D. de Villepin, bonsoir. A la fin de la semaine, cela fera 200 jours que vous êtes installé à Matignon. Vous aviez fait de la lutte contre le chômage la priorité des priorités. Vous savez qu’aujourd’hui on vous fait plusieurs reproches. Le premier, par exemple, tout le monde constate qu’en effet il y a une petite diminution du chômage, nous sommes repassés sous la barre des 10%, mais beaucoup d’observateurs notent que ce sont souvent des emplois aidés, des emplois publics, et qu’il n’y a pas de véritables créations d’emplois, et qu’au fond vous n’avez pas de véritable levier pour l’emploi privé.
C’est une mobilisation tous azimuts que nous avons engagée, dans tous les domaines. Beaucoup, ou en tout cas certains observateurs s’attendaient à ce que pendant deux ans on regarde passer les ballons, et qu’on attende les échéances électorales ; ce n’est certainement pas ce que nous voulons faire. Nous voulons traiter les problèmes, l’ensemble des problèmes : l’urgence sociale – nous la connaissons dans notre pays -et, l’urgence économique. Et la priorité de ce gouvernement, c’est l’emploi. 130.000 demandeurs d’emploi en moins au cours des six premiers mois. C’est un mouvement, ce n’est pas assez, mais il faut continuer, amplifier. Nous le savons, ce sont des résultats qui seront confortés par cette mobilisation générale.
On voit en même temps qu’il y a par exemple plus de RMIstes.
Je le dis clairement, nous n’avons pas tout réglé. Mais nous avons parallèlement le taux de croissance au troisième trimestre parmi les plus élevés d’Europe, le plus élevé d’ailleurs des grands pays européens. Donc vous le voyez, c’est un mouvement, il faut l’encourager, et c’est tout le sens de notre action.
Alors, le deuxième reproche qu’on peut vous faire, ou qu’on entend ici ou là, c’est qu’au fond D. de Villepin annonce beaucoup de choses, peut-être un peu trop de choses, et qu’on s’y perd un petit peu, et qu’on a du mal à s’y reconnaître dans la jungle et le maquis des mesures. La dernière mesure en date, le contrat de transition professionnelle, par exemple, c’est à titre expérimental, même le MEDEF se dit choqué de la méthode. Comment on s’y retrouve ?
Vous savez, quand on est devant des difficultés nouvelles, les restructurations…
Il n’y a pas trop d’effets d’annonce ?
…les restructurations industrielles par exemple, il faut essayer, quand il y a des adaptations sur des bassins d’emploi en difficulté, d’éviter de passer par la case chômage, donc prévoir des mécanismes de transition qui accompagneront le salarié, à travers un contrat public ou un contrat privé, le temps de l’adaptation, le temps de retrouver un emploi. Toutes ces annonces, pourquoi ? Parce qu’il y a urgence. Vous savez, s’il n’y avait pas tant de difficultés, il n’y aurait pas tant de décisions à prendre, dans tous les domaines – nous parlerons de la dette tout à l’heure. Il faut faire face en même temps à toutes les difficultés. Mais il y a un fil directeur. Nous sommes dans une République, une République qui connaît des temps difficiles ; elle a des principes. Ces principes, je les défends au quotidien. Mais il y a une règle nouvelle dans notre République, c’est que nous devons accompagner chacun. L’accompagnement personnalisé de tous ceux…
Sécuriser les parcours professionnels ? Ce n’est pas un mot d’ordre qu’on exprime comme ça, dans l’annonce ?
…eh bien, c’est pour ça qu’il faut le décliner. Prenons l’exemple des jeunes. Les jeunes, leur premier objectif, c’est de choisir un métier, quand ils se posent la question : qu’est-ce que je vais faire dans la vie. Eh bien il faut les aider à faire un choix, en fonction des différentes possibilités qui existent. Pour cela, je veux créer un service public de l’emploi – il sera mis en œuvre à la rentrée prochaine – qui permettra à chacun de s’orienter professionnellement en fonction des réalités. Et puis il faut rentrer sur le marché de l’emploi, ce n’est pas facile en France, nous sommes le pays où on rentre le plus tard. Eh bien, je veux une vraie politique des stages : je lance la Charte des stages, avec des droits et des devoirs. Et puis, on le sait, sur le marché de l’emploi les jeunes qui sont le mieux armés, ceux qui ont acquis la formation la mieux adaptée, ce sont ceux qui rencontrent le moins de difficultés. Faisons en sorte par exemple que ceux qui s’engagent tôt dans la vie professionnelle, ceux qui s’engagent très tôt dans l’apprentissage, puissent avoir au terme de deux ans d’expérience professionnelle un crédit formation d’une année. C’est un droit universel à la formation que je veux reconnaître à ces jeunes, pour leur permettre d’aller plus loin.
