a elle estimé qu’une période supérieure à six mois était excessive, rappelle le rapport du Comité.
« L’OIT délivre des décisions qui ne sont que des avis et qui n’ont pas pour conséquence d’invalider un texte en vigueur dans un Etat. La portée de ces avis est cependant considérable. L’OIT vient en définitive de fournir au salarié un argument imparable devant les juridictions françaises », précise Maître Stéphane Béal, avocat associé chez Fidal. Les CNE en cours sont donc parfaitement valables – un salarié ne peut obliger son employeur à transformer son CNE en CDI – et une entreprise peut théoriquement en conclure un nouveau… sachant qu’en cas de rupture du contrat sans motifs valables, il y a fort à parier que l’affaire se termine devant les prud’hommes et que l’employeur soit tenu de verser des indemnités substantielles au salarié licencié.
Les réactions à la décision de l’Organisation Internationale du Travail
Le Contrat Nouvelles Embauches (CNE) « est mort » s’est réjoui le secrétaire général du syndicat français Force ouvrière Jean-Claude Mailly.
Dans un communiqué, le collège des employeurs devant le BIT a « pris acte de la recommandation du BIT sur le CNE », même s’il a déploré l’interprétation « rigide » de ses conventions.
Le représentant de la France auprès de l’OIT, Gilles de Robien, a lui demandé à l’organisation de laisser « un espace pour dynamiser la création d’emplois » par la négociation d’une « plus grande flexibilité pour faire face au défi de compétitivité ».
« C’est une mauvaise nouvelle que nous attendions avec anxiété », a déclaré le vice-président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises françaises, M. Jean-François Veysset. « Il faut continuer à mettre en place des dispositifs simplifiés, aussi bien en matière d’embauches et que de licenciements », a souligné M. Veysset.
L’UPA (patronat de l’artisanat) s’est de son côté inquiété jeudi d’un risque de « multiplication des contentieux », alors qu’il y a déjà 800 affaires en suspens devant les tribunaux.
La CGPME (petites et moyennes entreprises), plutôt amère de la décision de l’OIT, a elle affirmé que celle-ci ne remettait pas en cause l’emploi des salariés concernés.
Jeudi soir, le ministère du Travail s’est contenté d’indiquer qu’il « prenait acte » de cette décision et qu’il fournirait « des précisions juridiques dans les plus brefs délais ».
Le gouvernement de François Fillon avait pris ses distances, quoique tardivement, cet été avec ce contrat créé sous le gouvernement du Premier ministre Dominique de Villepin. Il n’a cependant pas renoncé à faire sauter certaines protections entourant le contrat de travail.
Le représentant de la France auprès de l’OIT, M. Gilles de Robien, a d’ailleurs demandé à l’organisation de laisser « un espace pour dynamiser la création d’emplois » par la négociation d’une « plus grande flexibilité pour faire face au défi de compétitivité ».
L’après-CNE: négociations en cours sur la modernisation du marché du travail
Fin octobre, le Medef avait annoncé qu’il accepterait de renoncer au CNE en échange de la signature d’un accord avec les syndicats sur la modernisation du marché du travail.
Le patronat et les syndicats français ont engagé à ce sujet des négociations à un rythme inhabituellement soutenu. Celles-ci doivent aboutir d’ici la fin de l’année, sous peine de voir le gouvernement reprendre la main.
Le patronat souhaite obtenir des assouplissements au contrat de travail, qui passeraient notamment par un allongement de la période d’essai et la possibilité pour un employeur de se séparer à l’ »amiable » d’un salarié. Le patronat reconnaît « l’obligation de motiver les licenciements ». Mais, en contrepartie, il souhaite la création d’un nouveau mode de rupture amiable. Celui-ci permettrait au salarié de bénéficier d’allocations chômage. Dans ce cas, les entreprises ne verseraient pas des indemnités de préavis et de licenciement. Comme dans le cadre des politiques de rémunérations qui sont devenues individuelles en entreprise, les ruptures de contrat de travail suivraient cette même logique.
Mais côté syndicats, cette idée de séparabilité ne fait pas l’unanimité. Si le patronat est prêt à reconnaître de nouveaux droits aux salariés, les syndicats jugent encore ces avancées insuffisantes ou floues et demeurent hostiles aux assouplissements proposés du contrat de travail. La CGT, FO et la CFTC refusent la « séparabilité », alors que la CFDT y voit un « cadrage des ruptures individuelles ».
Autre « point dur » au menu: la possibilité pour un salarié de garder des droits à la formation continue ainsi qu’à la santé et à la prévoyance quand il est au chômage ou change d’entreprise.
Sources: Agence France Presse, Challenges, L’Entreprise et Capital