L’ancien vice-président américain Al Gore et le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ont obtenu, vendredi 12 octobre, le prix Nobel de la paix 2007. Le prix leur est conjointement décerné « pour leurs efforts de collecte et de diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l’homme et pour avoir posé les fondements pour les mesures nécessaires à la lutte contre ces changements », a déclaré, à Oslo, le président du comité Nobel norvégien, Ole Danbolt Mjoes.
Ce prix prestigieux attribué à Al Gore rappelle, si besoin était, que l’on peut servir son pays et être utile à la planète, sans forcément accéder à la présidence.
Ancien vice-président de Bill Clinton et candidat démocrate malheureux à la Maison Blanche en 2000, Al Gore, 59 ans, est revenu sur le devant de la scène l’an dernier avec son livre et documentaire, Une vérité qui dérange, qui tire la sonnette d’alarme face au réchauffement de la planète. Primé aux Oscars, le film de 96 minutes a contribué à vulgariser un sujet complexe et à sensibiliser l’opinion publique à la menace climatique. « L’ex-futur président des Etats-Unis d’Amérique », comme Al Gore se présente avec dérision, a été consacré cette année par le magazine Time comme l’une des 100 personnalités les plus influentes au monde. Dès l’annonce du comité Nobel, il s’est dit « très honoré », affirmant que « cette récompense a encore plus de signification car j’ai l’honneur de la partager avec le GIEC, l’organisme scientifique le plus important au monde ».
Réalisant un véritable travail de fourmi, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) expertise et compile les recherches effectuées par des milliers de scientifiques à travers le monde. Ses rapports, résultats de délicates tractations entre délégations des différents Etats, fournissent un solide socle de connaissances aux décideurs politiques. Parmi ses principales conclusions, le GIEC prédit une hausse de 1,8 à 4 °C de la température moyenne planétaire d’ici à 2100, un réchauffement dont l’origine « très probable » est liée à l’activité humaine. Limiter cette hausse à 2 °C aurait un coût « relativement modéré », selon les chercheurs, soit une baisse de 0,12 % du taux de croissance du PIB à partir de 2030.
La distinction d’Al Gore et du GIEC parmi les 181 candidats en lice cette année lance un message fort à la communauté internationale, à quelques semaines de la conférence de Bali sur le changement climatique, qui se déroulera du 3 au 14 décembre. Celle-ci doit tracer la feuille de route pour de nouveaux engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre au-delà de 2012, après l’expiration de la première phase du protocole de Kyoto. Un texte que M. Gore a négocié pour les Etats-Unis, mais que George Bush n’a pas ratifié.
Le Nobel – un diplôme, une médaille d’or et un chèque de 10 millions de couronnes suédoises (1,09 million d’euros) – leur sera remis à Oslo le 10 décembre, date anniversaire de la mort de son fondateur, le savant et philanthrope suédois Alfred Nobel, inventeur de la dynamite.
Reste que l’attribution du Prix Nobel de la Paix à l’ancien vice-président américain peut le pousser à se lancer dans la présidentielle américaine de 2008.
Depuis son échec en 2000 face à George W. Bush dans la course à la Maison-Blanche, le « lot de consolation » prend des proportions impressionnantes. Après deux Oscars à Hollywood en février dernier, le voilà couronné du prix Nobel de la paix pour son action en faveur de l’environnement. « Il est probablement l’individu qui a fait le plus dans le monde pour une meilleure compréhension des mesures nécessaires » contre le réchauffement de la planète, souligne le comité d’Oslo, qui lui a décerné hier la prestigieuse distinction.
De San Francisco, siège de sa chaîne de télévision Current TV, Albert Gore Jr. s’est dit « profondément honoré » et a annoncé que sa part de la dotation (1,5 million de dollars à partager avec le GIEC, voir ci-dessous) irait à l’Alliance pour la protection du climat, une ONG qu’il a fondée pour changer les mentalités aux États-Unis et ailleurs.
Distinguer un Américain pour la lutte contre les changements climatiques sous la présidence de George W. Bush, qui résiste toujours aux engagements chiffrés de réductions des gaz à effet de serre, a évidemment une portée politique. Dans son livre Une vérité qui dérange, comme dans le documentaire éponyme de Davis Guggenheim, l’ancien vice-président stigmatise l’attitude « irresponsable » de l’Administration Bush, sa lenteur à reconnaître la réalité du problème et l’inadéquation des mesures « vo-lontaires » qu’elle préconise. « La crise du climat n’est pas une question politique, martèle-t-il, c’est un défi moral et spirituel lancé à toute l’humanité. »
Après une carrière de trente ans au Congrès, comme représentant et sénateur du Tennessee, puis à la Maison-Blanche dans le sillage de Bill Clinton, Al Gore ne peut s’affranchir aussi facilement de la politique. Vainqueur du vote populaire en 2000 avec 300 000 voix d’avance, mais battu par Bush au nombre de « grands électeurs » – grâce à la Floride et après l’arbitrage de la Cour suprême -, il garde une aura particulière auprès de nombreux démocrates.
Le Nobel de la paix, et le prestige universel qui l’accompagne, peuvent-ils l’inciter à retenter sa chance à la présidentielle de 2008 ? Il a maintes fois répété jusqu’ici que « cela ne fait pas partie de (ses) projets », avec juste ce qu’il faut d’ambiguïté pour ne pas complètement fermer la porte. Il devait donner hier soir une conférence de presse où la question promettait de lui être à nouveau posée. Mais, au siège de son groupe à Nashville, on assurait « qu’aucun préparatif n’est en cours » et que l’attribution du Nobel « ne devrait pas modifier ses intentions. »
La pression est néanmoins là. Plusieurs collectifs se sont formés sur Internet pour l’encourager à se lancer dans la course, déjà bien avancée à trois mois du début des primaires. Draftgore.com (« Enrôlez Gore »), s’est offert une pleine page de publicité dans le New York Times mercredi : « Il y a beaucoup de bons candidats à l’investiture démocrate, mais aucun n’a le mélange d’expérience, de vision, de stature internationale et de courage politique que vous apporteriez à la fonction. » Pour sa fondatrice, Monica Friedlander, dont la pétition a recueilli 165 000 signatures, il devrait lui être désormais « très difficile de dire non. » Selon Peter Ryder, fondateur de Algore.org en Iowa, l’Amérique « n’a pas seulement besoin aujourd’hui d’un bon président : il nous faut quelqu’un qui ait le potentiel de la grandeur. »
Mais les réalités de la compétition électorale sont moins encourageantes. Malgré sa fortune personnelle (il émarge aussi chez Apple et Google), Gore est loin des quelque 80 millions de dollars déjà levés par Hillary Clinton et Barack Obama pour faire campagne. Surtout, sa chance est peut-être passée : alors qu’en juin dernier, il était à 18 % dans les sondages, à 15 points de Hillary, il est tombé à 10 % quand celle-ci dépasse les 40 % d’intentions de vote aux primaires démocrates. Al Gore n’a que 59 ans : si un républicain l’emportait en 2008, le Nobel de la paix 2007 pourrait encore ressurgir en 2012…
Sources: Le Monde et Le Figaro