Alors vous voulez faire ça avec les syndicats, mais pour le moment en tout cas ceux-ci sont plutôt sceptiques : on parle de semblant de concertation sociale, de flou par exemple dans le financement…
Mais nous faisons bouger les lignes…
…et même le MEDEF dit : laissez-nous travailler, ce n’est pas à l’État de s’impliquer dans ces dossiers.
Nous sommes dans un temps de changement. Dans les temps de changement, il faut de la mobilisation, il faut de l’énergie, il faut de l’audace. C’est de tout cela dont la France a besoin, nous le faisons ensemble. Je veux le faire avec une règle importante, celle du dialogue social. Le dialogue social, ça implique de mettre des sujets sur la table et d’accepter de se parler les uns et les autres davantage. Nous souffrons d’un déficit de dialogue…
Et c’est à l’État de s’occuper de tout ça, alors qu’il y a des réunions entre le MEDEF et les syndicats ?
C’est bien sûr aux partenaires sociaux d’engager ce dialogue d’abord, mais c’est à l’État à prendre aussi ses responsabilités, et c’est ce que nous faisons. Nous voulons encourager ce dialogue, créer les conditions du dialogue. Nous nous rappelons quelque chose d’important : nous n’avons pas l’éternité devant nous. Nous devons agir vite, vite et bien, bien sûr, mais plus vite, pour davantage répondre aux inquiétudes et aux impatiences des Français.
D. de Villepin, est-ce que tout de même vos marges de manœuvre ne sont pas tout de même trop faibles, quand on apprend, ou quand on le savait déjà un petit peu, que la dette de la France aujourd’hui, ces chiffres donnent le vertige, je le rappelle : plus de 1.100 milliards d’euros, ça fait 32.250 euros pour chaque foyer, pour chaque Français, sans compter même les 900 millions d’euros pour les retraites des fonctionnaires. Comment on peut faire devant ce gouffre ?
Alors la dette, vous avez raison, elle a augmenté, elle a été multipliée par cinq en vingt ans. C’est considérable. C’est une situation…
Avec des responsabilités partagées, on va dire.
…c’est une situation inacceptable. Si j’ai demandé à T. Breton de lancer la mission confiée à M. Pébereau, pour avoir aujourd’hui une photographie, une photographie qui s’impose à nous tous, à tous les partis, à toutes les catégories, à chacun des Français, à chacune des Françaises, c’est bien parce que je pense que nous devons traiter les yeux ouverts cette question. Alors pourquoi…
Alors qu’est-ce qu’on fait, à partir de maintenant ?
…alors d’abord, pourquoi faut-il traiter la dette ? Parce qu’il faut se convaincre qu’il y a urgence à la traiter. D’abord parce que cette dette, elle limite nos marges de manœuvre. Nous sommes aujourd’hui devant une situation où les intérêts de la dette c’est 45 milliards d’euros, autant – vous l’avez dit tout à l’heure – que l’impôt sur le revenu ; c’est le double du budget des universités et de la recherche. On ne peut pas continuer comme ça. Alors…
Vous pourriez reprendre ce qu’avait dit T. Breton : la France vit aujourd’hui au-dessus de ses moyens ?
La France dépense trop, et trop mal. Et c’est pour cela que nous devons prendre les choses en mains. Alors nous avons engagé une action, depuis six mois, et si j’ai décidé de confier cette étude à M. Pébereau, c’est bien parce que nous avions la conviction qu’il fallait changer d’orientation. Alors nous avons décidé, sur le budget 2006, de stabiliser la dépense publique. Vous savez, un État, c’est comme un paquebot : vous ne décidez pas de passer en marche arriè
re tout de suite, il faut d’abord aller moins vite, il faut freiner, et une fois que vous avez freiné, vous pouvez alors enclencher la marche arrière. Donc…
Et en même temps, pardon de vous interrompre, en même temps vous baissez les impôts ; ça n’est pas ce que recommande le rapport Pébereau.
