L’ancien Premier ministre Dominique de Villepin a été à nouveau entendu, pour la troisième fois, par les juges qui enquêtent sur une supposée conspiration contre Nicolas Sarkozy à l’aide de faux listings de la société financière luxembourgeoise Clearstream.
Accompagné de ses deux avocats, Mes Olivier d’Antin et Luc Brossollet, M. de Villepin, vêtu d’un costume gris anthracite et d’une cravate bleue, est arrivé à 09H55 au pôle financier du palais de justice de Paris.
Dans une courte déclaration à la presse, il a expliqué avoir indiqué aux magistrats lors de sa précédente audition sur son rôle présumé dans l’affaire Clearstream, le 13 septembre, qu’ »il ne s’agissait pas d’une affaire politique mais d’une affaire internationale et industrielle ».
« J’expliquerai lors de cette audition que, dès lors que cette affaire a eu des développements médiatiques, la réponse qui a été celle du gouvernement et de la présidence de la République a été la meilleure possible. Je crois que la réaction, la réponse de l’Etat a été irréprochable, c’est ce que je vais expliquer aux magistrats », a ajouté celui qui était alors ministre des Affaires étrangères puis de l’Intérieur.
Entendu d’abord comme témoin en décembre 2006, l’ancien chef du gouvernement a été mis en examen le 27 juillet par les juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons pour « complicité de dénonciation calomnieuse, recel de vol, recel d’abus de confiance et complicité d’usage de faux ». Dominique de Villepin est sous contrôle judiciaire avec interdiction de rencontrer diverses personnes dont Jacques Chirac et obligation de payer 50.000 euros de caution.
Les juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons le soupçonnent d’avoir participé à une tentative de déstabilisation de l’actuel chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, partie civile dans le dossier.
L’audition du 13 septembre
Entendu une première fois en tant que suspect le 13 septembre, Dominique de Villepin avait clamé son innocence, estimant que l’affaire des faux listings s’expliquait par des rivalités industrielles internes à EADS. Il avait estimé que Nicolas Sarkozy, plaignant dans le dossier, avait « privatisé » l’affaire à son profit en se présentant comme seule victime.
Lors de son audition en septembre, Dominique de Villepin s’est expliqué sur son rôle entre janvier et le printemps 2004 et a démenti les déclarations de Jean-Louis Gergorin (un ex-vice président d’EADS lui aussi mis en examen) selon lesquelles il lui aurait demandé courant avril de transmettre le fameux listing au juge Renaud van Ruymbeke.
Ces déclarations et des notes retrouvées sur l’ordinateur du général Philippe Rondot (témoin clef de cette affaire à qui il dit avoir confié une « mission d’évaluation ») fondent pour partie les poursuites contre l’ex-Premier ministre. Elles suggérent l’implication de M. de Villepin dans une manipulation consistant à dénoncer la présence de personnalités, dont M. Sarkozy, par le biais d’un faux listing bancaire de la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream.
M. Gergorin, également mis en examen dans le dossier, a affirmé aux juges avoir transmis de manière anonyme le fameux listing au juge Renaud van Ruymbeke à la demande de M. de Villepin, qui lui aurait fait part en avril 2004 d’une « instruction » du président Chirac.
Une affirmation « absurde » selon Dominique de Villepin, qui soutient n’avoir rencontré MM. Gergorin et Rondot que le 9 janvier 2004. Alors ministre des Affaires étrangères, il dit n’avoir confié ce jour-là au général Rondot qu’une « mission d’évaluation » pour « éclairer les aspects internationaux » de l’affaire Clearstream.
Certain qu’il n’y a « pas une chance sur un million qu’on puisse (lui) reprocher quoi que ce soit », Dominique de Villepin a transmis à la veille de son audition en septembre un mémoire de 23 pages accompagné d’une vingtaine d’annexes développant ses arguments.
Il a également multiplié initiatives et prises de parole véhémentes pour démentir toute manipulation politique dans l’affaire Clearstream, soutenant qu’elle n’est que le produit d’une guerre pour la succession à la tête d’EADS.
Il a ainsi écrit à plusieurs reprises aux juges notamment pour leur demander d’entendre plusieurs dirigeants du groupe d’aéronautique et de défense, dont le coprésident du conseil d’administration Arnaud Lagardère. Dominique de Villepin s’interroge également sur les conditions dans lesquelles Jean-Louis Gergorin a disposé d’importants moyens financiers pour enquêter sur l’affaire Clearstream.
Il conteste également l’orientation politique de cette affaire, due selon lui à Nicolas Sarkozy. Selon M. de Villepin, l’actuel chef de l’Etat a été informé plus tôt qu’il ne l’affirme de l’existence des faux listings et s’est présenté « en victime et même en seule victime de ce dossier » au point d’ »impressionner » la justice.
