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Statut pénal du Chef de l'Etat: discours de Dominique de Villepin devant le Congrès réuni à Versailles

Monsieur le président du Congrès, Monsieur le président du Sénat, Mesdames et messieurs les députés, Mesdames et messieurs les sénateurs,

J’ai l’honneur, au nom du président de la République Jacques Chirac, de soumettre à votre approbation le projet de loi portant modification du titre IX de la Constitution.

Avec le statut pénal du chef de l’Etat, c’est tout le fonctionnement de notre démocratie et la légitimité de nos institutions que nous voulons consolider :

Dans la Constitution de la Vème République, le président de la République est la clé de voûte des institutions. Elu au suffrage universel, il tire sa légitimité et son autorité directement du peuple. Garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités, il est le chef des armées et il est doté de pouvoirs propres. C’est dire combien il est essentiel de protéger sa fonction. – En même temps, chacun voit bien que les Français demandent à leurs responsables politiques de se soumettre aux mêmes règles, aux mêmes lois, aux mêmes contraintes. Ils refusent l’impunité. Cette exigence républicaine, nous la partageons tous. A nous de la mettre en œuvre tout en protégeant la stabilité indispensable de nos institutions.

Aujourd’hui la responsabilité du chef de l’Etat est définie par l’article 68 de la Constitution. Comme l’ont mis en avant avec beaucoup de force et de rigueur Philippe Houillon et Jean-Jacques Hyest dans leur rapport auquel je veux rendre hommage, cet article est ambigu.

Le contenu et la nature de la « haute trahison » pourraient permettre, selon les circonstances, la mise en cause incessante du président de la République.

Par ailleurs le texte ne dit rien sur la responsabilité judiciaire du chef de l’Etat.

Ces difficultés ont été mises en évidence par les récentes décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation : – Par sa décision du 22 janvier 1999, relative à la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel a interprété l’article 68 comme instituant un privilège de juridiction. Il a en effet précisé que pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité pénale du président de la République ne pouvait être mise en cause que devant la Haute Cour de justice selon les modalités fixées par le même article. Il n’y a pas alors lieu de distinguer selon l’époque à laquelle les actes ont été commis, ni s’ils entravent ou non l’exercice du mandat présidentiel. – Par son arrêt du 10 octobre 2001, la Cour de cassation a confirmé que le président de la République, hors le cas de haute trahison, ne pouvait être poursuivi devant aucune juridiction pendant l’exercice de son mandat. Pour autant, elle a estimé qu’il ne bénéficiait pas d’un privilège de juridiction. Ces deux décisions s’accordent sur un point déterminant : hors le cas de haute trahison, le président de la République ne saurait, pendant son mandat, être mis en cause devant aucune juridiction pénale de droit commun. L’ambiguïté porte sur la portée des dispositions de l’article 68 de la Constitution. Cette incertitude s’ajoute à celle relative à la notion de « haute trahison ».

Vous le savez, nous n’avons jusqu’à présent pas tiré les conclusions de ces décisions. C’est pourquoi le président Jacques Chirac a demandé à une commission présidée par le professeur Pierre Avril de proposer une clarification de cet aspect important de notre Constitution. Cette commission a proposé une révision complète du titre IX de la Constitution, procédant à une réécriture intégrale des articles 67 et 68 qui le composent. Le chef de l’Etat et le Gouvernement ont choisi de suivre les propositions de la commission, afin d’aménager un régime de responsabilité pragmatique et conforme aux aspirations d’une société moderne.

Ces propositions s’inscrivent dans notre tradition institutionnelle, car il s’agit d’abord de confirmer l’immunité dont bénéficie le Chef de l’Etat pour les actes commis dans l’exercice de ses fonctions. C’est l’objet du premier alinéa de l’article 67.

Ces propositions sont également conformes aux aspirations d’un Etat de droit moderne. A côté de l’immunité, la réforme qui vous est proposés institue une inviolabilité temporaire concernant tous les autres actes et prenant fin avec le mandat présidentiel. Redevenu simple citoyen, le chef de l’Etat devra répondre de l’ensemble de ses actes devant les juridictions de droit commun.