Parce que nous voulons dans le même temps, et c’est bien ce qui s’est passé pendant six mois, créer toutes les conditions pour le développement de la croissance, remettre la France en situation de compétitivité, en attractivité. Une bonne économie, c’est une économie qui avance. Donc ceci, nous l’avons fait. Il faut maintenant traiter cette question de la dette. Nous stabilisons la dépense, c’est très important. Nous mettons en place tout un dispositif d’audit de la dépense publique, c’est le travail qu’a engagé J.-F. Copé ; nous aurons terminé l’audit de l’ensemble des administrations au mois de juin. Et à partir de là, nous avons deux rendez-vous essentiels. Un rendez-vous qui aura lieu au mois de janvier : je réunirai une conférence générale des finances publiques, qui rassemblera tous ceux qui ont une responsabilité dans la dépense publique, l’État bien sûr, mais aussi les collectivités territoriales, mais aussi la Sécurité sociale, et je veux y inviter les partenaires sociaux ; je veux que nous ayons tous la même information.
Donc c’est quoi le but, en cinq ans, D. de Villepin ?
Le but de cette conférence sera de déterminer le chemin du désendettement. Le but dans ces cinq années, c’est d’arriver à l’équilibre, l’équilibre de nos finances publiques, c’est-à-dire le respect de la norme européenne. Nous devons passer de 66% aujourd’hui de taux d’endettement à 60%. Et…
Donc ça veut dire qu’on démarre tout de suite, qu’on n’attend pas 2007 ?
On démarre tout de suite, nous l’avons fait avec les audits, avec la stabilisation en 2006. Nous engageons en janvier la conférence nationale des finances publiques. Et au mois de juin, je prendrai un engagement national, devant le Parlement…
Chiffré ?
…chiffré, pour l’année 2007 – et je souhaite que cet engagement puisse être fait année après année -, et qui marquera clairement cette volonté de respecter cette diminution de la dépense. Donc vous voyez, il y a un problème, nous avons les solutions, et c’est possible. C’est dans la main des Françaises et des Français, cela dépend de nous, et je m’y engagerai.
Est-ce que le courage politique ce n’est pas aussi éventuellement de dire qu’en 2007, quel que soit d’ailleurs celui qui deviendra président de la République, c’est que de toute façon les Français devront, quand on regarde ces chiffres, se serrer d’une certaine façon la ceinture ?
Mais vous savez, la responsabilité, ce n’est pas pour demain ; la responsabilité c’est pour aujourd’hui. Et les Français, ils font des efforts, ils ont aujourd’hui parfaitement conscience de la complexité…
On ne va pas leur demander plus, compte tenu de ces chiffres ?
Nous allons engager, et nous avons engagé ce processus vertueux indispensable pour toute la nation française. Cette remise en marche, elle est engagée ; la stabilisation, nous l’avons engagée en 2006 ; en 2007 nous entamerons la diminution de la dépense.
Alors autre sujet, nous sommes à la veille d’un sommet européen très important, notamment consacré au budget de l’Europe pour les années qui vont venir. Les Anglais, qui président en ce moment l’Europe, ont fait une toute dernière proposition aujourd’hui ; est-ce qu’elle est de nature à vos yeux à vous rendre plus optimiste sur, je dirais, le résultat final de cette conférence ?
La volonté, la volonté de tous les Européens, c’est de pouvoir adopter un budget qui donne une perspective, qui redonne un souffle à cette Europe, pour la période 2007-2013…
C’est suffisant, ce que vous proposent les Anglais aujourd’hui ?
