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Dominique de Villepin dans Marianne (2/2): "Renier nos principes, c'est mettre notre voix en péril"

Dans la seconde partie de son interview à Marianne, Dominique de Villepin réaffirme que « nous devons refuser de nous enfermer dans l’alternative entre la bombe iranienne et l’intervention militaire.

Poursuivant un large tour d’horizon des questions internationales, il évoque également la question du Darfour, la captivité d’Ingrid Betancourt ou encore le traité européen simplifié.

Marianne: Sur l’Iran, est-on en train de préparer les esprits à une guerre?

Dominique de Villepin: Je condamne fermement les déclarations du président Ahmadinejad, ainsi que sa politique en contravention avec les engagements internationaux de l’Iran. Mais ne nous trompons pas de sujet. Nous devons refuser, comme l’a indiqué Nicolas Sarkozy, de nous enfermer dans l’alternative « la bombe iranienne ou l’intervention militaire ». Les Européens ont avancé des propositions et j’ai été le premier à me rendre à Téhéran avec les Britanniques et les Allemands. La situation exige d’aller plus loin, combinant fermeté, négociations et sanctions. Cela suppose que les Américains assument pleinement leurs responsabilités. Fort de l’exemple de la Corée du Nord, nous avons besoin d’un engagement américain résolu au côté des Européens pour conduire avec Téhéran une négociation globale. C’est la seule façon de répondre aux attentes iraniennes. Enfin, améliorer nos relations avec l’Iran suppose que nous soyons capables d’avancer sur les autres dossiers du Moyen-Orient. Depuis l’intervention américaine, les choses ne cessent de se dégrader en Irak. Si l’Amérique veut pouvoir peser en Iran, il faut qu’elle définisse un calendrier de retrait de ses troupes en Irak, qu’on ait un vrai gouvernement de réconciliation nationale. De même, il faut avancer sur la question israélo-palestinienne ou sur le Liban.

Jacques Chirac semblait pour sa part se résoudre à voir Téhéran accéder à l’arme nucléaire, l’essentiel étant pour lui d’éviter une intervention militaire. Pensez-vous de même?

Qu’est-ce que produiraient des frappes militaires? Est-ce qu’elles interdiraient à l’Iran d’accéder à l’arme nucléaire? Cela n’est pas sûr, sans parler de déstabilisation de la région, de l’aggravation des tensions entre chiites et sunnites, du regain du terrorisme… C’est pour cela que je plaide en faveur d’une politique globale vis-à-vis de l’Iran et de toute la région, y compris en matière de sécurité. La bataille contre la prolifération doit se mener sur le plan politique et sur le terrain. Pour cela, nous avons besoin d’une politique d’inspections et de vérifications qui ne peut être menée que par l’AIEA, avec les Nations unies. Notre premier objectif doit être la suspension rapide de toute activité d’enrichissement de l’uranium à des fins militaires.

Prenons le conflit israélo-palestinien: Mitterrand et Chirac étaient en accord avec la gauche israélienne et les modérés palestiniens. Sarkozy et Kouchner ne sont-ils pas en réalité alignés sur la droite israélienne, à l’exemple de Bush?

Tout jusqu’au-boutisme qui nous conduirait à nous enfermer dans des positions idéologiques me paraît dangereux. La France vaut justement parce qu’elle est à la fois une nation de principes et un pays pragmatique, capable de propositions et de médiations. Ainsi, je salue le rôle que veut jouer la France au Darfour. J’ai été le premier ministre des Affaires étrangères européen à me rendre sur place, au Soudan comme au Tchad. Mais, ce que je constate, c’est qu’il ne suffit pas de voter des résolutions, ni d’être d’accord pour le déploiement de forces, si la réalité sur le terrain ne suit pas.

Et si Nicolas Sarkozy n’avait tout simplement pas la même lecture du monde que Chirac, Mitterrand, Giscard, Pompidou et de Gaulle?

Je ne fais pas de procès d’intentions. Que le président de la République ait la volonté de mettre sa propre empreinte dans la diplomatie, c’est normal. Il est trop tôt pour savoir s’il s’agit de simples infléchissements ou d’une véritable rupture.

On constate un engagement personnel du président sur certaines affaires, par exemple Ingrid Betancourt. L’approuvez-vous?

Tout à fait. La situation d’Ingrid Betancourt mobilise la France depuis le premier jour, même si, avec Jacques Chirac, nous avons privilégié une action confidentielle et discrète. Dix-huit missions ont été ainsi envoyées dans la jungle au contact des Farc. Nous avons voulu agir avec toutes les parties concernées. J’ai moi-même sollicité l’intervention du Venezuela à travers le président Chavez et son ministre Ali Rodriguez. Ce qui a changé aujourd’hui et qui permet d’être plus optimiste, c’est en particulier la situation du gouvernement Uribe, qui est plus ouvert aux demandes internationales.

En Europe, est-ce que Nicolas Sarkozy, avec son traité simplifié, n’a pas réussi là où avait échoué Jacques Chirac?

On ne peut pas accuser Jacques Chirac d’être responsable de l’échec du traité constitutionnel, c’était le choix des Européens. Le référendum s’est produit après l’élargissement qui s’est fait, c’est vrai, de façon peut-être précipitée. Mais avait-on le choix? La mécanique européenne s’est grippée. C’est l’histoire. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont fait preuve, avec les Européens, de réalisme en s’entendant sur un traité simplifié. Le calendrier, au lendemain des élections françaises, offrait une bonne fenêtre de tir. L’occasion a été saisie et bien saisie. Bravo !

Et si le président confiait une mission, l’accepteriez-vous?

La question ne se pose pas. La responsabilité diplomatique incombe au chef de l’Etat et au ministre des Affaires étrangères. Que nous ayons, en France, des femmes ou des hommes d’expérience qui acceptent de s’engager et de réfléchir, c’est très bien. On peut le faire missionné ou pas, sous une forme citoyenne comme je le fais, c’est-à-dire en pleine liberté.

Propos recueillis par François Bonnet, Nicolas Domenach et Maurice Szafran
Source: Marianne numéro 545 (du 29 septembre au 5 octobre 2007)

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