Une nouvelle note transmise hier aux juges par Dominique de Villepin
Après avoir envoyé un premier dossier de 80 pages à l’appui de ses arguments en septembre, Dominique de Villepin en a envoyé cette semaine un autre, long cette fois de 75 pages. Dans ce second dossier, Dominique de Villepin revient sur la gestion de cette affaire lorsqu’il occupait les fonctions de ministre des Affaires étrangères puis de l’Intérieur à partir de juillet 2004.
De janvier à juillet 2004, explique-t-il dans sa note, il a cherché à combiner plusieurs exigences, notamment de précaution et de discrétion lors des vérifications demandées au général Philippe Rondot, chargé d’évaluer la crédibilité des listings Clearstream. Il explique avoir informé le président Jacques Chirac de la mission confiée au général Rondot.
« J’évoque le dossier avec le Premier ministre (Jean-Pierre Raffarin) et le président de la République (Jacques Chirac) dès les premiers jours de juillet, la saisine de la DST s’impose à tous », écrit-il dans sa note aux juges, transmise aux parties civiles
Dominique de Villepin saisit donc la DST (contre-espionnage) d’une demande de vérification administrative. Sa priorité, explique-t-il dans sa note, est de mettre hors de cause les agents des services secrets dont les noms se trouvent sur ces listings.
Il explique avoir rendu compte de cette mission au Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, et au président de la République, Jacques Chirac des avancées de l’enquête. Et d’avoir demandé au général Rondot de transmettre à la DST les informations qu’il avait pu recueillir.
L’enquête de la DST, écrit-il dans sa note, a montré « très vite » qu’il y avait des « doutes » sur la véracité des listings.
Mais ces doutes « n’ont été étayés que plus tard », ajoute-t-il, soulignant que « les informations de la DST rest(aient) prudentes ».
M. de Villepin se défend également de tout cloisonnement ou d’enquête parallèle. La « mission d’évaluation » qu’il a confiée le 9 janvier 2004 au général Philippe Rondot, et dont il dit ne pas avoir été tenu informé, a cessé dès la saisine de la DST, affirme-t-il.
« Je lui ai fait valoir le 19 juillet et à nouveau le 27 juillet que, s’il disposait d’éléments particuliers, il devait les adresser à la DST », raconte-t-il dans sa note.
Dans cette note envoyée aux magistrats mercredi et publiée sur le site internet du Nouvel observateur, Dominique de Villepin répète que, selon lui, l’affaire a été utilisée contre lui par Nicolas Sarkozy.
« Quand on désigne du doigt un faux coupable et qu’on se désigne soi-même comme une victime politique, on enclenche, dans un pays comme le nôtre, une véritable chasse à l’homme où tous les moyens sont bons », écrit-il.
Il explique aussi qu’à ses yeux, l’actuel procureur général de Paris Laurent Le Mesle, conseiller à l’Elysée au moment des faits, est en position de conflit d’intérêt, puisqu’il contribue à traiter judiciairement un dossier dont il aurait été un des acteurs, par ses conseils.
Ce point pourrait servir d’argument à Dominique de Villepin pour soutenir ultérieurement l’annulation de la procédure.
Déclarations de Dominique de Villepin ce soir
Ce soir, après 10 heures d’audition, les juges de l’affaire Clearstream ont interrompu vers 20H00 pour quelques dizaines de minutes l’audition de Dominique de Villepin entamée dans la matinée, a annoncé l’ex-Premier ministre à sa
sortie du pôle financier.
« J’ai pu m’expliquer aujourd’hui et expliquer aux magistrats la façon dont l’Etat a été amené à gérer cette affaire à partir du mois de juillet (2004) », a déclaré à la presse Dominique de Villepin.
« J’ai indiqué que cette action avait été à mon sens irréprochable et qu’on ne saurait à aucun moment m’impliquer dans une affaire de dénonciation calomnieuse », a-t-il affirmé.
« Les magistrats ont souhaité faire une pause -une demi-heure, quarante minutes- pour reprendre brièvement après cette audition », a ajouté M. de Villepin qui est alors parti en voiture avec ses avocats.
Un peu plus tard dans la soirée, à l’issue de son audition, Dominique de Villepin a déclaré: « J’ai eu le soin d’éclairer le plus complètement les juges sur la façon dont l’Etat a fonctionné dans cette affaire Clearstream dans le courant de l’année 2004. J’ai marqué que l’Etat avait répondu comme il devait face aux menaces et face à cette crise ».
« J’ai indiqué que cette action avait été à mon sens irréprochable et qu’on ne saurait à aucun moment m’impliquer dans une affaire de dénonciation calomnieuse », a-t-il déclaré, ajoutant à l’issue de son audition peu après 23H00 avoir « souhaité répondre à l’ensemble des questions des juges ».
Sources: Agence France Presse et Reuters