Les discussions commencent, chacun doit faire sa part du chemin. Nous avons fait un effort considérable en ce qui concerne la politique agricole commune. Il appartient aux Britanniques, sur le rabais sur le chèque britannique, de faire leur propre effort. Mais nous devons prendre en compte le fait que nous avons ensemble décidé l’élargissement, et ce n’est pas aux États qui viennent de rentrer dans l’Europe de payer pour les Britanniques. Donc cet effort, il doit être collectif, il faut que nous avancions tous ensemble. Et vous savez que nous avons un autre sujet sur la table, c’est la baisse de la TVA. Il y a des engagements qui ont été pris, il y a des avancées. Nous sommes confiants, je pense que nous obtiendrons la baisse, la prorogation de la baisse pour le bâtiment…
Vous parlez pour le bâtiment, et pour les restaurateurs, alors ?
…et nous sommes déterminés à l’obtenir également pour ce qui est des restaurateurs. Et nous ferons en sorte, dans le cadre d’un contrat, d’une négociation avec les restaurateurs, que ceci se traduise par des engagements de créations d’emplois, d’augmentation des salaires. Donc c’est véritablement un partenariat que nous voulons engager.
Et si la Commission européenne dit tout de même non pour la restauration, est-ce qu’on ne peut pas le décider finalement tout seul, en sachant peut-être que la Commission fermera les yeux ? On le faisait sur le bâtiment.
Aujourd’hui, la présidence britannique a fait une proposition d’ouverture. Nous sommes, vous le savez, en dialogue les Allemands. Les choses avancent, nous avons bon espoir qu’elles puissent se régler rapidement.
D. de Villepin, toute dernière question encore une fois d’actualité. On vous a entendu encore cet après-midi à l’Assemblée parler du fameux article de loi du 23 février 2005 sur le rôle positif de la colonisation, je parle évidemment de l’article 4 ; vous n’avez pas complètement répondu. Est-ce que… vous avez dit tout simplement qu’effectivement il n’appartenait pas au Parlement d’écrire l’histoire officielle. Est-ce que ce n’est pas plus simple d’abroger purement et simplement cet article ?
Vous savez, les décisions, dans la République, elles doivent se faire dans la sérénité. Le président de la République a pris une initiative, il a créé…
On aurait pu le faire par décret, tout simplement ?
…il a créé une mission, une mission bipartisane, où les partis seront représentés, et ils pourront s’exprimer. Cette mission, elle va travailler pendant trois mois, et elle va, cette mission…
Non mais, vous, vous ? Votre point de vue… oui.
…elle va s’atteler à répondre à un problème de fond, qui est : quel est le rôle du Parlement vis-à-vis de la mémoire, vis-à-vis de l’histoire. Et à partir de là, les décisions seront prises. Faisons…
Non mais, vous, D. de Villepin ? Je sais que vous êtes très attaché à l’histoire de France, par exemple. Quand vous lisez cet article…
Je suis très attaché, et je suis attaché à la sérénité de la décision. Vous savez, un pays, un pays, quelles que soient les difficultés, il doit être rassemblé. Ne nous divisons pas. Il y a des lois qui ont été votées par l’ensemble des partis. Quelle décision faut-il prendre ? Faisons confiance au président de l’Assemblée nationale, à qui cette mission a été confiée. C’est une mission qui rassemble l’ensemble des partis, elle va faire des propositions. A partir de là, nous aurons la possibilité de prendre des décisions sereinement.
Aujourd’hui, tout de même, D. de Villepin, cet article, quand vous le lisez, il est bon, pour vous, ou pas ?
Je l’ai dit : ce n’est pas au Parlement d’écrire l’histoire. Chacun doit prendre ses responsabilités. Cette loi,
elle a été votée par l’ensemble des partis politiques. Attendons que la mission remplisse sa fonction, qu’elle fasse des propositions, et à partir de là nous verrons ce qu’il faut faire.
Donc une abrogation dans trois mois, à l’issue des travaux de cette commission, ça n’est pas impossible, c’est ce que vous dites ce soir ?
Une décision sereine, une décision qui prenne en compte l’ensemble des facteurs, qui prenne en compte cette décision-là, mais beaucoup d’autres – ce n’est malheureusement pas la première fois qu’il y a une interférence dans ce domaine de la mémoire et de l’histoire. Ce que nous voulons, c’est avancer et construire durablement, donc des prises de position qui servent pour l’avenir, c’est bien le rôle qui a été confié à cette mission.
Merci D. de Villepin.
Merci.