La commission des lois du Sénat a infligé, mercredi 26 septembre, une sévère réécriture au projet de loi sur l’immigration, le texte emblématique que Nicolas Sarkozy avait tenu à inscrire au menu de la session extraordinaire du Parlement et qui doit être débattu en séance au Palais du Luxembourg à partir du 2 octobre.
Le revers est de taille. Car ce n’est pas seulement l’article introduit à l’Assemblée nationale ouvrant la possibilité de recourir à des tests ADN pour prouver une filiation dans le cadre d’une demande de regroupement familial que la commission des lois a supprimé.
Les sénateurs ont refusé que le niveau de ressources exigées pour bénéficier du regroupement familial soit porté jusqu’à 1,33 smic pour une famille de six personnes ou plus, comme les députés l’avaient souhaité. Est également supprimée l’obligation, pour les conjoints de Français, de suivre une formation linguistique dans leur pays d’origine pour obtenir un visa de long séjour. La commission a rétabli à un mois le délai de recours devant la commission des réfugiés que les députés avaient abaissé à quinze jours et a allongé de 24 à 48 heures le délai pour déposer un recours suspensif contre une décision de refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile. Le texte issu de l’Assemblée a été largement vidé de sa substance.
Surtout, la tonalité des débats en commission est symptomatique du malaise éprouvé sur l’ensemble des bancs, y compris dans la majorité sénatoriale, face à un texte qualifié « d’affichage », d’ »inutile », de « non-conforme à la tradition humaniste et aux valeurs républicaines de la France« .
Concentrant les critiques, la disposition sur les tests ADN, introduite par le député (UMP) du Vaucluse Thierry Mariani, bien qu’amendée par le gouvernement, a été rejetée par 24 voix contre 13 : quatre voix de l’UMP se sont jointes à celles de la gauche, de l’Union centriste et des radicaux du RDSE. Ce résultat, évidemment, ne préfigure pas le vote en séance. Cependant, comme le note Hugues Portelli (UMP, Val-d’Oise), en pointe dans la contestation du projet de loi, « cela rend quand même la tâche difficile pour le gouvernement ».
Brice Hortefeux, le ministre de l’immigration, après avoir été entendu mardi par la commission des lois et être intervenu devant le groupe UMP du Sénat, était persuadé d’avoir réussi à convaincre les sénateurs de la majorité d’accepter l’article sur les tests ADN amendé par ses soins. Quitte à accorder quelques garanties supplémentaires. Le rapporteur du texte, François-Noël Buffet (UMP, Rhône), et le président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest (UMP, Seine-et-Marne), malgré leurs réserves, étaient prêts à se ranger à ses arguments. Sans doute n’avait-il pas pris la mesure du « trouble » au sein de la majorité. « Il a cru que la discipline parlementaire de l’Assemblée nationale était transposable au Sénat », note M. Portelli.
Une discipline qui a du mal à résister aux turbulences agitant l’UMP. Révélatrice, à cet égard, est la déclaration faite lundi 24 par Jean-Pierre Raffarin. L’ancien premier ministre laissait entendre que le Sénat s’opposerait aux tests ADN. En prenant ainsi ses distances, M. Raffarin manifestait sa mauvaise humeur. Il convoitait la présidence de l’UMP après l’élection de M. Sarkozy : c’est un proche de ce dernier, Patrick Devedjian, qui a désormais la haute main sur le parti présidentiel. Le sénateur de la Vienne est parti depuis longtemps en campagne pour la succession de Christian Poncelet à la présidence du Sénat. Il voit la candidature de son ancien ministre du travail, Gérard Larcher, ex-sénateur des Yvelines, qui devrait faire prochainement son retour au Sénat, engranger les soutiens, avec l’appui plus ou moins discret de l’Elysée.
La sortie de M. Raffarin, destinée à marquer « son » territoire, n’a pas échappé aux conseillers de l’Elysée. « Ce n’était pas très habile de sa part d’intervenir ainsi avant même que le groupe se réunisse, commentait, mardi, un membre du cabinet. Les sénateurs n’aiment pas qu’on leur force la main. » L’observation était pertinente, mais c’est le projet du gouvernement qui, pour l’heure, en a fait les frais.
Si le Sénat maintenait sa position en séance sur le projet de loi, il reviendrait alors à une commission mixte paritaire, composée de sept députés et sept sénateurs, de trouver un compromis.
Source: Patrick Roger (Le Monde)