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Carte judiciaire: fronde d'élus UMP contre Rachida Dati

Les magistrats opposés à la réforme de la carte judiciaire, défendue par la Garde des Sceaux, Rachida Dati, ont trouvé un soutien inattendu cette semaine. Une quinzaine de députés UMP menace de voter contre le budget de la Justice s’ils ne sont pas entendus quant au contenu de cette réforme. Ils dénoncent la « méthode Dati » qui consiste à « passer en force ».

« Il y a une forme d’autisme du gouvernement à notre égard ». Le jugement de Yannick Favennec, député UMP de la Mayenne, est sans appel. Il est à l’origine de la fronde des élus UMP contre le projet de réforme de la carte judiciaire, présenté par la ministre de la Justice, Rachida Dati. Aujourd’hui, ils sont une quinzaine de députés, prêts à voter contre le budget de la Justice, le 15 novembre. « Et ça va monter en puissance », prévient l’élu local.

S’ils ne sont pas opposés à la réforme sur le fond, ces députés frondeurs sont loin d’apprécier la forme. « Il n’y a pas eu de concertation », regrette ainsi Yannick Favennec, ajoutant: « S’il y avait eu une concertation, on aurait pu convaincre la ministre qu’il fallait aller au-delà de la logique comptable qui est la sienne – moins de tant d’affaires traitées par an signifie la suppression du tribunal. Il y a aussi des spécificités locales et des logiques territoriales. »

« Pour moi il n’y a pas de petits tribunaux mais des tribunaux de proximité, tournés vers les petites gens, qui ont des problèmes d’expulsion, de surendettement, de tutelle, des gens fragiles qui n’ont pas de moyen de locomotion. Avec cette réforme, on va les pénaliser », estime Yannick Favennec. « Le risque, c’est une justice à deux vitesses. C’est inadmissible », confie-t-il. Rachida Dati y va « à la hache »

Peu à peu, d’autres députés UMP sont venus grossir les rangs de la contestation. Tels que Jean-Louis Léonard en Charente-Maritime, Jean-Marie Sermier, dans le Jura ou encore Louis Guédon en Vendée. Tous dénoncent « la méthode Dati ». Yannick Favennec raconte sa découverte de la suppression du tribunal d’instance de Mayenne: « Quand j’ai vu qu’elle y allait à la hache dans les autres départements, je me suis inquiété. Je suis allé à son cabinet (où il n’a pas pu rencontrer la ministre) et là on m’a dit ‘Mayenne, oui, vous êtes sur la liste’. »

Les députés ne comprennent pas ce manque de considération de la ministre, accusée de « passer en force ». « Je suis pour la réforme des institutions qui prévoit de renforcer les pouvoirs du parlement, mais il faudrait d’abord commencer par nous écouter à la base », estime le député, qui rappelle que si Rachida Dati est ministre, « c’est grâce à la majorité, composée de députés élus ».

« Les ministres élus comprennent mieux les élus locaux », estime ainsi Yannick Favennec. « Alors oui, elle va se présenter dans le VIIe arrondissement de Paris, mais elle ne prend pas beaucoup de risques », ajoute-t-il. L’incompréhension est grande entre la ministre et ces députés UMP. En témoignent ces propos, tenus par le député de la Mayenne: « Tous les ministres à qui on demande des rendez-vous nous reçoivent, elle non. Je ne comprends pas, aurait-elle un statut à part au sein du gouvernement ? »

Pour éviter la crise, Yannick Favennec conseille à la ministre de « réagir vite », car il est « encore temps de reprendre le problème à zéro et d’organiser une réunion avec l’ensemble des élus concernés ». Il invite par ailleurs la Garde des Sceaux à venir en Mayenne. « Le monde rural reste une grande inconnue pour Dati. C’est sûr, c’est très différent du VIIe arrondissement », lâche-t-il, un rien amer.

Lors de la réunion du groupe UMP à l’Assemblée cette semaine, ce sont d’autres députés « de base » qui ont donné de la voix. Michel Piron (Maine-et-Loire) est intervenu en présence de M. Fillon. « J’ai essayé de le faire sur un ton acceptable, sur la méthode et sur le fond, mais j’ai de sérieux doutes sur la rationalité de ce qu’on appelle la réforme de la carte judiciaire, qui ressemble plus à une concentration dans la carte judiciaire », explique-t-il, précisant : « Ma philosophie, ce n’est pas la résignation. »

Mercredi après-midi, le mouvement a franchi un pas avec une conférence de presse improvisée dans les couloirs de l’Assemblée, juste avant la séance de questions au gouvernement, par cinq députés de l’UMP. Louis Guédon (Vendée), Yannick Favennec (Mayenne), Jean-Louis Léonard (Charente-Maritime), Alain Marc (Aveyron) et Jean-Marie Sermier (Jura), réunis par un « ras-le-bol des décisions venues d’en haut », dénoncent la « pseudo-concertation » à laquelle a donné lieu la réforme.

« Nous ne remettons pas en question la nécessité de revoir la carte, se défend M. Léonard. On a tous bossé tout l’été pour faire des propositions d’aménagement mais, finalement, rien n’a été pris en compte. C’est une sottise en termes économiques, d’aménagement du territoire et d’efficacité de la justice. » Et le député charentais de prévenir que si les annonces que fera lundi la ministre pour sa juridiction devaient rester en l’état, « on quittera la salle ». « Je m’interroge sur le fait de rester dans un parti où l’on se moque de ce que pensent les parlementaires », ajoute l’élu, qui menace de ne pas voter les crédits de la justice, examinés le 15 novembre.

Hier vendredi, deux députés UMP, Jacques Le Guen (Finistère) et Jean-François Chossy (Loire), se sont, eux aussi, associés à la fronde contre la réforme de la carte judiciaire menée par des députés UMP.

Jacques Le Guen a indiqué, dans un communiqué, avoir appris « avec stupeur » l’annonce par la Garde des Sceaux Rachida Dati de la fermeture des tribunaux de Morlaix, Châteaulin et Quimperlé. « Aucune intervention des élus n’a été prise en compte. Tout ceci traduit une politique de déménagement du territoire », lit-on dans le communiqué. La question du « vote des crédits du ministère de la justice peut se poser, » menace-t-il.

Dans un autre communiqué Jean-François Chossy indique qu’il « s’associe à la fronde de plusieurs de ses collègues UMP » devant « l’absence de concertation avec la ministre de la Justice et face à la menace toujours persistante de la fermeture du TGI de Montbrison ». Il « souhaite, par ce geste de rébellion fort et inhabituel pour lui, démontrer son attachement aux services publics en général et à l’aménagement du territoire forézien ».

« Priver la population de tout un territoire d’une véritable et bonne justice de proximité, ce n’est pas la meilleure manière de réaliser la réforme de la carte judiciaire », proteste-t-il.

Sources: Marianne Enault (Le Journal du Dimanche), Patrick Roger (Le Monde) et Agence France Presse

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