Monsieur le président du Congrès, Monsieur le président du Sénat, Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs les parlementaires,
J’ai l’honneur, au nom du président de la République, de soumettre à votre approbation le projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort.
A quatre reprises depuis la Révolution française, le Parlement a eu à traiter de la question de la peine de mort. A quatre reprises, les représentants du peuple français se sont affrontés et divisés sur ce sujet.
1. Aujourd’hui, alors que vous allez vous en saisir à nouveau, nous pouvons mesurer le chemin parcouru.
Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, nous pouvons évoquer sereinement l’abolition de la peine de mort.
Il ne s’agit plus d’un combat de gauche ou de droite. Nous n’avons plus à invoquer l’esprit du catholicisme ou l’esprit de la Révolution pour justifier ce progrès démocratique.
Tous ensemble, nous pouvons nous unir autour de la même conviction, une conviction simple, partagée par la majorité de nos concitoyens : les devoirs les plus essentiels de l’humanité appellent l’abolition absolue, en tout temps et en toutes circonstances, de la peine de mort.
Dans un Etat de droit moderne, la peine de mort n’a pas sa place.
Car la justice, ce n’est pas la vengeance. La justice, ce n’est pas le crime qui répond au crime.
C’est au contraire la force sereine du droit dressée contre la violence et le meurtre. Tout l’honneur de la civilisation est de refuser de verser le sang. Et de punir avec fermeté, mais avec humanité, ceux qui enfreignent cette loi.
Alors oui, il y aura toujours des voix pour prétendre que la peine de mort a un effet dissuasif sur la violence. Rien ne l’établit. Rien ne le prouve. Les taux de criminalité ou de décès par mort violente dans les pays qui pratiquent la peine capitale sont là pour nous le rappeler.
Alors oui, il y aura toujours des voix qui s’élèveront pour s’indigner devant les crimes les plus indignes et réclamer contre leurs auteurs la peine capitale. Mais la dignité d’une grande démocratie, justement, c’est de refuser la loi du talion. Punir ce n’est pas venger.
Alors oui, il y aura toujours des voix qui s’élèveront pour estimer qu’en temps de guerre ou dans des circonstances exceptionnelles, la peine de mort peut malgré tout se justifier. Mais c’est l’honneur d’une démocratie de rester fidèle à ses principes en temps de paix comme en temps de guerre, au quotidien comme dans les circonstances exceptionnelles.
Et c’est bien pour cela qu’il faut effacer la peine de mort, non seulement de notre code pénal, de notre code de justice militaire mais aussi de notre loi fondamentale. La peine de mort est illégitime en toutes circonstances. Elle doit être abolie en toutes circonstances.
2. Mesdames, messieurs les parlementaires, vous allez prendre aujourd’hui une décision historique. Vous allez mettre le point final à la longue histoire de l’engagement français en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort.
Cet engagement, il a d’abord été celui de quelques hommes. Je pense à Condorcet, à Victor Hugo, à Aristide Briand, ou encore à Albert Camus. Il est aujourd’hui celui de la collectivité nationale toute entière, le combat d’une France fière de ses valeurs et rassemblée pour défendre les droits de l’homme qui font, depuis plus de deux siècles, la grandeur de notre pays.
N’oublions pas le courage qui a été nécessaire en 1981 à Robert Badinter, à François Mitterrand et à tous ceux qui, de droite comme de gauche, les ont soutenu pour faire adopter la loi portant abolition de la peine de mort.
N’oublions pas non plus le choix européen que nous avons fait en 1986 en ratifiant ensemble le protocole n° 6 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme concernant l’abolition de la peine de mort en temps de paix. Il y a quelque chose de grand pour un peuple à respecter des principes fixés par une communauté de nations. Il y a quelque chose de grand pour un peuple à avancer toujours davantage vers la justice et le droit.
Aujourd’hui, à l’initiative du président de la République Jacques Chirac, notre pays va franchir une nouvelle étape. Cette nouvelle avancée a été rendue possible grâce au travail exigeant et courageux réalisé par Philippe Houillon et Robert Badinter, et qui nous montre que nous sommes face à une question qui doit dépasser tous les clivages.
Vous le savez, deux nouvelles conventions sont proposées à la signature de la France : le protocole n° 13 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, abolissant la peine de mort en toutes circonstances, et le deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New York le 15 décembre 1989.
Ces textes, la France n’en a encore ratifié aucun, en raison de l’incompatibilité du deuxième protocole à notre Constitution. Dans sa décision du 13 octobre 2005, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que dans la mesure où ce texte ne comporte pas de clause de dénonciation et prescrit une abolition définitive de la peine de mort, il constitue un engagement irréversible et méconnaît donc les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.
Si nous voulons que la France puisse ratifier le deuxième protocole, il n’existe qu’un seul dispositif juridique : modifier notre loi fondamentale, comme nous l’avons fait lors de la ratification par la France du Traité de Rome instituant une Cour pénale internationale.
Avec cette révision, la France réalisera un progrès majeur dans son combat en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort.
Notre pays rejoindra les 16 pays européens et les 45 Etats dans le monde qui ont inscrit l’abolition dans leur texte fondamental. La révision constitutionnelle dispose en effet que « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Elle prendra place à l’article 66-1 de la Constitution au sein du titre VIII sur l’autorité judiciaire.
Avec cette révision, la France exclura définitivement les crimes de guerre du champ de la peine de mort. C’est une exigence de démocratie. Souvenons-nous des résistants fusillés, souvenons-nous de toutes les victimes des épurations sommaires : nous ne pouvons accepter que nos convictions, nos principes et nos engagements cèdent dans les périodes de conflit.
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
La décision que vous allez prendre aujourd’hui est le signe d’une République qui progresse et qui grandit. Elle est le signe d’une République courageuse. Elle vaut pour notre pays, mais elle est aussi un symbole pour tous les peuples du monde qui subissent l’injustice et l’intolérance. Elle ouvre la voie à de profonds changements dans les années à venir. Votre décision est une partie de ce combat que la France conduit avec les armes de l’humanisme et de la liberté.
Je vous remercie.