Quand Dominique de Villepin s’exprime sur le gouvernement et son action, il utilise encore le mot “nous”. Difficile à croire tant l’ancien Premier Ministre s’installe chaque jour un peu plus dans le rôle de principal opposant à Nicolas Sarkozy. De passage à Lyon jeudi 25 octobre, il a livré au site de Tribune de Lyon sa vision de l’actualité politique nationale et locale.
Quel regard portez-vous sur la ville de Lyon ?
C’est une belle ville qui est marquée par un dynamisme formidable. Je me réjouis qu’elle fasse partie des grandes métropoles françaises qui rayonnent sur le plan national et international. Nous avons besoin de ces grandes villes qui relaient la force et la présence de notre pays.
A terme, la ville de Lyon peut-elle rayonner mieux ? Aujourd’hui, elle porte encore l’étiquette province…
Je crois qu’une des chances de la mondialisation, c’est d’offrir à nos grandes villes des possibilités d’expansion, d’initiatives. De fait, les grandes villes contribuent à l’équilibre du territoire. Pendant trop longtemps, on a pensé la France à travers Paris et le désert français, ce n’est plus vrai. L’évolution européenne montre que nos capitales régionales ont un rôle à jouer vis-à-vis de leur territoire naturel, et du pays. C’est un réservoir de dynamisme, d’initiatives, d’expérimentation. Les grandes villes sont en avance et sont en position de peser sur le fonds. Des synergies entre les capitales et les grandes villes doivent se multiplier.
Peut-on pousser plus loin la décentralisation ?
La décentralisation est un effort global. Ce qui me paraît important c’est de mettre en place une culture de la responsabilité et y compris de la responsabilité locale. Pas besoin d’être la capitale pour entreprendre. La démultiplication du génie français est importante. Le dynamisme de Lyon est salutaire.Sur la décentralisation, nous ne devons pas rester au milieu du guet. Nous n’avons pas clarifié la responsabilité de chacun. L’état doit impulser et accompagner. Cependant, dans la responsabilité quotidienne, dans la capacité à prendre des initiatives, il faut davantage faire confiance aux collectivités et simplifier le système.
Soutenez-vous Dominique Perben dans sa tentative de reconquête de Lyon par la droite ?
J’ai beaucoup travaillé avec Dominique Perben dans différents gouvernements donc je connais ses qualités et elles sont grandes. C’est un homme d’action et de gestion. Il a toujours aimé se coltiner avec la réalité. Il aime cette ville, cette région. Il est préparé pour cela, il s’y prépare depuis des années. Il a toutes les chances. Il est dans une majorité unie. Il bénéficie de tous les soutiens nécessaires pour mener bataille. Dont le mien. J’ai beaucoup de respect pour son action.
En ce moment, les affaires entre les politiques et leur lien à l’argent (EADS, UIMM) se multiplient, comment résoudre ces problèmes ?
Je crois qu’il y a toujours une interrogation et une exigence qui se pose entre les politiques et l’argent. Il est très important que les pouvoirs publics soient irréprochables. Il est normal qu’on fixe des règles comme on l’a fait en politique. C’est ce qu’il faut faire en matière syndicale. De ce point de vue-là, il y a une clarification qui doit être faite. Sur le plan démocratique, chacun doit prendre ses responsabilités. Il y a des cas particuliers, mais on ne peut pas généraliser. Il n’y a pas que des patrons voyous. Quand il y a des situations inacceptables, des décisions doivent être prises pour éviter des dérives qui portent atteinte au bon fonctionnement du système.
Quand vous étiez Premier ministre, avez-vous eu vent de ce type de pratique ?
Par définition, ce genre de choses n’était pas connu. La surprise est celle de tous. Il faut savoir quelle est la vérité, à quoi correspondent ces pratiques dont on dit qu’elles sont anciennes mais dont personne n’imaginait qu’elles perduraient.
Aujourd’hui, vos prises de position font de vous le principal opposant à Nicolas Sarkozy, plus même que le PS. C’est une situation assez inattendue ?
Chacun a ses responsabilités. L’opposition a les siennes, mon souci est de faire en sorte que ce qui a été promis aux Français soit réalisé. Au premier chef, c’est d’avoir un pouvoir d’achat qui s’améliore, une croissance. Il faut se donner les moyens de pouvoir répondre à ces attentes. La conviction que j’exprime tient en deux éléments. Il faut être fidèle aux principes fondamentaux. C’est pour cela que j’ai marqué clairement mes positions sur des sujets difficiles comme les tests ADN. Il faut respecter nos principes d’égalité des chances, de liberté, de refus de la discrimination, d’application de la loi républicaine. Ma deuxième position, c’est de nous concentrer sur l’essentiel : la réforme économique et sociale. C’est là que les attentes sont les plus fortes. Si nous voulons réussir dans des délais courts, il faut mettre toute notre énergie au service de cette réforme. Donc plutôt que d’ouvrir tous les chantiers en même temps et de disperser nos moyens, il faut se concentrer sur cela sachant que la conjoncture n’est pas facile. Il y a aussi une vigilance, qui me paraît normale, c’est de rassembler tous les Français. C’est un leitmotiv indispensable dans un pays comme le nôtre qui est trop marqué par un esprit de querelle, de divisions. Pour réformer, il faut convaincre et donc rassembler. Si je l’exprime fortement, c’est que notre majorité doit être une majorité de débat. Cela implique un débat public, des corrections.
Vous êtes à l’UMP, c’est donc étonnant de voir l’opposition s’exprimer à l’intérieur de la majorité…
Au sein de notre famille politique, ce n’est pas une nouveauté. Au cours des dernières années, les voies les plus fortes qui se sont exprimés au plan politique venaient de notre majorité. Nicolas Sarkozy en est un bel exemple à l’époque où il était président de l’UMP ou membre de notre gouvernement. Je crois que le fait de défendre des convictions d’exprimer ses positions même de façon critique est un élément de stimulation dans une démocratie. Ce qui est important, c’est que les choses avancent et avancent bien. J’estime que, quand on a une expérience, on a un devoir. En politique extérieure, je me permets d’attirer l’attention sur le risque de telle ou telle décision. Quand les choses vont bien, je le dis. Je l’ai dit sur le traité simplifié, sur le projet d’Union Méditerranéenne, le Grenelle de l’environnement, sur les choses qui me paraissent aller dans le bon sens. Mais quand il y a des difficultés, des choix qui comportent des risques, je le dis.
Vous ne vous sentez pas un peu seul dans ce rôle ?
La solitude fait partie intégrante de l’engagement politique. On est là avec sa conscience, avec ceux qui partagent la même vision. Sur le plan politique nous sommes nombreux à exprimer les convictions que j’exprime même s’il faut bien sûr qu’il y en ait un qui prenne le risque de l’affirmer. Je suis dans une situation plus facile pour le faire parce que mon parcours me l’autorise. Je suis soucieux de liberté et d’indépendance donc c’est peut-être plus facile pour moi de m’exprimer.
Source: propos recueillis par Paul Terra (La Tribune de Lyon)