Je sais qu’à l’occasion des débats qui se sont déroulés devant les deux Assemblées, la question de l’extension de cette inviolabilité aux juridictions non pénales a suscité de nombreuses interrogations. Je veux le réaffirmer devant vous : cela conduirait nécessairement à fragiliser l’exercice de sa mission. Pour protéger la fonction présidentielle, l’inviolabilité doit être totale.

Le mérite de cette réforme, c’est aussi de définir les conditions dans lesquelles doit se réaliser le retour à l’application du droit commun, à l’issue du mandat du chef de l’Etat. Avec beaucoup d’entre vous, le gouvernement a estimé qu’il s’agissait là d’une question essentielle qui mérite d’être inscrite dans la Constitution. Le troisième alinéa de l’article 67 fixe ainsi à un mois après la cessation des fonctions le délai à l’issue duquel prend fin la suspension des procédures et des prescriptions.

Avec ce texte, nous reconnaissons au Parlement le pouvoir de destituer le chef de l’Etat en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. Des faits de cet ordre pourront conduire le Parlement, réuni en Haute Cour, non pas à juger le président de la République, mais à le rendre à nouveau justiciable des juridictions de droit commun, en mettant fin à son mandat. C’est l’objet de l’article 68, composé de six alinéas : – La notion de « haute trahison » est remplacée par celle de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Nous disposons ainsi d’un critère plus objectif, qui ne fait ni référence à la nature ni à la gravité de l’acte. La rédaction du texte permet de protéger la fonction de toute logique partisane. – Ce dispositif change la nature de la responsabilité du chef de l’Etat, qui était jusqu’à maintenant pénale, sa condamnation ne pouvant revêtir qu’un caractère juridictionnel. Désormais c’est une définition politique qui est instaurée. Elle suppose l’appréciation du comportement du chef de l’Etat au regard des exigences de se fonctions. Cela implique que sa légitimité, si elle doit être remise en cause, le soit par un organe non juridictionnel doté d’une légitimité démocratique égale. C’est ce qui a conduit à conférer ce pouvoir au Parlement siégeant dans son intégralité en Haute Cour. – La procédure de destitution a été améliorée au cours de l’examen du texte au Parlement : la proposition de réunion de la Haute Cour doit d’abord être successivement adoptée par chacun des deux assemblées. La Haute cour, présidée par le président de l’Assemblée nationale, statue ensuite par un vote à bulletins secrets. Afin de mettre cette procédure à l’abri de risques de dérives partisanes, les votes devront tous être acquis à la majorité qualifiée des deux tiers, comme l’a suggéré avec pertinence Bernard Accoyer. Toute délégation de vote sera interdite. Le délai imparti à la Haute Cour est de seulement un mois, afin de protéger l’autorité du président, dans le cas où la procédure ne devrait pas aboutir. La décision de la Haute Cour est d’effet immédiat. Le président destitué redevient par le même fait un justiciable ordinaire.

Mesdames, Messieurs

Le texte qui est soumis aujourd’hui à votre approbation est un texte équilibré, qui ne remet pas en cause l’équilibre institutionnel de la Vème République, mais au contraire le renforce. Il répond à une double exigence : l’exigence de transparence et d’égalité entre les citoyens, et l’exigence de stabilité de l’Etat.

En adoptant cette réforme, je veux que chacun ait conscience que nous
renforçons la Vème République. Nous apportons les preuves de sa capacité à évoluer, à s’adapter à des circonstances nouvelles et aux exigences de nos concitoyens. Un pays qui grandit, c’est une République qui vit. Un pays qui grandit, c’est une République qui change
. Depuis des décennies, la Vème République a montré qu’elle avait à la fois la résistance nécessaire pour surmonter les épreuves les plus graves, et la souplesse indispensable pour répondre aux attentes des Français. En adoptant cette réforme, nous montrons que la Vème République est une République d’aujourd’hui. Nous faisons aussi un choix démocratique majeur : celui de la responsabilité.

Je vous remercie.

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